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SAISON 2020 - 2021, modifié à

[1952-1955] Lorsque George VI décède en février 1952, "Lilibeth" devient reine du jour au lendemain. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'Histoire", Jean des Cars vous raconte comment la jeune femme de 26 ans a préparé son couronnement tout en faisant face aux premières crises auxquelles son nouveau statut l'exposent.

Elizabeth II est proclamée officiellement "nouveau souverain par la grâce de Dieu" le 8 février 1952. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars revient sur le couronnement de la jeune reine, mais aussi sur les premières tensions familiales, en particulier avec sa sœur Margaret, qui accompagnent son accession au trône. 

L’épreuve du deuil 

Le 7 février 1952, lorsque la jeune reine (elle n’a que 26 ans), vêtue, gantée et chapeautée de noir, descend du quadrimoteur de la BOAC (Bristish Overseas Airways Company) qui la ramène d’Afrique à Londres, elle est accueillie sur le tarmac par la totalité du gouvernement, Premier ministre en tête. 

Il s’agit de Winston Churchill, revenu à son poste en 1951 après la victoire des Conservateurs. En jaquette, haut-de-forme à la main, il s’incline devant sa souveraine. Quelques instants plus tard, c’est au tour de Philip de descendre. Depuis que son épouse est reine, il doit marcher trois pas derrière elle. On dit qu’un aide-de-camp a dû le lui rappeler alors qu’il s’apprêtait à s’avancer en même temps qu’Elizabeth. Philip est désormais relégué au second plan, une situation difficile que cet homme, fougueux et orgueilleux, a du mal à accepter. Le couple se rend à sa résidence habituelle de Clarence House, où la reine est accueillie par le secrétaire particulier de George VI, Tommy Lascelles qui l’attend avec des documents à signer. Le lendemain, elle prononce son discours d’accession au trône devant son Conseil Privé, au palais de Saint-James. Plus tard, dans ce même palais, Elizabeth II est proclamée officiellement "nouveau souverain par la grâce de Dieu". Elle est désormais reine du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et chef du Commonwealth. Depuis l’indépendance de l’Inde, il n’y a plus d’empire britannique. Le Commonwealth est une association libre des Etats de l’ancien empire. Il sera une préoccupation permanente de la nouvelle souveraine. Elle y est profondément attachée et le manifestera sans relâche.

Elizabeth se rend à Sandringham pour se recueillir devant la dépouille de son père. Outre son chagrin personnel, elle va devoir  faire face à la douleur de sa mère et de sa sœur, totalement désemparées. Le lendemain, le catafalque du roi est exposé dans Westminster Hall. 300 000 personnes vont  défiler en silence pendant trois jours. 

Les funérailles sont célébrées le 15  février à Windsor, dans la chapelle Saint-George. Pour Elizabeth et Philip, comme cela avait été le cas pour les parents de la jeune reine, l’accession au trône implique un déménagement. Ce sera un chassé-croisé entre la mère et la fille. Elizabeth II, son mari et leurs enfants s’installent à Buckingham Palace tandis que la reine mère et Margaret intègrent Clarence House. La veuve de George VI supporte très mal cette situation et répugne à quitter le palais. Son statut de reine mère l’indispose. Encore un problème pour Elizabeth, qui aime profondément sa mère et devra déployer des trésors de diplomatie pour ne pas la blesser. La princesse Margaret est aussi très éprouvée par la mort de son père. Elle a perdu un complice et un admirateur. Elle se sent abandonnée et inutile. Là aussi, sa sœur fera tout ce qu’elle pourra pour la soutenir.

Comme si tous ces tourments ne suffisaient pas à Elizabeth, voilà que Lord Mountbatten, lors d’une réception chez lui, fait une déclaration qui va mettre le feu aux poudres : "Maintenant, la maison de Mountbatten règne…" La reine Mary, la veuve de George V, qui admirait son époux pour avoir imposé, en 1917, le nom de Windsor à la dynastie, prévient le Premier ministre. Celui-ci demande une audience à la nouvelle souveraine pour la prier d’intervenir. La reine fait savoir "qu’il est de son plaisir qu’elle même et ses descendants continuent à porter le nom de Windsor".

