Quatre boulangeries sur cinq sont liés à de grands meuniers industriels. 4:14
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édité par Margaux leridon
A l'occasion du prix de la meilleure baguette de tradition française, qui sera remis mercredi, Europe 1 revient sur les grands enjeux du secteur, entre pression économique des meuniers et retour à l'authenticité. 

Mercredi, on connaîtra la meilleure baguette de tradition française. Le monde entier nous l’envie et pourtant, n’est-elle pas en train de perdre son identité ? Les multinationales de la farine n’ont-elles pas pris la main, et fini par imposer un standard trop uniforme ?

A la fin des années 1980, la baguette avait perdu de sa saveur. Elle s'était transformée en un pain trop blanc, bourré d’additifs. Les boulangers ont donc réagi. En 1993, le décret "pain" réglemente notamment la composition du pain de tradition française avec de la farine, du sel, de l’eau et de la levure, rien d’autre. Et pour fabriquer cette fameuse tradition, les boulangers achètent une farine spéciale auprès des quelques 400 meuniers qui existent en France.

Aide à l'installation contre cahier des charges strict

Le problème, c’est que les grands groupes qui commercialisent ces farines ne se limitent pas uniquement à la vente de la farine. Baguépi ou encore Banette, ce sont devenus des labels, que vous retrouvez dans quatre boulangeries sur cinq. Les enseignes aident les jeunes artisans à se lancer, à s’installer... Mais la contrepartie, c’est un cahier des charges très strict. De fait, ça rend les boulangers très dépendants vis-à-vis de ces groupes.

Bernard est artisan boulanger depuis 40 ans, dont les 25 derniers à vendre des traditions. Et aujourd’hui, il ne pourrait absolument plus s’en passer. "90% de ma clientèle me demande de la tradition. Si je veux arrêter demain, je ferme la boutique". Dans sa petite exploitation, il dénonce les prix trop élevés de cette farine spéciale. "Je suis coincé, je suis obligé d'en acheter. Je sais qu'ils se font des marges énormes. Ce sont des meuniers qui détruisent les artisans qui les font vivre". 

De leur côté, les enseignes répondent qu’elles font beaucoup pour la filière. Leur activité, c’est de l’aide et de l’accompagnement, à en croire Benoit Grison, directeur commercial et marketing des Moulins Soufflet, qui détiennent Baguépi. "C'est à nous d'accompagner les boulangers, de leur proposer les bons produits, les bons services, et la capacité à racheter une boutique ou de changer de boutique", explique-t-il. 

La boulangerie industrielle favorisée

Le prix de vente de la farine reste très secret, mais ce qui est sûr, c’est que le petit artisan boulanger la paye beaucoup plus chère que la grande boulangerie industrielle, que vous retrouvez en périphérie des villes ou dans votre centre commercial. Or, les grands groupes de farine y investissent massivement.

Christophe Zunic est un pionnier de la baguette artisanale. Il est reconnu pour faire sa farine lui-même. Formateur, auteur également de l'ouvrage Maîtrise et secrets du pain, il a vu l’offensive des grands groupes de farine opérer au début des années 2000.

"Il y avait des grandes enseignes comme Baguépi ou Moulins de Paris, qui travaillaient avec les artisans, mais qui en parallèle alimentaient des réseaux de distribution industrielle à travers des viennoiserie surgelées ou des usines à pain. Sur une farine, c'est l'artisan qui payait le prix fort, pour ensuite pouvoir faire un cadeau au niveau du prix pour les industriels"

Un retour à l'authenticité ?

Prenons justement le groupe Soufflet, qui détient Baguépi. Cette double politique, petits artisans d’un côté et grande boulangerie industrielle de l’autre, lui permet de peser 4,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

Sauf qu’aujourd’hui, un retour à l’authenticité s’amorce. C’est le consommateur qui le réclame. Dans les centres-villes, on voit apparaître de plus en plus de maîtres boulangers, qui excellent dans l’art de la farine et assurent le processus de fabrication de la baguette de A à Z, quitte à s’affranchir des labels. Mais là, aucune aide à l’installation d’un meunier. Mieux vaut donc avoir un business plan bien ficelé et une bonne trésorerie de départ.