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SAISON 2020 - 2021, modifié à

[1926-1935] Dans "The Crown", le personnage d'Elizabeth II, interprété par Olivia Colman, dit : "J’ai fait des sacrifices. J’ai effacé qui j’étais. Ce n’est pas un choix, c’est un devoir". Dans cette nouvelle série thématique "Au cœur de l'Histoire", Jean des Cars vous propose de découvrir qui est la vraie Elizabeth II, la femme la plus célèbre du monde, mais sans doute aussi la moins connue… Dans ce premier épisode, il vous parle des jeunes années de cette princesse qui n’était pas destinée à régner.  

Lorsqu'elle nait le le 21 avril 1926 à Londres, Elizabeth Alexandra Mary Windsor n'est pas supposée monter un jour sur le trône. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars vous raconte l'enfance choyée et insouciante de celle qui ignore encore qu'elle sera reine du Royaume-Uni. 

A 9 ans, la princesse participe au jubilé d’argent de son grand-père

L’année 1935 pour la princesse Elizabeth, fille du duc et de la duchesse d’York, est exceptionnelle. Son grand-père, le roi George V, va célébrer fastueusement son jubilé d’argent, c’est à dire ses vingt-cinq ans de règne à la tête de l’empire britannique. Le souverain avait succédé à son père, le très populaire Edouard VII, en 1910. Avec son empire, il a été l’un  des vainqueurs de la Première Guerre mondiale, mais à quel prix ! Quatre ans d’un conflit sans précédent, effroyable, avec de terribles pertes humaines. 

Il a compris la nécessité, pour lui et la famille régnante, de changer le nom de la dynastie en 1917 : le patronyme de Saxe-Cobourg-Gotha, trop allemand, est remplacé par celui de Windsor. L’opinion l'approuve sans réserve. George V a tremblé car tous les empires européens ont été balayés par cette guerre : l’empire russe, l’empire allemand, l’empire austro-hongrois et même l’empire ottoman. Seul l’empire britannique s’est maintenu. 

Mais les difficultés économiques consécutives à la guerre font craindre à George V une montée du communisme qui a, entre autres, entraîné la chute de la dynastie des Romanov. Il est inquiet pour la popularité de la famille royale. Selon lui, ce jubilé d’argent est un test… 

Ses petites filles, les enfants de son second fils, le duc d'York, Elizabeth, 9 ans et sa petite soeur Margaret Rose, 5 ans, sont très excitées à l‘idée de participer à cet évènement si important  et si rare. Elles seront toutes les deux vêtues de rose, chapeaux compris. 

Le 6 mai 1935, sous un soleil éclatant, elles prennent place avec leurs parents dans un landau découvert qui va faire partie du cortège allant de Buckingham Palace jusqu’à la cathédrale Saint-Paul où sera célébrée une cérémonie d’actions de grâce pour les vingt-cinq ans de règne de leur grand-père. C’est un énorme cortège. Il y a les carrosses des Premiers ministres des Dominions, ces territoires associés à l’empire comme le Canada et l’Australie, celui du Premier ministre du Royaume-Uni, Ramsay MacDonald, et puis ceux des oncles et des cousins : oncle Henry, duc de Gloucester, oncle George, le duc de Kent, et sa ravissante épouse Marina, et surtout l’oncle David, le prince de Galles, héritier du trône. 

Le dernier carrosse est celui du souverain, George V, en grand uniforme, et de son épouse, la reine Mary, scintillante de  diamants. Mais le plus important est qu’à l’aller comme au retour, tout au long du trajet, y compris dans les quartiers pauvres de l'East-End, le roi et la reine ont été acclamés par la population. George V en a été bouleversé. Il est rassuré sur la stabilité de la monarchie britannique. Le soir même, il s’adressera à la population, lors d’un discours radiodiffusé : "Je peux seulement vous dire, mon très cher peuple, que la reine et moi vous remercions du fond du coeur pour votre loyauté et, oserai-je le dire, pour l’amour dont vous nous avez entourés en ce jour."