Le Parlement s’empare de l’affaire. La déclaration d’Elizabeth ne suffit pas. Il faudra qu’elle rédige un mémorandum, approuvé par le gouvernement. Non seulement, ses enfants porteront le nom de Windsor mais lorsqu’ils se marieront, leurs descendants porteront aussi ce patronyme. Philip est déstabilisé. C’est la première grave crise du couple. Le duc est meurtri par la mise au point de son épouse. Il va alors prononcer son premier étrange aphorisme (et ce ne sera pas le dernier !) : "Je ne suis qu’une maudite amibe !"

C’est une métaphore malheureuse car tous les écoliers - mais pas lui ! - savent que les amibes se reproduisent elles-mêmes sans avoir besoin de former un couple ! Il se sent effacé, bafoué, inexistant. S’il est le duc d’Edimbourg, le mari de la reine, le père de ses enfants donc d’un futur monarque, il n’a aucun statut personnel. Il s’estime réduit à un rôle de figurant. Elizabeth, en se comportant en cheffe d’Etat et en cheffe de famille, a sans doute sous-estimé la blessure qu’elle inflige à son époux. L’affaire n’est pas close, ce sujet reviendra dans la vie de la famille.

Les préparatifs du couronnement

L’année 1953 sera celle du couronnement, prévu pour le 2 juin. En pleins préparatifs, un nouveau deuil frappe la famille royale. La grand-mère d’Elizabeth, la reine Mary, veuve du roi George V, s’éteint le 24 mars 1943, à l’âge de 86 ans. Elle souffrait de terribles douleurs à l’abdomen mais surtout, elle ne s’était pas remise du décès de son fils George VI. Avant de mourir, elle avait interdit que l’on modifie la date du couronnement de sa petite-fille. Ses funérailles ont lieu à Westminster. Le duc de Windsor, son fils aîné qui l’avait tant déçue, sera autorisé à assister à ses obsèques mais sans son épouse, la sulfureuse Wallis.

Après ce nouveau deuil, Elizabeth doit prendre une décision essentielle et inédite concernant son couronnement : doit-il ou non être retransmis par la télévision ? Churchill y est opposé. Il déclare : "Je ne vois pas pourquoi la BBC aurait une meilleure vision que moi du couronnement de ma souveraine !" Elle réfléchit beaucoup. Elle n’est pas du même avis que son Premier ministre. Elle pressent qu’avec la télévision, ses sujets vivent un changement d’époque. Un compromis est finalement trouvé : on diffusera en direct le couronnement parce que c’est un acte politique mais on ne verra pas la partie sacrée de l’onction sainte : le reine sera protégée par un dais. Cette décision suscite bien des polémiques. Finalement, Elizabeth juge que ce serait une grave erreur d’exclure des millions de gens de cette page d’histoire illustrée. Le slogan des pro-télévision est tout trouvé : "Laissez le peuple voir la reine !"

Si Churchill n’est pas d’accord, elle est soutenue par Philip et Dickie Mountbatten. Elizabeth II a sûrement eu raison puisque dès que l’on apprend que la cérémonie sera retransmise en direct, les ventes de téléviseurs, encore modestes, explosent au Royaume-Uni mais aussi en France et partout dans le monde. Ce sera un spectacle international, le premier du genre. Très consciencieuse, la reine s’habitue à porter la lourde couronne de Saint-Edouard (2 kilos et demi !) que l’archevêque de Canterbury posera sur sa tête. Son père George VI avait déjà eu beaucoup de mal à en supporter le poids. Elizabeth la coiffe donc au petit-déjeuner, en lisant les journaux, essuyant sans broncher les sarcasmes de Philip, finalement admiratif de sa ténacité !

