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SAISON 2020 - 2021, modifié à

Dracula paraît en 1897 dans l'Angleterre puritaine de la fin de l'ère victorienne. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'Histoire", Jean des Cars vous dévoile la vérité sur le personnage qui a inspiré ce roman culte. Un homme sanguinaire qui a terrorisé la Transylvanie et la Moldavie au milieu du XVème siècle, et n’avait rien à voir avec le héros romantique inventé par Bram Stoker : Vladislav III, dit "l’empaleur"...

Dès la parution du roman de Bram Stoker, la figure de Dracula s’impose dans l’imaginaire occidental. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars revient aux sources de ce personnage de fiction qui s'inspire directement d'un homme ayant bel et bien existé : Vlad Tepes "l'empaleur"... 

Bram Stoker invente Dracula

L’année 1897 restera marquée dans la mémoire des Anglais pour deux raisons : la première, éminemment respectable, est le jubilé de Diamant de la reine Victoria, souveraine d’Angleterre et impératrice des Indes. Une digne vieille dame qui est à la tête de la première puissance politique et économique du monde, une grand-mère de l’Europe, vénérée et respectée comme l’incarnation d’une époque à laquelle elle a donné son prénom, l’ère victorienne. Mais 1897 est aussi l’année de la parution d’un livre qui va enthousiasmer les lecteurs britanniques. Son héros est le contraire de la reine, l’incarnation de la cruauté, de la perversion, du Mal absolu. Un mythe : Dracula, qui va très rapidement s’imposer dans l’imaginaire occidental.

L’auteur de cet ouvrage, Bram Stoker, est un écrivain irlandais passionné de folklore et de sciences occultes, ami, entre autres, d’Arthur Conan Doyle, le père de Sherlock Holmes, d’Oscar Wilde, auteur sulfureux du roman fantastique "Le portrait de Dorian Grey", du poète et dramaturge Irlandais nobélisé William Butler Yeats, mais aussi d’Arminius Vambery, orientaliste, membre de l’Académie Hongroise des Sciences, un spécialiste des légendes de l’Europe Centrale… 

Abraham, dit "Bram" Stoker est né en 1847, à Clontarf, près de Dublin, dans une famille protestante. Il est le fils d’un petit fonctionnaire travaillant auprès du Gouverneur Général d’Irlande. Alors qu’il se passionne pour la littérature et le théâtre, Stoker suit des études scientifiques à Dublin car son père le destine à une carrière de fonctionnaire. Celles-ci terminées, il entre dans l'administration centrale irlandaise. Parallèlement, il écrit régulièrement des critiques théâtrales dans le Dublin Mail. Sa vie bascule lorsqu’il rencontre, lors de ses tournées en Irlande, le grand acteur John Henry Irving qui lui propose de devenir le régisseur de son théâtre londonien, le Lyceum Theater.

Lassé de sa vie bureaucratique, le jeune homme va pouvoir assouvir sa passion pour la poésie et le théâtre. En 1878, Il s’installe à Londres avec son épouse. Il vit dans l’ombre d’Irving et se charge totalement de la gestion de son théâtre. Parallèlement, il publie deux petits essais en 1879 sur ses expériences de fonctionnaire en Irlande, des contes pour enfants en 1882, parus en France sous le titre "Au-delà du crépuscule" et, enfin, en 1897, "Dracula". 

Ce livre connaît d’abord un succès d’estime, puis le bouche-à-oreille fonctionne, il devient progressivement un énorme succès, voire un triomphe qui fera de son auteur l’homme d’un seul livre, même s’il publiera de nombreux autres romans, plutôt médiocres, avant de mourir en 1912, dans l’anonymat et le dénuement. Alors comment Bram Stoker a-t-il accouché de ce chef-d'œuvre ?

Depuis l’enfance, ses goûts littéraires le portent sur le fantastique. Sa santé fragile l’oblige à être souvent alité. Sa mère lui transmet alors le riche héritage folklorique irlandais, rempli de fées et d’esprits de l’au-delà. Il a 5 ans quand une terrible épidémie de choléra frappe le nord de l’Irlande. Cela semble avoir développé chez lui un goût prononcé pour l’horreur. Adulte, il se passionne pour l’ésotérisme et l’occultisme. Il fait partie d’une société secrète, la Golden Dawn, l’Aube Dorée. 

