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Alors que de nombreuses voix s’élèvent pour appeler à une relocalisation des modes de production, Isabelle Méjean,​ professeur à Polytechnique et spécialiste du commerce extérieur, estime mardi sur Europe 1 que le problème n’est pas là. Pour cette économiste, il faut surtout diversifier les modes d’approvisionnement pour ne plus être dépendant d’une poignée d’entreprises.
INTERVIEW

La crise liée à l’épidémie du coronavirus a montré les faiblesses du commerce international tel qu’il est organisé aujourd’hui. Ainsi, la mise à l’arrêt de très nombreuses entreprises en Chine a eu un effet domino sur des société françaises et européennes, dont la chaîne de production se retrouvait asséchée. Alors que nombre de voix s’élèvent pour appeler à une relocalisation de la production, ​Isabelle Méjean,​ professeur à Polytechnique et spécialiste du commerce extérieur, fait entendre une opinion différente.

"Ce qu’on observe n’est pas un problème de souveraineté industrielle, c’est un problème de trop forte concentration dans le commerce international tel qu’il est organisé aujourd’hui", explique la lauréate du Prix de la Meilleure jeune économiste Le Monde et le Cercle des économistes 2020.

Pour un "mode d’approvisionnement plus diversifié"

"La plupart des biens de consommation qu’on achète, en particulier sur les marchés mondiaux, sont produits dans des chaines de valeurs, dans des modes d’organisation qui sont très concentrées, organisées autour d’un très petit nombre d’entreprises qui produisent la quasi-totalité de la production mondiale", explique encore Isabelle Méjean. "Dans ce mode de production, on peut très facilement avoir des problèmes de rupture, d’approvisionnement, dès lors qu’une ou deux entreprises qui font partie de la chaîne de production fait face à des difficultés de productivité comme on peut avoir dans un cadre pandémique. "

En clair, "si on achète l’ensemble de nos besoins dans un type de bien à une seule entreprise, ça nous rend dépendant des performances cette entreprise en particulier", résume l’économiste. "L’enjeu, pour certains biens, et dans certains approvisionnements qui peuvent être jugés stratégiques, c’est donc d’essayer d’avoir un mode d’approvisionnement plus diversifié, en ayant deux fournisseurs possibles pour un bien de consommation particulier."

"Des gains de productivité et de coûts très importants, qui ont bénéficié au consommateur, mais..."

Mais comment en est-on arrivé là ? "On a eu des périodes de très fortes ouvertures au commerce internationale, qui ont généré des pressions concurrentielles importantes. Les entreprises ont voulu garder des parts de marché en produisant de manière plus efficace", répond Isabelle Méjean. "Cette augmentation de l‘efficacité est passée par ce qu’on appelle la fragmentation des processus productifs. Les entreprises sont allées s’approvisionner dans certaines composantes de la production dans différents pays, en s’adressant à un unique fournisseur pour ces composants."

Le gain a été réel pour les entreprises comme pour les consommateurs. "Cette fragmentation a permis aux entreprises de bénéficié de gains de productivité et de coûts très importants, qui ont bénéficié au consommateur. Grâce à ça, on achète des produits sophistiqués à un prix relativement faible", confirme l’économiste. "Mais la contrepartie, c’est cette très forte dépendance et cette fragilité des modes de production, sur laquelle il faut peut-être revenir aujourd’hui."