Pouvoir d'achat : revoir les calculs?

79% des Français, qu'ils soient riches ou pauvres, jeunes ou pauvres, ont le sentiment que leur pouvoir d'achat a baissé ces derniers mois, selon 60 millions de consommateurs.
79% des Français, qu'ils soient riches ou pauvres, jeunes ou pauvres, ont le sentiment que leur pouvoir d'achat a baissé ces derniers mois, selon 60 millions de consommateurs. © MAX PPP
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Le ressenti des Français contraste avec les chiffres officiels, souvent en hausse.

L'enquête choc. Triste année pour le pouvoir d'achat. Selon une enquête du dernier numéro du magazine 60 millions de consommateurs, 79% des Français ont le sentiment que leur pouvoir d'achat a baissé ces 12 derniers mois. Le chiffre est d'une ampleur inédite. Mais il témoigne d'une tendance qu'ont les Français à ressentir la baisse de leur niveau de vie depuis des années. En mai 2011 déjà, 20 minutes et France Info publiaient une enquêteObea-Infraforces révélant que 55% des personnes interrogées jugeaient que leur pouvoir d'achat avait baissé en un an. En 2010, 50% de la population estimaient même que leur niveau de vie s'était dégradé depuis 10 ans, selon une enquête du Credoc.

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Les chiffres officiels. Pourtant, les chiffres de l'Insee ne sont pas si sombres. L'institut, dans une étude parue fin mars dernier, a certes constaté que le pouvoir d'achat moyen des ménages avait baissé en 2012 (-0,4%). Mais il a ajouté qu'il s'agissait de la première baisse depuis… 1984, date du tournant de la rigueur entamé par François Mitterrand. Selon l'institut, les Français ont ainsi bénéficié d'une hausse de pouvoir d'achat continue depuis cette date (+ 0,5% en 2011, + 1,2% en 2010, + 1,6% en 2009, + 0,4% en 2008, + 3,1% en 2007 etc.). Une hausse qui contraste avec le ressenti des sondés, mais aussi avec certaines autres études. L'association 60 millions de consommateurs, elle, a par exemple calculé une baisse continue de l'indicateur depuis 2007.

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N'y a-t-il qu'un seul chiffre ? Outre le chiffre du pouvoir d'achat moyen des ménages, l'Insee publie également celui du pouvoir d'achat moyen des unités de consommation au sein d'un même ménage, plus proche du ressenti des Français. En effet, un couple qui mutualise les dépenses a plus de pouvoir d'achat que deux célibataires. En prenant en compte ce chiffre, le pouvoir d'achat a reculé de 1% en 2012 et déjà de 0,1% en 2011. Le hic ? "L'Insee ne le met pas assez en avant lorsqu'il publie ses résultats. Ce n'est pas le chiffre qui apparaît en premier et on le retient moins", estime un représentant de 60 millions de consommateurs, contacté par Europe1.fr. De plus, ce chiffre est encore insuffisant pour beaucoup d'observateurs.

Comment est calculé le pouvoir d'achat ? Pour les statisticiens de l'Insee, le pouvoir d’achat est la quantité de biens et de services que l’on peut acheter avec le revenu disponible, c'est-à-dire déduit des impôts et des cotisations. Pour parvenir à l'identifier, l'Insee calcule la moyenne de la hausse du revenu disponible des ménages français, et la compare à la hausse des prix de toute une batterie de produits ou services : loyers, alimentation, eau, énergie, de carburants ou télécommunications. Ainsi, chaque fois que la hausse des revenus dépasse celle des prix de tous ces produits, le pouvoir d’achat progresse. Et inversement.

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Faut-il prendre en compte d'autres types de dépenses ? Le principal reproche fait à l'Insee, c'est de ne pas tenir compte de la hausse des prix de l'immobilier pour calculer le pouvoir d'achat. L'institut estime en effet que l'achat d'un bien immobilier constitue un "investissement" et non une dépense de consommation, contrairement au paiement d'un loyer. "C'est pour cette raison qu'il y a une telle différence entre nos chiffres et les leurs", souligne 60 millions de consommateurs. "Notre indice tient compte de la consommation réelle des ménages. Il se veut plus exhaustif", écrivait déjà l'association en aout 2011. Et ils ne sont pas les seuls à le penser. "On pourrait adapter les calculs de l'Insee pour tenir compte du prix des logements. Les calculs de l'Insee ne sont pas biaisés, ils ont de bons statisticiens. Mais il y a peut-être encore de petites évolutions à faire", estime également Robert Rochefort, eurodéputé Modem, économiste et co-auteur de "Mesurer le pouvoir d'achat" (E. Documentation française), contacté par Europe1.fr. 

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© REUTERS

Quel revenu à prendre en compte ? Pour calculer le revenu disponible des ménages, celui dont ils peuvent vraiment se servir comme bon leur semblent pour consommer ou épargner, l'Insee établit une soustraction : les salaires, prestations sociales et autres revenus du patrimoine moins les impôts et les cotisations. Pour certains, il faut aller plus loin. Le groupe de grande distribution Leclerc, par exemple, a établi un mode de calcul qui soustrait également les dépenses de logements, d'assurances, de transports ou encore de télécommunication. Selon Leclerc, le ménage peut vraiment disposer de ses revenus lorsqu'ils sont libres de telles "charges contraintes".

Le problème se pose alors de savoir comment définir une "charge contrainte". "Ce n'est pas une mauvaise idée d'intégrer d'autres dépenses que les impôts ou les cotisations. Mais lesquelles? On peut s'interroger, par exemple, sur la légitimité d'inclure les dépenses de télécommunication. Les consommateurs n'ont-ils pas des marges de manœuvre pour réduire leurs forfaits", s'interroge Pascale Hebel, directrice du département consommation au CREDOC, contacté par Europe1.fr.

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© Montage Europe1.fr

Faut-il cesser de faire une moyenne ? Le paradoxe entre les chiffres officiels et le pouvoir d'achat ressenti par les Français s'explique aussi par le fait que l'Insee établit une moyenne des Français. Or, comme l'expliquait, en 2011, l'économiste Alexandre Delaigue dans une interview à l'Expansion, "si l'on fait rentrer Bill Gates dans un bar où se trouvent dix personnes, le pouvoir moyen de la clientèle va exploser, même si celui des dix clients est resté stable". Et comme le note l'Observatoire des inégalités, le revenu annuel moyen des 10 % les plus modestes s’est élevé de 400 euros entre 2000 et 2010, celui des 10 % les plus riches de 8 950 euros. De quoi, en partie, expliquer la hausse du pouvoir d'achat des Français durant cette période.

Mais, de l'avis des spécialistes, il semble difficile de faire autre chose qu'une moyenne. "Il s'agit de calculer une évolution sur plusieurs, qui prend en compte les revenus mais aussi les prix. Difficile de prendre autre chose qu'une moyenne", estime ainsi Pascale Hebel, du CREDOC.

Faut-il changer la communication des chiffres ? Le souci résiderait plutôt dans le choix du chiffre à mettre en avant par l'Insee. Plutôt que de trop communiquer sur le pouvoir d'achat, mieux vaut communiquer davantage sur les inégalités de revenus, estime ainsi Alexandre Delaigue. "On pourrait également créer d'autres indices, comme celui de la viabilité des produits", renchérit Robert Rochefort. Et de conclure :"cela permettrait d'éviter aux politiques de communiquer sur le boom des produits low cost qui ont une faible durée de vie, le tout au nom du pouvoir d'achat."