Il y a aussi les essayages de sa robe et de son manteau de velours cramoisi bordé d’hermine, imaginés par Norman Hartnell et surtout les innombrables répétitions : quatre dans l’abbaye de Westminster, d’autres dans la salle de bal de Buckingham Palace où des rubans adhésifs marquent la place de chaque intervenant. La reine est très exigeante car elle se souvient combien son père avait souffert des approximations et des bévues qui avaient marqué son propre sacre…

Le 2 juin 1953, il fait froid et il pleut sur Londres. Mais qu’importe ! Des dizaines de milliers de personnes campent, depuis deux jours, le long du trajet du carrosse. Elizabeth fait son entrée à 11 heures 15 dans l’abbaye. La cérémonie va durer quatre heures. Tout se déroulera parfaitement, jusqu’à l’onction sacrée pour laquelle elle revêt une simple robe de lin blanc qu’elle recouvre ensuite d’une cape de fil d’or alors que l’archevêque de Canterbury lui remet les deux sceptres figurant le Pouvoir, la Justice, l’Equité et la Clémence. Enfin, le prélat pose la couronne de Saint-Edouard sur la tête de la jeune femme, alors que retentit un triple "God Save the Queen !" 

Philip s’avance vers elle et s’agenouille en signe d’allégeance. Il prend sa main et lui dit : "Je suis votre homme lige", avant de l’embrasser sur la joue gauche. La reine Elizabeth II quitte enfin l’abbaye, tenant dans sa main droite le Sceptre et l’Orbe dans la gauche. Elle regagne Buckingham Palace en compagnie de son mari, sous les ovations, souriante malgré l’inconfort de l’énorme et lourd carrosse, très mal suspendu, avant la traditionnelle apparition au balcon. La cérémonie a été parfaite, suivie par 300 millions de téléspectateurs. Si la diffusion en direct était en noir et blanc, un film en couleurs a été tourné en même temps. Les bobines partiront le soir même dans le monde entier. Le couronnement est devenu un spectacle, il sera projeté dans les cinémas. Elizabeth II est la reine de l’image !

Un petit détail, remarqué par les caméras, va cependant être à l’origine d’une affaire qui va enflammer la presse du monde entier. Après le départ de sa sœur pour Buckingham, la princesse Margaret attendait sa voiture. A côté d’elle, se tenait l’ancien écuyer de son père, devenu administrateur de la Maison de la Reine mère. D’un geste extrêmement naturel, Margaret, de sa main gantée, enlève une peluche sur l’épaule du jeune et bel officier en uniforme. Un geste anodin, pourtant révélateur d’une complicité et d’une intimité insoupçonnées jusque-là. L’officier est le Group Captain Peter Townsend. L’affaire Margaret-Townsend commence… 

Margaret est amoureuse d’un homme marié !

C’est en février 1944 que le roi George VI avait fait du chef d’escadrille Peter Townsend, héros de la Bataille d’Angleterre, son écuyer. Un poste prestigieux qui oblige le titulaire à accompagner le roi partout. L’arrivée de ce beau garçon n’était pas passée inaperçue aux yeux des princesses. Elizabeth, 18 ans, avait alors dit à Margaret, de cinq ans sa cadette : "Pas de chance, il est marié !"

Effectivement, cet aviateur intrépide avait épousé, en pleine guerre, la séduisante Rosemary Pawle. Elle lui avait donné un fils. Mais très vite, le mariage avait mal tourné. Townsend était déprimé, persuadé à chaque mission qu’il allait mourir. C’est alors que le roi l’avait distingué. Margaret va tomber immédiatement amoureuse de lui, sans doute dès le voyage de la famille royale en Afrique du Sud. En 1950, l’écuyer est nommé directeur-adjoint de la Maison royale. George VI et son épouse sont tout à fait conscients du flirt de leur fille et du bel officier. Il s’agissait d’une véritable histoire d’amour. Peter Townsend, père de deux enfants, est alors en train de divorcer d’une épouse qui l’avait copieusement trompé. A la mort de George VI, la Reine mère le nomme administrateur de Clarence House. Il continue donc à vivre sous le même toit que Margaret. Le divorce du couple Townsend est prononcé en 1952, aux torts de son épouse. En février 1953, Margaret et le héros révèlent leur amour à la Reine mère, qui s’en déclare enchantée. Philip et Elizabeth le sont aussi et se montrent bienveillants, invitant le couple à dîner. En apparence, pour Margaret, tout est parfait : Peter a 38 ans, il est libre, elle en a 23. Sa mère, sa sœur et son beau-frère approuvent leur amour. Rien ne s’oppose plus à leur mariage. 