Quant aux deux petites princesses, Elizabeth et Margaret, elles ont été éblouies par le cortège, par les fastes de la cérémonie à Saint-Paul et par l’apparition, rituelle, de la famille royale au balcon de Buckingham Palace devant la foule enthousiaste. A cet usage, Elizabeth est déjà habituée : elle y avait fait son premier "royal wave", le salut de la main droite, dans les  bras de sa mère, à l’âge de un an... Elle a déjà une longue pratique !

Edouard et Albert deux frères que tout oppose

La princesse Elizabeth naît le 21 avril 1926 à Londres, dans la maison de ses grands-parents maternels, lord et lady Strathmore, au 17 Bruton Street, dans le quartier très élégant de Mayfair. Son père est le duc d’York. Il se prénomme Albert, mais tout le monde le surnomme Bertie. Il est le deuxième fils du roi George V et de la reine Mary, il a 31 ans. Son frère aîné de 18 mois, Edouard, est le prince de Galles. Il a deux autres frères, Henri, duc de Gloucester et George, duc de Kent. Il a aussi une soeur, Mary. Un autre frère, John, est mort en 1919, à l’âge de 14 ans. 

Les quatre frères et leur soeur n’ont pas eu une enfance très chaleureuse. Leurs parents les aimaient sans doute mais avaient quelques difficultés à leur montrer leur affection. George V, très autoritaire, les menait à la baguette, par exemple avançant les pendules pour les mettre en retard et pouvoir les admonester… Albert avait une nurse particulièrement perverse qui le pinçait juste avant l’ouverture de la porte du salon où il allait retrouver ses parents. Il arrivait en larmes et était immédiatement renvoyé à la nursery ! Leurs parents mirent très longtemps à s’en apercevoir… 

Albert et son frère Edouard s’entendaient très bien mais il y avait entre eux une différence énorme. Edouard, charmant, séduisant, était l’héritier du trône et incontestablement le chouchou de la reine Mary, sa mère. Son cadet, timide, peu à l’aise, avait des difficultés d’élocution. Et pendant plusieurs années, il subit le supplice des gouttières pour redresser ses jambes. Bref, Albert a eu une enfance traumatisante.

Pendant la guerre de 14, Edouard brille sur le front français avec beaucoup de courage et sans doute d’inconscience. Il sert dans le corps des Grenadiers de la Garde. Albert, lui, sert dans la Marine et participe à la bataille du Jutland en 1917.

Après la guerre, le prince de Galles se met à collectionner les aventures, de préférence avec des femmes mariées. Albert, lui, rencontre en 1920, lors d’un bal, une aristocrate écossaise, Elizabeth Bowes-Lyon. Il en tombe éperdument amoureux. Elizabeth est brune, petite, avec des yeux bleus très expressifs et surtout un charme, une gaieté, une joie de vivre qui fait d’elle la reine de la saison londonienne. Tous les jeunes gens de la bonne société rêvent de l’épouser. Fille de lord et lady Strathmore, elle était née en Ecosse, dans le très beau château de Glamis, hanté, bien sûr, par de nombreux fantômes dont celui, très shakespearien, de lady Macbeth… 

Il fallut de la perséverance à Bertie pour conquérir celle dont il était sûr qu’elle était la femme de sa vie. Elle refusa deux fois sa demande en mariage et finit par accepter la troisième. Certes, elle l’aimait, mais elle avait toujours mené une vie joyeuse, insouciante et libre. Aussi, redoutait-elle, en épousant un membre de la famille royale, d’être enfermée dans "une cage dorée". 

Albert et Elizabeth se marient le 26 avril 1923 à l’abbaye de Westminster. Cette union ne suscite pas un grand enthousiasme populaire. Il y eut tout de même l’inévitable apparition au balcon de Buckingham Palace. Mais le mariage que les Britanniques attendent est celui du prince de Galles, Edouard, leur futur roi. 

