Les Gardiens du chez-soi (partie 1 : CERBÈRES MYTHIQUES ET VÉRITABLES)

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La maison est protégée par la force symbolique de sa porte et par les règles de l’hospitalité et de la courtoisie qui régissent l’accueil et plus généralement les rapports entre les hôtes de la maison et leurs visiteurs et invités. Mais l’acceptation de - et la soumission à - la force symbolique de la porte et l’obéissance aux règles de l’échange restent soumises à la volonté de chacun.

La maison est protégée par la force symbolique de sa porte et par les règles de l’hospitalité et de la courtoisie qui régissent l’accueil et plus généralement les rapports entre les hôtes de la maison et leurs visiteurs et invités. Mais l’acceptation de - et la soumission à - la force symbolique de la porte et l’obéissance aux règles de l’échange restent soumises à la volonté de chacun.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mobiliser les divinités

 

 

Que l’un des hôtes ou des visiteurs décide, pour des raisons qui lui sont propres, de ne pas les mettre en œuvre et tout l’édifice des échanges confiants entre les uns et les autres s’écroule.

 

 

 

La double nature de la porte, l’ambiguïté de ses degrés d’entrouverture, la fragilité de son échafaudage symbolique et le risque de se trouver dans une situation où les règles des échanges ne sont pas respectées, tout cela dramatise la perspective d’une maison non protégée. Car les enjeux de la vulnérabilité du chez-soi sont très élevés. Ils portent sur la menace de violation de l’intimité et sur celle d’intrusions qui apportent à l’intérieur l’impureté de contacts forcés, des incivilités et autres désordres.

 

 

C’est alors soi-même qui en devient fragile, exposé à des événements et à des rapports sur lesquels on n’a que peu ou pas de prise alors même qu’on est chez-soi.

 

 

Les hommes ont, pour parer à ce danger et à ce risque de vulnérabilité, mobilisé les divinités pour protéger la maison. Janus est le portier divin de Jupiter dont il surveille la cour céleste. Il ouvre les temples et il est sur le seuil de toutes les maisons. Son double visage aux deux faces adossées préside à l’entrée et à la sortie, à l’ouverture et à la fermeture de la maison sans devoir bouger la tête.

 

 

Ses attributs sont la clé et baguette avec laquelle les portiers romains – les janitores - écartait tout ce qui ne devait pas pénétrer dans la maison. Son nom est présent dans le mot utilisé pour dire portier en anglais où « janitor ». Janus ouvre aussi l’année : il a donné son nom au mois de janvier (januarius), seuil entre l’an passé et le nouvel an.

 

 

Nous avons gardé Janus parmi nous comme nous avons gardé, dans notre statuaire, nos légendes et notre langage courant, un autre portier divin, Cerbère, le chien monstrueux doté d’au moins trois têtes qui préside aux portes des Enfers. Et nous continuons à appeler les concierges modernes des « cerbères » quand nous sommes de méchante humeur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cave canem

 

Les chiens – les vrais, ceux qui aboient à votre approche – sont depuis longtemps les cerbères des maisons de banlieue et des fermes isolées. On en avertit d’ailleurs le passant en latin « Cave canem » ou en manipulant la menace dissuasive : « Attention, chien méchant ». Mais leur présence massive dans les villes, en banlieue ou en quartier résidentiel pavillonnaire est récente en France. L’augmentation de leur nombre est fortement liée au développement de l’habitat individuel. Un gros chien jouant sur la pelouse d’un pavillon avec les enfants de la famille fait d’ailleurs aujourd’hui partie de l’imagerie du bonheur familial. Et ce chien est souvent un molosse, alors même que la sécurité des quartiers résidentiels et pavillonnaires croît régulièrement.

 

 

 

 

Le paradoxe est là : ces quartiers sont sûrs mais leurs habitants sont de plus en plus nombreux à acheter des bergers allemands, des pit-bulls et autres gros chiens de défense. Mais la protection doit alors changer de direction. Un gros chien qui « défend » une maison de quartier résidentiel contrôle la rue, terrifie enfants et adultes et, surtout, représente une menace réelle de libération de sa sauvagerie dans un univers hautement domestiqué.

 

 

Les agressions de chiens – sur d’autres chiens plus petits, sur des enfants ou des passants – défraient régulièrement la chronique sans décourager la mode des gros chiens dans les rues paisibles des quartiers résidentiels. Il en résulte une transformation de leur paysage. Là où une clôture basse et presque uniquement symbolique suffisait, il faut, à présent de fortes et hautes clôtures capables de résister aux assauts du chien qui aboie furieusement au passage de piétons.

 

 

 

 

 

 

La fermeture normale de toute maison à l’extérieur devient un souci constant et fait dériver la précaution vers une obsession sécuritaire et un fantasme de l’enfermement.

 

 

Le premier paradoxe se double alors d’un second : le jardin, avec ses fleurs, sa pelouse, ses arbres et ses objets ornementaux, est aménagé pour être donné à voir au passant sans aller jusqu’à l’inviter à entrer. Il met en décor la maison, lui donnant un caractère aimable et rassurant. Mais voilà qu’un grand chien y prend ses quartiers et qu’il faut à présent enclore et retirer de la vue du passant ce lieu qui coûte tant d’argent, de temps et d’efforts. Ce qui était conçu pour être montré est à présent caché. La rue y perd en agrément et gagne en possibilité d’irruption de sauvagerie.

 

 

 

 

 

 

 

 

En bronze, en marbre, en plâtre ou en béton

 

Les gardiens du seuil peuvent aussi n’être féroces qu’en plâtre ou en béton. Ils vont alors rejoindre les lions de bronze ou de marbre qui gardent les châteaux les villas et ceux qui, en matériaux moins riches, protègent les pavillons. L’imagerie de ces gardiens est infiniment riche. La Chine a choisi les dragons, mais Babylone voulait des taureaux à tête humaine pour surveiller ses palais. A Byzance, comme dans bien des maisons d’aujourd’hui, ce sont des anges qui remplissent ce rôle. L’Égypte et l’Afrique ont opté pour les lions et les serpents, etc.

 

 

 

Et puis il y a les inscriptions et les symboles magiques, les bénédictions et les motifs qui appellent la protection divine, l’abondance, la fécondité ou la prospérité d’une maison. Une promenade dans le cœur ancien de nos villes est toujours instructive à cet égard : La Croix de Saint-André peinte sur les portes des maisons alsaciennes appelle l’abondance. Le losange sur les linteaux des maisons d’Auvergne demande la fécondité du troupeau et la fertilité des femmes de la famille.

 

 

Ainsi nous continuons à vouloir faire garder nos maisons. Notre peur est grande de les voir s’ouvrir indûment et sans notre permission. Nous poursuivons notre quête de sécurité au risque du paradoxe et de l’obsession. Tout le défi est là mais il est indispensable de le relever avec succès. Il nous faut nous rassurer nous-mêmes sans tomber dans le piège de l’auto-enfermement.

 

 

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