Tout ceci n’a rien d’exceptionnel, ce goût de la magie et de la démonologie est très répandu à l’époque. L’Aube Dorée se spécialise dans l’enseignement et la pratique de la magie et des sciences occultes au Moyen Âge. On y pratique des rituels d’après des manuscrits, comme le "Livre des Morts" des anciens Egyptiens. 

Bram Stoker est un étrange mélange d’austérité victorienne, conformiste et conservatrice, qui transparaît dans toute sa correspondance privée et, en même temps, d’un souffle poétique teinté d’érotisme qui fait de son "Dracula" un roman flamboyant. A la sa parution, Henry Irving écrit : "Je n’avais aucunement l’idée que Stoker avait ça en lui. C’était une personne avec les pieds bien sur terre."

Bram Stocker découvre le véritable Dracula 

On a souvent avancé l’idée que c’est grâce à son ami Arminius Vambery, historien orientaliste de l’université de Budapest, rencontré en 1890, que Bram Stoker avait appris l’existence du prince Dracula, alias Vladislav ou "Vlad" Tepes. Dans son livre, Bram Stoker lui rend hommage. En effet, Van Helsing, le chasseur de vampires ennemi juré de Dracula, demande de l’aide à son ami Arminius Vambery, de l’Université de Budapest. En réalité, Stoker a découvert son personnage dans un ouvrage publié en 1820, sur les principautés de Moldavie et de Valachie, puis il a approfondi ses connaissances grâce à la bibliothèque du British Museum où il a beaucoup travaillé. 

L’histoire de Vlad-Dracula commence hors de Valachie. Il naît en 1429, en Transylvanie, un royaume voisin dans lequel son père avait été condamné à l’exil. Il est le deuxième fils de Vlad II prince de Valachie. Le père de notre Dracula était surnommé Dracul, qui signifie en roumain le Diable mais aussi le Dragon, car il avait reçu des mains de l’Empereur Germanique Sigismond les insignes de l’Ordre du Dragon, fondé en 1408. Les descendants de Dracul sont logiquement appelés "Drăculea", ce qui veut dire "fils du Dragon". Pour l’instant, rien de vraiment inquiétant. 

En contrepartie de leur "titre", les princes de Valachie doivent combattre sous la bannière du Dragon les Infidèles, c'est-à-dire les Ottomans. C’est ce que va faire notre Vlad-Dracula avec une grande énergie. Cela lui vaudra d’ailleurs, quelques siècles plus tard, d’être élevé par le conducator Nicola Ceausescu, président de la Roumanie, au rang de Héros National pour avoir consacré sa vie à libérer sa patrie de l’emprise des Turcs.  

Lorsque Vlad-Dracul, le père de Dracula, récupère son trône de Valachie, il ne porte pourtant pas secours aux Chrétiens, comme promis à l’Empereur. Il juge plus prudent de conclure une alliance avec les Turcs… Il essaye néanmoins de protéger les populations chrétiennes, ce qui lui vaudra d’être "invité" en 1444 par le sultan Mourad. Il part à sa rencontre accompagné de ses deux fils cadets, le futur Dracula, âgé de 13 ans et son frère Radi. Tous trois sont emprisonnés. Dracul renouvelle alors son serment de fidélité à Mourad. Il est libéré mais ses fils sont gardés en otage.

Dracula et son frère vont passer environ quatre ans dans les geôles turques. Ils finissent par s'en évader en 1448. Cette expérience va le marquer profondément et lui interdire, à jamais, de croire en la bonté humaine. Lorsqu’il monte sur le trône de Valachie à la mort de son père, il affirme brutalement son autorité sur ses sujets, puis organise une armée de 10 000 à 20 000 hommes avec une cavalerie très mobile pour combattre les Turcs. 

Sa campagne est très glorieuse. Et chaque fois qu’il s’empare d’une citadelle, tous les prisonniers sans exception sont soumis au supplice de l’empalement. Concrètement, celui-ci consiste à enfoncer un pieu, le pal, sous le sternum ou dans les parties intimes du condamné alors qu’il est encore vivant, avant de le hisser à la verticale pour qu’il se fasse transpercer lentement sous l’effet de la gravité, jusqu’à ce que mort s’en suive. Une mort lente et extrêmement douloureuse dont la rapidité dépendait de l’acuité de la pointe, de la profondeur à laquelle on l'enfonçait et de la taille du pieu. Généralement l’extrémité du pal était arrondie afin de pouvoir s’introduire dans la chair sans l’écorcher directement, de sorte à ce que la torture dure le plus longtemps possible. Elle ressortait finalement par le thorax, les épaules ou la bouche en fonction de l’angle dans lequel elle avait été introduite. L’objectif de ce procédé était, évidemment, de terrifier ceux qui y assistaient.  

