Fonction publique : la rémunération au mérite, "une bonne idée" pour Valls

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INTERVIEW E1 - Invité spécial de la matinale d'Europe 1, le Premier ministre s'est déclaré favorable à la rémunération au mérite des fonctionnaires, tout comme les ministres de l'Economie et de la Fonction publique.

Faire en sorte qu’un fonctionnaire qui travaille bien soit mieux payé que celui qui se contente du minimum, le Premier ministre n'est pas contre, bien au contraire. Interrogé sur la rémunération au mérite au sein de la Fonction publique, Manuel Valls a estimé mardi sur Europe 1 qu'il s'agit d'une "bonne idée". Et ce n'est pas le premier membre du gouvernement à le dire publiquement puisque les ministres de la Fonction publique et de l'Economie ont récemment tenu des propos similaires. Faut-il s'attendre à une réforme alors que  gouvernement et syndicats de fonctionnaires se retrouvent dans deux mois pour de nouvelles négociations sur les rémunérations ?

La ville de Suresnes rouvre le dossier. Comment lutter contre l’absentéisme et la démobilisation ? La commune francilienne de Suresnes, dirigée par Christian Dupiy (Les Républicains), pense avoir trouvé la solution : à partir d’avril 2016, la part variable de ses agents municipaux dépendra de leurs performances. Ceux ayant été bien notés gagneront plus d’argent, tandis que ceux ayant écopé d’un mauvais point se verront privés de primes. Tout sauf anecdotique lorsqu’on sait que la part variable représente de 25 à 35% de la rémunération totale des agents municipaux concernés, comme le précise Le Figaro. "La notion de mérite ne nous gêne pas du tout mais on veut que ce soit équitable", a réagi a micro d'Europe 1 Franck Bourgi, délégué CFDT à la mairie, avant de tracer une ligne rouge : il ne faut pas "qu’en contre-partie, on ne cherche pas des gens à baisser pour pouvoir augmenter les autres. Nous serons vigilants".

Dans le détail, les fonctionnaires seront notés sur plusieurs critères : attitude générale, réalisation des objectifs, prise d’initiative, absentéisme, etc. En fonction de ces différents aspects, ils recevront alors une note allant de "très insuffisant" à "exceptionnel" et qui conditionnera le versement de la part variable. Voici quelques extraits du document de notation : 

10.11.Remuneration merite extrait 1.E1.1280.500
10.11.Remuneration merite extrait 2.E1.1280.450

 

Ainsi, là où un fonctionnaire touchait 100 euros de prime auparavant, il pourra toucher jusqu’à 135 euros s’il a été très bien noté. A l’inverse, cette prime pourra descendra à 85 euros s’il n’a pas convaincu sa hiérarchie, soit une perte de 15 euros. Un tel système, validé par les syndicats de la ville, n’a pas manqué d’attirer l’attention, plusieurs communes ayant même contacté la mairie de Suresnes pour en savoir plus. Et du côté du gouvernement ?

Un gouvernement de plus en plus favorable à un tel système. Le ministre de l’Economie Emmanuel Macron l’a déjà déclaré à plusieurs reprises, non sans faire des remous : il est partisan d’une réforme de la Fonction publique. Et à ses yeux, une rémunération au mérite va dans le bon sens. "J’y suis tout à fait favorable", a-t-il réagi le 10 novembre sur Europe 1, avant de préciser : "je n’ai jamais dit que j’étais contre les fonctionnaires et cela c’est la réduction du débat politique. J’ai dit qu’il me semblait important de réfléchir à la modernisation du cadre". Et le ministre de poursuivre : "je pense qu’il faut accroître la part de mérite, d’évaluation dans la rémunération de la Fonction publique, c'est une manière de la moderniser. Simplement, la performance quand on est fonctionnaire, elle ne se mesure pas forcément comme dans l’entreprise parce qu’on est en charge de l’intérêt général".

Si la réaction d’Emmanuel Macron n’est pas une surprise, celle de Marylise Lebranchu était moins attendue. "On peut le faire dans la fonction publique, on peut le faire partout", a déclaré la ministre de la Fonction publique, le même jour sur BFM TV. Cette dernière a néanmoins insisté pour qu’une telle réforme se fasse dans la concertation.


Macron favorable à une rémunération au mérite...par Europe1fr

"J'y suis favorable à une condition : c'est qu'il y ait des discussions avec les organisations syndicales et que, y compris pour les travaux en équipe, on puisse avoir aussi cette prime ou cette forme d'avancement", a-t-elle précisé, avant d’insister : "il faut mettre tout sur la table, mais dans le dialogue social". "La première discussion qu'on va avoir avec les organisations syndicales, c'est : 'comment, avec quel type de primes on reconnaît la valeur professionnelle ?'", a ajouté la ministre.

Hasard du calendrier, gouvernement et syndicats de fonctionnaire ont rendez-vous en février 2016 pour une négociation sur les rémunérations. La question des primes au mérite risque donc de se poser, d'autant que Manuel Valls s'y est à son tour déclaré favorable. "C'est une bonne idée", a déclaré le Premier ministre mardi sur Europe 1, avant d'ajouter : "les fonctionnaires méritent d’être rémunérés au niveau de leur engagement”. 

Un chantier en jachère depuis 1945. Un tel chantier n’est cependant pas aisé. Comme le rappelle le magazine Challenges, la rémunération au mérite est dans les tuyaux depuis… l’après-guerre.  "Déjà en 1946, Maurice Thorez, patron du Parti communiste et ministre de la fonction publique, déclarait: ‘il est essentiel que la notation exprime la valeur réelle et inégale des agents’. Puis, un décret de février 1959 devait en théorie permettre de moduler les primes. Dans les faits, il n’a jamais été appliqué", précise l’hebdomadaire.

Plusieurs gouvernements ont bien tenté d’explorer cette voie, sans grand succès. C’est ainsi que le gouvernement Fillon a instauré dès 2008 une prime de fonctions et de résultats (PFR), mais le succès ne fut pas au rendez-vous. D’abord parce que la mesure ne concernait qu’une minorité de fonctionnaires, les cadres. Ensuite parce que le bonus-malus était limité : les bons éléments n’y gagnaient qu’une somme modique tandis que les fonctionnaires mal notés n’y perdaient rien. Le système a été réformé en 2013 par le gouvernement Ayrault pour devenir l’Indemnité de fonctions, d’expertise et d’engagement professionnel (IFEEP). Sans grand succès, les syndicats dénonçant un système trop complexe et opaque.

Secrétaire général du syndicat Force Ouvrière, Jean-Claude Mailly ne cache d'ailleurs pas son scepticisme à propos de la dernière initiative lancée à Suresnes. "On ne gère pas le personnel de la Fonction publique, compte-tenu de l’existence du statut, de la neutralité, comme on gère le personnel dans une entreprise privée", a-t-il réagi mi-novembre sur Europe 1 . Avant d'ajouter : "individuellement, vous pouvez toujours être intéressé parce que vous pensez que vous allez percevoir plus. Mais vous avez noté comme moi qu’il n’y a pas de budget supplémentaire. Cela veut dire que pour augmenter la prime d’un fonctionnaire, on va diminuer la prime d’un autre. Donc cela va créer des tensions et je ne suis pas sûr, je suis même persuadé du contraire, qu’à la fin le service public soit mieux rendu".