Ce que la grève des VTC révèle de "l’uberisation"

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Les chauffeurs de VTC étaient invités à se mobiliser jeudi pour dénoncer le comportement d'Uber. © ALAIN JOCARD / AFP
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ZOOM - Les chauffeurs de VTC ont manifesté jeudi pour dénoncer le comportement de la plateforme Uber. Mais le problème est bien plus large.

Rond-point de la porte Maillot, aéroport d’Orly et de Roissy : près de 300 chauffeurs VTC ont décidé de ne pas travailler et de bloquer plusieurs points névralgiques de la capitale pour faire entendre leurs revendications. Et c’est loin d’être une première : les chauffeurs de VTC ont déjà manifesté en octobre puis décembre 2015, en février, en mars puis en novembre 2016. Mais pourquoi ceux à qui l’uberisation de l’économie est censée donner un emploi multiplient-ils les manifestations ?

Les raisons de la grogne. Si le géant américain Uber s’attire particulièrement leur rancœur, les autres plateformes de réservation en ligne sont aussi pointées du doigt. En effet, les nouveaux syndicats (SCP/VTC) comme les associations de chauffeurs (Capa-VTC, VTC de France et Actif-VTC) soulignent que le problème est généralisé. A leurs yeux, l’ensemble du secteur est marqué par une relation déséquilibrée entre chauffeurs et plateformes de réservation, ces dernières étant accusées d’imposer leurs décisions sans aucune concertation. C’est ainsi que le syndicat SCP-VTC, affilié à l’Unsa, dénonce des "commissions excessives", une politique tarifaire aléatoire, une "déconnexion abusive" des plateformes à la moindre mauvaise note et sans aucune possibilité de contestation.

Ces problèmes ne sont pas nouveaux mais Uber a ravivé la mobilisation en annonçant début décembre qu’il allait augmenter ses tarifs de 10 à 15% pour "améliorer la condition des chauffeurs". Ce qui ressemble à une bonne nouvelle pour les VTC n’a pourtant pas suscité leur enthousiasme, et pour cause : cette hausse intervient un an après une baisse des tarifs de 20%, elle ne compense donc pas le régime sec imposé en octobre 2015. Et, surtout, cette revalorisation des tarifs s’accompagne d’une hausse de la commission qu’empoche Uber à chaque course : cette dernière a augmenté de 25%, passant de 20 à 25% du prix de la course. Ce geste n’a donc pas permis d’apaiser les tensions avec des chauffeurs VTC qui estiment être victimes d’une relation déséquilibrée.

Un défi qui ne se limite pas aux seuls VTC. Si le transport en VTC cristallise les tensions, le problème va se poser aussi ailleurs puisque l’uberisation touche déjà la location entre particuliers, les services à la personne et pourrait s’étendre à d’autres secteurs. "Un nombre croissant de travailleurs indépendants créent leur entreprise ou choisissent de nouvelles formes d’exercice de leur activité. Et les mutations du travail se développent et s’entrecroisent", confirme Patrick Levy-Waitz, président de la Fondation Travailler autrement, avant de mettre le doigt sur la source du malaise : "facteur d’avancées et d’innovation, l’ubérisation est aussi source d’illisibilités et de complexités car notre système juridique est encore peu adapté à ces transformations. S’y ajoute un clivage générationnel souvent très marqué, qui change le regard de nombreux nouveaux acteurs sur la protection sociale".

Le premier défi posé par l’uberisation concerne en effet l’adaptation de notre modèle social à cette nouvelle donne. La plupart des travailleurs concernés choisissent le statut de micro-entrepreneur, qui n’est pas sans inconvénient, comme le rappelait le rapport Terrasse publié en février 2016 : aucune protection n’est prévue en cas de chômage, d’accident du travail ou de maladie professionnelle, sans oublier un régime bien moins favorable que le salariat en matière de retraite. Si les prix ont tendance à baisser dans les secteurs ubérisés, c’est donc en partie parce que la protection sociale y est moindre. Mais à la fin, l’Etat reste l’assureur en dernier recours et doit financer une protection sociale minimale pour les plus en difficulté, tandis que les plateformes n’ont plus aucun des inconvénients d’un employeur. Sans oublier que les entreprises de l’économie traditionnelle peuvent crier à la concurrence déloyale puisqu’elles financent "normalement" notre modèle social.

L’autre problème concerne la relation qu’entretiennent les travailleurs indépendants et les plateformes qui leur fournissent du travail. Sur le papier, les travailleurs sont libres de travailler quand ils le veulent, c’est même un argument régulièrement mis en avant. Dans les faits, cette liberté est toute relative : dans le secteur des VTC par exemple, un chauffeur qui refuse trop de courses peut se voir rayé des listes. Et sur certaines plateformes, ils doivent accepter les courses avant de connaître la destination. Leur indépendance est donc limitée et parfois assez pour que l’Urssaf ait ouvert une enquête : à ses yeux, une partie des chauffeurs VTC devraient être considérés comme des salariés des plateformes, et non comme des indépendants. En Californie comme au Royaume-Uni, la justice a d’ailleurs déjà pris des décisions similaires.

Le législateur en quête de solutions. L’essor du travail uberisé n’est donc pas anodin : s’il crée plus d’emplois qu’il n’en détruit, comme l’avance un récent rapport de la Coface, la nature des emplois créés pose question. Et oblige l’Etat à s’adapter.

Le secteur des VTC étant celui où la révolution fut la plus rapide, c’est dans ce secteur que le législateur est le plus créatif. Après la loi Thévenoud, une nouvelle réforme est en cours d’examen, portée par le député Laurent Grandguillaume. Son but : rapprocher un peu plus les statuts des taxis et des VTC pour éviter une concurrence déloyale et rééquilibrer la relation entre chauffeurs et plateformes. Les lignes commencent également à bouger dans les locations immobilières de type Airbnb ou Abritel : les propriétaires devront verser des cotisations sociales à partir d’un certain niveau de revenus, revenus qui seront bientôt transmis automatiquement aux services fiscaux. Pour l’Etat, le défi est donc double : réguler un secteur sans en brider l’essor.