Trois ans après le mariage, la naissance d’Elizabeth les comble de joie. D’ailleurs, si elle porte ce prénom, ce n’est pas du tout en hommage à la reine Elizabeth 1ère mais à sa mère. A ce moment là, la petite Elizabeth n’a que très peu de chances de monter un jour sur le trône britannique… 

La famille d’York s’installe au 145 Piccadilly, dans une vaste demeure donnant sur Green Park. La petite princesse est âgée d’à peine 9 mois lorsque ses parents doivent s’absenter pour un voyage officiel de six mois en Australie et en Nouvelle-Zélande. Le bébé est confié à ses grands-parents maternels, le roi George V et la reine Mary. Et là, une sorte de miracle va se produire : le souverain, si distant avec ses propres enfants, va littéralement  fondre de tendresse pour sa petite-fille. Il s’enthousiasme à l’apparition de chaque nouvelle dent et informe son fils et sa belle-fille des moindres détails de son existence pendant leur absence !

C’est en juin 1927, au retour de ses parents, qu’Elizabeth fait sa première apparition sur le balcon de Buckingham Palace et y fait son premier "royal wave".

Le 21 août 1930, sa mère donne naissance à une deuxième fille, Margaret Rose, au château de Glamis, en Ecossse. George V est un peu déçu de l’arrivée d’une nouvelle fille car le comportement de l’héritier de la couronne l’inquiète. Edouard vit alors une liaison quasi officielle avec lady Furness, une riche héritière américaine, mariée à un aristocrate anglais. Pour Lui, toujours pas de mariage à l’horizon, et donc pas de possibilité d’héritier. Le roi commence à penser qu’Elizabeth pourrait avoir un destin royal. La petite princesse est évidemment très loin de ces préoccupations. Enchantée d’avoir une soeur, elle va tout de suite l’aimer profondément et s’en sentir responsable. Une attitude qui ne sera jamais démentie, quoi qu’on ait raconté ou supposé beaucoup plus tard…

Une enfance qui structure la future reine 

La terrible crise de 1929 pousse le roi George V à diminuer de moitié sa liste civile et celle de tous ses enfants. Le prince de Galles prend très mal ces restrictions. Il est furieux. Il a l’habitude de dilapider beaucoup d’argent avec ses maîtresses, sa vie nocturne et ses voyages. En revanche, le duc d’York, passionné de chasse, renonce à plusieurs domaines qu’il avait l’habitude de louer, et donc à son sport favori. 

Pour remercier son fils de ce sacrifice, et aussi pour que la famille d’York ait une maison de campagne à elle, George V leur donne la jouissance de Royal Lodge, une construction de style néo-gothique dans le parc du château de Windsor, proche de celle du prince de Galles, appelée Fort Belvédère. Albert et sa femme y vont souvent, presque chaque week-end. La duchesse décore la maison avec beaucoup de goût et sa fille Elizabeth, que tout le monde surnomme désormais Lilibeth (petit nom que lui a donné son grand-père le roi), se voit offrir un cottage miniature, cadeau du Pays de Galles. Cette petite construction sera pour Elizabeth et Margaret beaucoup plus amusante qu’une maison de poupées. Elles en raffolent !

Lilibeth découvre aussi un sport qui deviendra vite son favori : l’équitation. Son premier poney, Peggy, est un  cadeau de son grand-père. C’est le roi George V qui a transmis la passion des chevaux à sa petite-fille. Lorsqu’elle était toute petite, il l’emmenait déjà se promener dans les jardins de Sandringham et visiter les écuries où il lui présentait ses chevaux préférés, Scuttle et Limelight. On sait que chez Elizabeth II cette passion, scellée depuis le plus jeune âge, sera définitive. Elle est une experte remarquable et reconnue, propriétaire d’écuries de courses et aujourd’hui encore, à 94 ans, la reine se promène parfois, calmement à cheval, accompagnée d’un écuyer, dans le parc de Windsor.