Rapidement, Vlad devient l’empaleur... Lors d’un raid devenu légendaire, “la nuit de la terreur”, il parvient à disperser des milliers d’Ottomans en s’introduisant la nuit dans leur principal campement. Il fait 20 000 prisonniers qu’il conduit dans sa capitale, Targoviste. Fidèle à sa réputation, il les fait tous empaler dans un espace de trois kilomètres sur un. Une effroyable forêt de pieux coiffés d’hommes agonisants… que découvrent les Turcs lorsqu’ils investissent la ville.

On comprend que le nouveau sultan, Méhémet II, décide alors de le pourchasser jusque dans les montagnes. Il fait le siège de son château situé au cœur des Carpates. Vlad s’y est réfugié avec son épouse Drusilla. Un Valaque fidèle décoche une flèche en direction d’une tour du château. Elle porte un message annonçant l’arrivée imminente des Turcs. C’est Drusilla qui le découvre. Terrorisée à l’idée de devenir la prisonnière du sultan, elle préfère se jeter du haut de la tour dans la rivière. Bram Stoker ne s’intéressera pas à cet épisode. Mais bien plus tard, Francis Ford Coppola en fera la scène d’ouverture de son magistral film "Dracula", sorti en 1993. Vlad réussit à s’échapper avant l’arrivée de ses ennemis. Il trouve refuge auprès de Mathias Corvin, roi de Hongrie et Voïvode, c'est-à-dire seigneur de Transylvanie. Mais Corvin, horrifié par ses forfaits, le fait emprisonner pendant douze ans. Dans une lettre au Pape, il décrit Dracula comme un pervers, capable d’inventer les pires supplices pour torturer ses prisonniers.

Un pamphlet anonyme, "Histoire du Voïvode Dracula", commence alors à circuler. Il décrit par le menu les exactions commises par le prince. C’est une démolition en règle du personnage. Il est pourtant libéré en 1474, et reconquiert son trône de Valachie deux ans plus tard. C’est à ce moment-là qu’il va livrer sa dernière bataille contre les  Turcs. Trahi par un de ses hommes de confiance, il est attaqué par surprise et se fait décapiter d’un coup d’épée. Il avait 45 ans. La cruauté de Vlad l’empaleur a convaincu Bram Stoker d’en faire l’incarnation du Mal, mais il manque à son héros quelque chose d’essentiel pour le rendre encore plus redoutable : l’immortalité…

Dracula devient un vampire

On raconte qu’une nuit de 1895, Bram Stoker dormait très mal à la suite d’une indigestion de crabes farcis. Il aurait rêvé qu’un vampire sortait de sa tombe pour venir lui sucer le sang ! On n’est pas tout à fait sûr de la véracité de ce cauchemar. Mais ce qui est certain, c’est que le génie de l’auteur a été de faire de Dracula un vampire ! 

Depuis l’Antiquité, le sang a un caractère sacré. Le Christ a sauvé l’Homme en offrant son propre sang pour sceller la Nouvelle Alliance. Dès le XIe siècle, des croyances se propagent, parlant de revenants capables de sucer le sang des mortels. Les récits de vampires deviennent abondants aux XIIe et XIIIe siècles mais ils disparaissent au cours du XIVe siècle en Europe Occidentale. On peut y voir l’influence de l’Inquisition qui, par sa lutte contre les hérésies, fait taire les nombreuses superstitions, alors très répandues. 

Au même moment, des récits mettant en scène des vampires se mettent à circuler dans les Balkans, en Russie et en Grèce, mais l’Eglise Orthodoxe se montre plus souple, ce qui permet à ces histoires de perdurer. Il faut attendre le XVIIIe siècle pour que les vampires refassent parler d’eux en Europe Occidentale. Les dictionnaires anglais et français commencent à mentionner le mot de "vampire" à partir de 1732. Le terme est emprunté au serbe et dérivé de "Opyr", qui existe dans toutes les langues slaves et désigne une "créature imaginaire buveuse de sang"… 

Le vampire est un revenant, un ancien vivant mais qui se manifeste sous une forme tangible. Il y a des êtres prédisposés à devenir vampires, notamment les personnes rousses avec un système pileux particulièrement développé. Les autres deviennent vampires en étant mordus par un vampire d’origine. Le vampire ne supporte pas la lumière du jour. Il s’en protège dans son cercueil, et ne s’éveille que la nuit, de préférence quand la Lune brille. 