Mais lorsque la presse s’empare de "l’affaire Margaret", on s’aperçoit que la réalité est plus compliquée : pour se marier avant l’âge de 25 ans, Margaret doit avoir l’autorisation de la souveraine, et le fait que Peter Townsend soit divorcé est un obstacle. On se souvient que c’est parce que Wallis Simpson était deux fois divorcée qu’Edouard VIII avait dû abdiquer pour pouvoir l’épouser… 

Churchill est informé et se montre plutôt bienveillant à l’égard de Margaret. Mais son épouse, Clemmie, rappelle à son Premier ministre de mari ce que lui avait coûté politiquement son soutien à Edouard VIII. Il réunit alors son Cabinet : la décision est sans appel. Le gouvernement s’oppose au mariage de la princesse avant qu’elle ait 25 ans. On va donc séparer les amoureux. Margaret partira avec sa mère pour un voyage en Rhodésie tandis que Townsend sera nommé attaché de l'Air à l’ambassade de Sa Majesté à Bruxelles. Dès lors, pour les journaux qui la traquent, Margaret devient "la princesse triste". 

En réalité, pendant ces deux ans qui les obligent à patienter, les amoureux contrariés s'écrivent presque chaque jour. La reine est très éprouvée par cette affaire. Elle culpabilise mais ne peut rien faire. Elle est obligée de partir avec Philip pour un voyage post couronnement à travers le Commonwealth, périple qui avait été interrompu par la mort de George VI. Ils seront absents six mois. Charles et Anne sont confiés à leur grand-mère qu’ils adorent. Les deux enfants, à la fin du voyage de leurs parents, viendront les rejoindre à Tobrouk, à bord du nouveau yacht royal, Britannia. Ce bateau, qu’Elizabeth et Philip vont tant chérir, fait alors sa croisière inaugurale.

A son retour à Londres, la reine reçoit la démission de Churchill. Une page se tourne. Margaret fête ses 25 ans au mois d’août, à Balmoral. Elle doit toujours demander l’agrément du gouvernement et du Parlement pour se marier. La princesse rebelle regagne Londres tandis que Peter Townsend revient de Bruxelles. Ils passent le week-end chez des amis, poursuivis par des meutes de journalistes et de photographes. La sentence gouvernementale tombe : le Cabinet refuse toujours le mariage. Si la princesse passait outre, une loi serait votée la privant de ses droits de succession. De plus, un exil de quelques années lui serait imposé. Une décision d’une incroyable sévérité… Margaret réfléchit. Le lundi 31 octobre 1955, elle reçoit son amant chez elle, à Clarence House. Elle a pris sa décision. Le héros vient lui dire adieu. Les malheurs de la princesse font pleurer le monde entier. Elle a fait passer son devoir avant sa passion. Elizabeth culpabilise. C’est un beau gâchis.

 

 

Ressources bibliographiques : 

Sarah Bradford, Elizabeth II (Penguin Books nouvelle édition 2002)

William Shawcross, Queen Elizabeth the Queen Mother (Pan Books, 2009)

Sarah Bradford, George VI (Penguins Books, 1989)

Jean des Cars, Elizabeth II, la Reine (Perrin, 2018)

 

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"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio

Auteur et présentation : Jean des Cars
Production, diffusion et édition : Timothée Magot
Réalisation : Jean-François Bussière
Graphisme : Karelle Villais