Une autre passion va naître à Royal Lodge, celle des chiens. Jusqu’à 1933, le Labrador était le favori. Mais cette année là, le duc d’York offre à sa fille son premier corgi. Une race alors très peu connue et pas du tout à la mode. La princesse est tellement  intéressée par son "Dookie" qu’une femelle, Jane, va suivre. Une autre dynastie va naître : celle des chiens ! Jusqu’à aujourd’hui, Elizabeth II a la passion des corgis. Cette-fois, c’est donc son père qui la lui a transmise. Il aime la nature et les animaux. Comme lui, Lilibeth deviendra une "campagnarde de coeur".

D’autres traditions vont rythmer la vie de la princesse : les week-ends à Royal Lodge, les vacances de Pâques à Windsor avec le roi et la reine, les séjours en Ecosse, à Balmoral, du début août pour la chasse à la grouse au début octobre, Noël et le Nouvel An dans la résidence privée de Sandringham. L’agenda de ses parents est encore aujourd’hui celui de la reine, sauf cette année, en raison des restrictions imposées par la situation sanitaire liée au covid 19. 

Une éducation sous le contrôle de la reine Mary 

Au printemps 1932, un nouveau personnage entre dans la vie de Lilibeth. Elle se nomme Marion Crawford. Elle sera la gouvernante des deux princesses jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Elle est écossaise et une pédagogue aussi expérimentée que motivée. Pourtant, les études de leurs filles n’étaient pas la première préoccupation du duc et de la duchesse d’York. Lui avait tellement détesté cet apprentissage qu’il ne voulait pas infliger ce cauchemar à ses filles. Quant à son épouse, élevée très librement par sa mère, elle était persuadée que ses filles n’avaient pas besoin d’une éducation intellectuelle trop poussée.

Marion Crawford, immédiatement baptisée Crawfie par les princesses, fait de son mieux pour les instruire, sans contrarier leur mère. Elle décide de leur faire découvrir la vraie vie du peuple britannique. Elle organise des visites de Londres et de ses principaux monuments, les emmène dans le métro, un exercice délicat car les visages des princesses sont très connus, mais elles sont toujours accompagnées d’agents de sécurité. 

Une autre personne - et non des moindres - va également se préoccuper de leur éducation : c’est la reine Mary, leur grand-mère qui leur enseigne l’histoire du Royaume-Uni, de ses dynasties et de l’empire, notamment de sa géographie.  Elle aura une grande influence sur sa petite-fille aînée. Lilibeth est très impressionnée par cette grand-mère corsetée et qui n’a rien changé à ses habitudes vestimentaires d’avant la guerre de 14. La reine ne manifeste jamais publiquement ses émotions. Ce comportement, Lilibeth s’en fera une règle qu’elle appliquera toute sa vie. 

Cela n’empêche pas la vie de famille des York d’être fusionnelle. Albert, sa femme et ses deux filles partagent ensemble le plus de temps possible : déjeuner, promenade, jeux. Les parents et leurs filles s’adorent et se surnomment "Us Four", "Nous Quatre". Mais ce quatuor va bientôt affronter un cataclysme… 

 

Ressources bibliographiques : 

Sarah Bradford, Elizabeth II (Penguin Books nouvelle édition 2002)

William Shawcross, Queen Elizabeth the Queen Mother (Pan Books, 2009)

Sarah Bradford, George VI (Penguins Books, 1989)

Jean des Cars, Elizabeth II, la Reine (Perrin, 2018)

 

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"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio

Auteur et présentation : Jean des Cars
Production, diffusion et édition : Timothée Magot
Réalisation : Matthieu Blaise
Graphisme : Karelle Villais