L’astre participe à la dramatisation du récit par sa lumière blafarde qui souligne les ombres plus qu’elle ne dissipe les ténèbres. Pour se débarrasser d’un vampire, il faut agir aux premières lueurs de l’aube et lui enfoncer un pieu dans le cœur d’un seul coup ! Il peut alors se volatiliser en poussière. Sinon, on le décapite avec une bêche de fossoyeur puis on brûle les restes afin d’éviter qu’il ne se reconstitue. Ensuite, il faut disperser ses cendres aux quatre vents. Bram Stoker connaît parfaitement tous ces rituels, mais vaincre Dracula ne sera pas une tâche facile. Il faudra à peu près 660 pages pour en venir à bout !

Un roman fascinant 

Stoker utilise les lettres ou les journaux intimes de chacun des protagonistes pour raconter son histoire. C’est habile car cette intimité avec les personnages rend le récit fascinant. On passe de Londres à la Transylvanie sans perdre le fil. C’est vif et enlevé. Un grand plaisir de lecture ! 

L’auteur s’est documenté sur les Carpates où il n’a jamais mis les pieds. Il les décrit avec une précision remarquable, comme le faisait Jules Verne dans les aventures de ses personnages. Le récit commence par le départ de Jonathan Harker, jeune clerc de notaire, vers un château dans les montagnes de Roumanie. Il prend un bateau puis un train. Il va rencontrer le mystérieux comte Dracula, qui a décidé d’acquérir une propriété en Angleterre où il compte s’installer. Jonathan est chargé de lui faire signer les actes d’achat. Très vite, il s’inquiète de ce personnage troublant. Une nuit, il observe Dracula sortant par une fenêtre : "Je vis le corps entier jaillir lentement de la fenêtre et se mettre à ramper, tête en bas, le long de la paroi du château, au mépris de ce gouffre qui s’ouvrait sous lui. Oui, il rampait comme une bête avec son manteau qui flottait dans le vent, comme deux monstrueuses ailes animales… Je distinguai les doigts et les orteils qui s’agrippaient aux angles des moellons sans mortier et qui se servaient de la moindre aspérité, de la plus petite saillie pour descendre à une vitesse étonnante, comme un lézard le long de muraille."

Autre source d’inquiétude, trois somptueuses créatures aux dents acérées tentent de le séduire. Dracula les arrête avant l’irréparable ! Jonathan a raison d’avoir peur : Dracula c’est le Diable, le Mal absolu et le Diable a décidé, à lui seul, d’envahir l’Angleterre ! 

Bram Stoker s’est inspiré de la tradition pour créer le comte : il est allergique à l’ail, il craint les croix et les objets consacrés, il a le pouvoir de se transformer en brouillard ou en chauve-souris. Mais l’auteur a aussi inventé de nouvelles caractéristiques. Ainsi, il n’y a pas de miroir dans le château car ils ne peuvent refléter les vampires. Roman Polanski s’en souviendra dans son délicieux et brillant pastiche "Le bal des Vampires", en 1967. 

Dracula accoste en Angleterre à bord du cargo Déméter, à Whitby, petite ville balnéaire du Yorkshire, en compagnie de quelques cercueils où dorment ses dévouées succubes, des démons femelles. La tragédie va pouvoir commencer.

 

Ressources bibliographiques :

Bram Stoker, Dracula, Traduction de Jacques Finné (Le Livre de Poche, 1979)

Céline du Chéné & Jean Marigny, Dracula, prince des ténèbres (Larousse, 2009)

Dorica Lucaci, Dracula, le mal aimé de l’Histoire (Editions de l’Opportun, 2019)

 

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"Au cœur de l’Histoire" est un podcast Europe 1 Studio

Auteur et présentation : Jean des Cars
Production, diffusion et édition : Timothée Magot
Réalisation : Jean-François Bussière
Graphisme : Karelle Villais