Air France : Benjamin Smith rejoint le club fermé des patrons étrangers en France

Tom Enders (Airbus), Carlos Tavares (PSA) et Thomas Buberl (Axa) font partie des rares dirigeants étrangers du CAC 40.
Tom Enders (Airbus), Carlos Tavares (PSA) et Thomas Buberl (Axa) font partie des rares dirigeants étrangers du CAC 40. © AFP / Montage Europe 1
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avec AFP
Benjamin Smith, nouveau PDG d'Air France-KLM, rejoint les cinq dirigeants étrangers d'entreprises du CAC 40. Un groupe restreint mais qui a su se faire une place dans le paysage économique.

Son nom circulait depuis plusieurs jours : le Canadien Benjamin Smith a été officiellement intronisé PDG d'Air France-KLM jeudi, à l'issue d'un conseil d'administration de la compagnie aérienne. Un patron étranger à la tête d'une grande entreprise française : l'événement est assez rare pour mériter de s'y arrêter quelques instants. Outre Air France, seuls cinq autres entreprises du CAC 40 sont gouvernées ont un dirigeant étranger. Dans l'économie mondialisée, la France a longtemps été réfractaire aux nominations étrangères mais les mentalités évoluent progressivement.

Cinq patrons étrangers. Benjamin Smith rejoint un club très fermé : à part lui, seuls cinq sociétés du CAC 40 ne sont pas dirigées par un Français. Le constructeur automobile PSA (Carlos Tavares, président du directoire depuis 2014, Portugais), le géant de l'aéronautique Airbus (Tom Enders, PDG depuis 2012, Allemand) et l'assureur Axa (Thomas Buberl, PDG depuis 2016, Allemand). Le groupe de services pétroliers franco-américain TechnipFMC et le géant mondial de l'acier ArcelorMittal complètent le tableau, avec respectivement à leur tête l'Américain Doug Pferdehirt et l'Indien Lakshmi Mittal, même si ces cas sont un peu plus particuliers, en raison des fusions que ces groupes ont connues.

Dans cette liste, on peut intégrer par extension Carlos Ghosn, le PDG de Renault. Né au Brésil, il possède également les nationalités libanaise et française. A la tête de l'alliance franco-japonaise Renault-Nissan, il est assimilé à un dirigeant étranger, notamment à hors de France.

Des patrons applaudis, d'autres critiqués. Tous ne connaissent pas la même fortune aux yeux des salariés et de l'opinion. Tom Enders a contribué à restructurer Airbus, qui enchaîne les années records mais traîne le flop de l'A380 comme un boulet et quittera son poste en 2019. Carlos Tavares et Carlos Ghosn ont tous deux été applaudis pour avoir respectivement redressé PSA et fait de Renault-Nissan un leader mondial du marché automobile. Mais tous deux ont connu des contestations ponctuelles en interne, le premier pour les milliers de suppressions de poste ces dernières années, le second, plus récemment, pour le montant très élevé de sa rémunération annuelle

Si Doug Pferdehirt et Thomas Buberl se font plutôt discrets, on ne peut pas en dire autant de Lakshmi Mittal. Le chef d'entreprise indien avait été dans l’œil du cyclone en 2012, lors de la fermeture des hauts-fourneaux de Florange. Très critiqué par les salariés pour son manque d'implication en France, le patron du géant de l'acier avait aussi été mis dos au mur par le gouvernement français qui l'exhortait à tenir ses promesses en matière d'emploi et d'investissement. Un épisode qui a durablement écorné l'image de Lakshmi Mittal.

Benjamin Smith face à l'hostilité des syndicats. Preuve qu'il n'est toujours pas aisé d'être un étranger à la tête d'un groupe français, la nomination de Benjamin Smith a hérissé le poil de l'intersyndicale. D'une même voix, les neuf syndicats d'Air France (CGT, FO, SUD, SNPNC, Unsa-PNC, CFTC, SNGAF, SNPL, Alter) ont critiqué sa nomination en raison de sa nationalité. L'intersyndicale, qui a mené 15 journées de grève depuis février pour les salaires, "soutient qu'il est inconcevable que la compagnie Air France, française depuis 1933, tombe dans les mains d'un dirigeant étranger".

Ces syndicats arguent notamment que le candidat doit faire sienne "la défense des intérêts de notre compagnie nationale". Benjamin Smith "a peu de connaissances sur l'environnement français et européen. Le risque est grand de perdre beaucoup de temps", a déploré sur Europe 1 Philippe Evain, représentant du syndicat de pilotes SNPL.

Les mentalités évoluent. Pourtant, "la tendance est plutôt à l'intégration de patrons européens, voire internationaux" en France, explique à l'AFP un expert du CAC 40. "Avec la nécessité d'être le plus international et multiculturel possible, on commence à s'ouvrir, on est obligés de sortir de l'entre-soi", juge-t-il. Les grandes entreprises françaises, comme les allemandes, se distinguent en Europe par la place relativement faible laissée à des patrons étrangers, selon une étude de 2016 de la société de consultants en ressources humaines DHR International. Au total, "90% des PDG du CAC 40 sont français", tandis qu'en Allemagne, la proportion de patrons allemands s'élève à 80% au sein du Dax 30. La moyenne sur le Vieux continent était en 2016 de 60% de grands patrons originaires du même pays que celui du siège de leur entreprise, une baisse de onze points en dix ans.

La France s'adapte progressivement aux pratiques de ses voisins. Si l'on tient compte des dix dernières années, c'est même 1/8e du CAC 40 qui présente une coloration cosmopolite, selon l'expert cité par l'AFP. "Il y a eu, qu'on le veuille ou non, au cours des dix dernières années, au moins sept patrons du CAC 40 qui étaient étrangers et/ou qui le sont encore (en ajoutant le germano-canadien Christopher Viehbacher, qui a dirigé le groupe pharmaceutique Sanofi de 2008 à 2014, et le suédois Lars Olofsson, chez Carrefour de 2009 à 2012, ndlr). Ce n'est pas négligeable."