Accord de Paris : en cas de retrait, les entreprises américaines pourraient perdre gros

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Même le géant pétrolier Exxon milite pour que les États-Unis restent dans l'accord de Paris. © KAREN BLEIER / AFP FILES / AFP
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et Xavier Yvon, avec AFP
Emplois, marchés, croissance : les entreprises américaines craignent qu’un retrait de l’accord de Paris décidé par Donald Trump ne leur fasse rater le train des nouvelles énergies.

Donald Trump annoncera aujourd’hui à 21h heure française sa décision sur l’accord de Paris sur le climat et les médias américains croient savoir qu’il va sortir les États-Unis de ce texte historique. Rien de surprenant : pendant toute sa campagne, le milliardaire avait répété qu’il était "mauvais" pour l’économie américaine. Mais la plupart des grandes entreprises américaines ne sont pas de son avis, et tentent d’influencer la décision du Président.

Lettre au Président. Les multinationales américaines le disent haut et fort : sortir de l’Accord de Paris serait une erreur économique. Jeudi matin, 25 grands groupes, parmi lesquels Apple, Google, Microsoft, Gap ou encore Levi’s, ont acheté des encarts publicitaires dans le New York Times ou le Wall Street Journal uniquement pour s’adresser au Président. Très investi dans l’énergie électrique, le patron de Tesla Elon Musk affirme de son côté avoir "fait tout son possible pour convaincre le Président de rester".

Les pétroliers s’alignent. Même des poids lourds du secteur énergétique, qui auraient a priori le plus à perdre, ont suivi le mouvement impulsé par l'accord de Paris de décembre 2015, qui vise à limiter la hausse du thermomètre mondial à moins de +2°C par rapport à l'ère pré-industrielle. Darren Woods, le PDG du groupe pétrolier Exxon Mobil (l’ex-patron Rex Tillerson est depuis janvier le Secrétaire d’État de Trump) a écrit personnellement à Donald Trump pour le conjurer de ne pas quitter l’Accord de Paris, afin de répondre efficacement aux "risques" climatiques. Le rival Chevron "continue de soutenir l'accord de Paris parce qu'il constitue un premier pas vers un cadre international", assure une de ses porte-parole, Melissa Ritchie.

" Les entreprises s'engagent sur le climat parce ce que ça leur ouvre des opportunités massives "

Emplois et compétitivité en jeu. Cet élan de soutien des entreprises américaines à l’accord sur le climat n’est pas dénué d’intérêt. Il a plus à voir avec la rentabilité qu’avec la conscience environnementale. Parmi les raisons invoquées pour rester dans l’accord, les signataires du texte publié dans les journaux avancent une "compétitivité accrue", des opportunités de "créer des emplois, des marchés et de la croissance" et "une réduction des risques" financiers liés aux événements climatiques. Il n’y a probablement pas de meilleurs arguments pour convaincre un Président qui s’est lui-même vanté d’être "le plus grand créateur de jobs que Dieu ait fait".

Les entreprises américaines ont déjà entamé leur "transformation verte". Bien avant que ne plane la menace d'un retrait américain, Coca-Cola et le conglomérat industriel General Electric (GE) ont promis de réduire leur empreinte carbone de respectivement 25% et 20% d'ici à 2020, tandis qu'Apple se targue déjà d'utiliser 100% d'énergies renouvelables pour ses activités aux États-Unis. Des engagements coûteux car ils impliquent de changer de modèle de production (transport, énergie, etc.).

"Les entreprises s'engagent davantage sur le climat sans tenir compte de la décision du Président Trump parce que cela leur permet d'économiser de l'argent, de réduire les risques et surtout parce ce que ça leur ouvre des opportunités massives", analyse Kevin Moss de l'organisation environnementaliste World Resources Institute.

Perte d’intérêt des énergies fossiles. La donne économique a, de fait, radicalement changé. De grands investisseurs se détournent des énergies fossiles et les entreprises sont pressées de toutes parts d'adapter leur modèle de croissance à un monde délesté du carbone. "Nos clients, partenaires et les États exigent des technologies qui produisent de l'électricité tout en réduisant les émissions", affirmait fin avril Jeff Immelt, le patron de General Electric.

Dans le même temps, les nouvelles énergies sont devenues plus intéressantes économiquement. Au cours des dernières années, les cours du pétrole se sont effondrés, le prix du baril évoluant autour de 50 dollars contre plus de 80 il y a dix ans. Résultat : les investissements dans cette énergie fossile sont devenus bien moins rentables. Le coût des énergies renouvelables (éolien, solaire...) a parallèlement fondu sous l'effet des incitations publiques, dynamisant le secteur et le rendant plus attractif.

Investissements massifs dans le renouvelable. En conséquence, les leaders du secteur de l’énergie ont de nouvelles priorités. American Electric Power, un des principaux producteurs d'électricité aux États-Unis, assure ainsi être déterminé à se "diversifier" et à investir "dans les renouvelables et dans d'autres innovations qui augmentent l'efficience (énergétique) et réduisent les émissions", assure sa porte-parole Melissa McHenry. "Du fait des prix compétitifs du gaz naturel et du déclin des prix des renouvelables, continuer à se désengager du carbone est judicieux à nos yeux", souligne la PDG du groupe d'énergie Duke Energy, Lynn Good, dans les colonnes du Wall Street Journal.

Encore des sceptiques. Tout n’est pas rose (ou plutôt vert) pour autant. Un certain scepticisme continue certes de prévaloir dans certains secteurs, notamment sur les modalités exactes des efforts climatiques et sur leur impact. L'American Petroleum Institute (API), qui représente 625 entreprises, dit ainsi se méfier des "contraintes imposées par le gouvernement qui pourraient augmenter les coûts de l'énergie", indique son porte-parole Eric Wohlschlegel.

Le pétrole, le charbon et le gaz de schiste ont encore de beaux jours devant eux aux États-Unis. Donald Trump a fait de nombreuses promesses à ces secteurs, notamment en termes d’emploi. A plusieurs reprises, il a promis de protéger les mineurs de charbon. Soit environ 50.000 travailleurs aux États-Unis, quand le solaire et l’éolien génèrent presque 500.000 emplois. Anecdotique mais symbolique, même le Musée du charbon du Kentucky utilise des panneaux solaires pour son électricité.