Air France-KLM : comment expliquer l’offensive néerlandaise ?

Air France KLM
Air France et KLM sont alliées depuis 2004. © JOEL SAGET / AFP
  • Copié
, modifié à
L’État néerlandais a réalisé une montée au capital surprise d’Air France-KLM mardi, déclenchant un regain de tension entre les deux compagnies aériennes partenaires.
ON DÉCRYPTE

Zone de fortes turbulences en vue pour Air France-KLM. Le groupe aérien est secoué depuis une annonce de l’État néerlandais (pays d’origine de KLM) mardi soir, déclarant qu’il s’est adjugé dans l’ombre 12,68% du capital de l’alliance. Une prise de participation surprise, réalisée sans concertation avec les autres partenaires d’Air France-KLM, à commencer par l’État français, actionnaire majoritaire qui dénonce avec force une initiative "inamicale".

Pourquoi l’État néerlandais est-il monté au capital d’Air France-KLM ?

C’est le ministre néerlandais des Finances Wopke Hoekstra qui a déclenché les hostilités publiquement en annonçant mardi soir la montée au capital de l’État dans Air France-KLM. Cette acquisition surprise, réalisée à partir du 20 février, lui a coûté 680 millions d'euros, a-t-il précisé dans une lettre au Parlement. "L'objectif est d'obtenir à terme une position équivalente à celle de l'État français", a-t-il ajouté. La France détient actuellement une participation de 14,3% dans le groupe. Cette opération fait des Pays-Bas le second actionnaire du groupe, devant deux autres compagnies partenaires : Delta Airlines et China Eastern Airlines (8,8% chacune).

Mise à jour : La Haye porte sa part à 14% et se rapproche de celle de Paris. Le gouvernement néerlandais a annoncé mercredi avoir achevé son opération de rachat de parts d'Air-France KLM et en détenir 14%, soit presque autant que la France et ses 14,3%. Sa participation est désormais valorisée à 744 millions d'euros, a-t-il ajouté, précisant que "l'opération de rachat de parts d'Air-France-KLM est achevée".

Officiellement, le coup d’éclat des Néerlandais est imputé à des craintes, aux Pays-Bas, sur la direction du groupe. En effet, il intervient après de fortes tensions sur l'avenir du patron de KLM, Pieter Elbers, que le conseil d'administration d’Air France-KLM a finalement proposé de reconduire dans ses fonctions le 19 février. Selon la presse néerlandaise, bien que confirmé à son poste, la position de Pieter Elbers était considérée comme "difficile" étant donné la volonté de Ben Smith, patron du groupe, de rapprocher le fonctionnement des deux compagnies. En outre, le Canadien va entrer au conseil de surveillance de KLM lors de la prochaine assemblée générale de la compagnie néerlandaise, ce qui avait été le point de départ de la polémique aux Pays-Bas.

D’où viennent les tensions entre Air France et KLM ?

Les tensions entre Air France et KLM, certes alliées mais en réalité très indépendantes (voir encadré), sont plus anciennes. La question d'une croissance équilibrée des deux compagnies est régulièrement revenue sur la table depuis la fusion en 2004, la Néerlandaise progressant sagement, pendant que sa bruyante sœur française est secouée régulièrement par des conflits sociaux. Résultat, alors qu’Air France emploie plus de monde, possède une flotte d’avions bien plus large et réalise un chiffre d’affaires supérieur, c’est pourtant KLM qui réalise aujourd’hui les trois quarts des profits du groupe.

La fracture entre les deux compagnies avait de nouveau fait surface l’an dernier. La série de grèves chez Air France avait en effet suscité l'inquiétude des Néerlandais sur la stabilité de la compagnie française.

Quel impact sur le groupe Air France-KLM ?

Comme souvent dans ce genre de cas, la première conséquence est boursière : à la mi-journée, l’action d’Air France dévissait de 11%, à Paris (après un plus bas à -14% vers 10h30). Cette opération "est probablement positive pour la concurrence au sein du groupe (c'est-à-dire qu'elle met la pression sur Air France pour améliorer sa rentabilité) mais pourrait aboutir à une escalade de tensions, la compagnie devenant encore plus politique", soulignent les analystes de la Société Générale dans une note à leurs clients investisseurs.

Inquiétude au sein d'Air France. Les répercussions politiques au sein du groupe sont de fait plus à craindre que l’impact financier. L’accumulation des rancœurs néerlandaises, ponctuée par le coup d’éclat de mardi soir, laisse donc planer le risque de bouleversements en interne. "Le gouvernement néerlandais va maintenant demander une représentation au conseil d'administration", président les analystes de la Société Générale. Pour Bernard Garbiso, secrétaire général de la CFE-CGC coté Air France, "la prise de position de l'État (néerlandais, ndlr) montre un certain chauvinisme néerlandais sur KLM. C'est un coup politique. Ce n'est pas bon d'avoir KLM qui veut prendre le pouvoir sur Air France".

Une volonté de contrôle que ne cache pas le ministre néerlandais des Finances Wopke Hoekstra. "Avec cette acquisition, le gouvernement néerlandais veut pouvoir influencer directement le développement futur d'Air France-KLM afin d'assurer de la meilleure façon possible l'intérêt public néerlandais", a-t-il précisé. "Il est devenu évident que les décisions importantes concernant la stratégie de KLM sont prises de plus en plus au niveau d'Air France-KLM", a souligné le ministre. Pris de court, le conseil d’administration d’Air France-KLM devait se réunir mercredi en milieu de journée.

Que compte faire la France ?

Premier actionnaire d’Air France-KLM, l’État français a vertement critiqué mardi matin l’initiative "surprenante" et "inamicale" des Pays-Bas. En effet, la prise de participation "s'est faite sans information du conseil d'administration ni du gouvernement français", a déclaré aux Échos le ministre de l'Economie Bruno Le Maire. "Il est essentiel de respecter les principes de bonne gouvernance et qu'Air France-KLM soit géré dans l'esprit de son intérêt social sans interférence étatique nationale", a-t-il ajouté. Le ministre doit rencontrer son homologue néerlandais Wopke Hoekstra en fin de semaine.

À Bercy, on s’étouffe et on dénonce même "une forme de duplicité" des Néerlandais. "Lors de la succession de Jean-Marc Janaillac, nous avons eu des contacts avec l’État néerlandais, qui n’était pas actionnaire à l’époque, pour le choix du successeur. Pieter Elbers, patron de KLM, avait été approché pour le poste de directeur général mais il a refusé", rappelle le ministère, qui récuse au passage les accusations de "manque de collaboration". Bercy critique également l’impact "perturbateur" de cette montée au capital sur le groupe, au sein duquel "Ben Smith a pris des décisions importantes et a ramené la sérénité".

De son côté, le président français Emmanuel Macron a appelé mercredi le gouvernement néerlandais à "clarifier ses intentions"