Woodstock, 50 ans après : Jefferson Airplane, le groupe des origines

Grace Slick, la chanteuse de Jefferson Airplane, sur scène à Woodstock. © Capture d'écran YouTube
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Jean-François Pérès

Tout l'été, Europe 1 revient sur les artistes qui ont incarné la révolution Woodstock lors de ce festival iconique, en 1969. Dans ce onzième épisode, Jean-François Pérès s'intéresse à Jefferson Airplane, aux origine de la vague hippie.

Il y eut un avant, il y eut un après. Il y a 50 ans, la vague Woodstock submergeait le monde. Europe 1 vous fait revivre, à l'heure des festivals de l'été, l'histoire de cette révolution, non seulement par ce qu'elle a apporté, mais aussi par ceux qui l'ont incarnée. Aujourd'hui, Jefferson Airplane.

La quintessence de la contre-culture

C'est le groupe sans qui Woodstock n'aurait pas existé. Du moins, Woodstock en tant que symbole, plus que festival. En 1969, cela fait quatre ans déjà que le groupe Jefferson Airplane incarne, plus que tout autre, la contre-culture américaine. Lui qui est à l'origine de la vague hippie et psychédélique partie de San Francisco, qui définit aujourd'hui encore cette génération. Lui qui a assumé, et assuré, depuis le début, la promotion des champignons hallucinogènes, de la marijuana ou encore du LSD, toutes ces drogues dites "nobles" censées ouvrir l'esprit à des expériences inédites, à une nouvelle musique, un nouveau mode de vie.

Lorsque Jefferson Airplane monte sur scène, il est 8 heures du matin, le dimanche 17 août 1969. Le groupe espérait jouer dans l'obscurité, mais les concerts précédant ont traîné en longueur. Alors va pour un concert au soleil levant, après une nuit forcément blanche. Blanche comme le lapin dont il va être question dans White Rabbit, entre Boléro de Ravel, Alice au Pays des Merveilles et trip sous acide.

Grace et les cinq fantastiques

"Feed your head", scande la chanteuse, Grace Slick. "Nourris ton cerveau"...on comprend avec quoi. Cette belle brune déjantée aux yeux bleus perçants et à la voix surpuissante a composé ce titre avant même d'intégrer le groupe. Elle est alors mannequin pour gagner sa vie et fait partie d'une autre formation de San Francisco, nommée The Great Society. Mais bien vite, ses talents sautent aux yeux et aux oreilles des musiciens de Jefferson Airplane, qui cherchent une remplaçante à la trop sage Signe Anderson.

Derrière les instruments, justement, il y a Marty Balin, l'âme du groupe, lui aussi doté d'une superbe voix. Les guitaristes Paul Kantner et Jorma Kaukonen, le bassiste Jack Casidy et le batteur Spencer Dryden. Tous sont d'excellents musiciens, fans de blues et de folk, rodés à la scène. Ces références locales ont déjà un album sous le bras mais celui-ci, contrairement à son titre, "Jefferson Airplane Takes Off", n'a pas décollé.

Décollage

Avec Grace Slick, l'Airplane devient un avion à réaction. Le premier album, Surrealistic Pillow, sorti en 1967, est un premier carton : n°5 aux Etats-Unis. Quant aux deux chansons que la nouvelle star ramène dans sa besace, c'est un triomphe. Outre White Rabbit, on retrouve Somebody to Love, écrite et offerte par son beau-frère.

C'est l'un des morceaux les plus directs de Jefferson Airplane. La plupart d'entre eux sont en effet bien plus sinueux et déstructurés. On sait souvent comment ça démarre, mais rarement où et comment ça se termine, tout dépendant de l'inspiration de chaque musicien et de l'état de lévitation général.

Six mois après Surrealistic Pillow, un nouvel album, After Bathing At Baxters, rencontre un nouveau succès, même si la musique se fait encore plus opaque et les sous-entendus aux hallucinogènes de plus en plus évidents. Les hippies adorent, le grand public un peu moins. Le groupe devient le porte-parole, volontiers provocateur, de cette génération libertaire et antimilitariste. Le clou sera enfoncé avec le troisième opus, Crown Of Creation, qui sort dans la foulée.

Du LSD à la Maison-Blanche

Fin 1968, Jean-Luc Godard, alors en pleine période Mao, réalise un documentaire sur cette Amérique qui grince de toutes parts. Il souhaite ardemment que le groupe y figure. Et c'est ainsi que, deux mois avant que les Beatles n'aient l'idée de faire leurs adieux à la scène sur le toit de leur maison de disques, Jefferson Airplane investit celui d'un hôtel près de Times Square, à New York. Il est 7h30 du matin en ce froid mardi 19 novembre quand les guitares réveillent tout le quartier. Le concert durera quelques minutes seulement avant que la police n'intervienne, mais la performance historique est dans la boîte. Et elle est excellente, vu le contexte. Le documentaire en revanche, censé s'appeler One AM, "one american movie", sortira sous une forme tronquée, Godard ayant jugé les cameramen locaux trop médiocres.

La provocation continue encore lorsque Grace Slick, invitée par la fille de Richard Nixon à une réception d'anciens lycéens d'un même établissement, tente d'introduire du LSD à la Maison-Blanche. Son but : le verser dans le thé du président conservateur, honni des opposants à la guerre au Vietnam. Sous son nom de jeune fille, Wing, elle passe inaperçue malgré un lourd dossier au FBI. Mais son chaperon du jour, qui n'est autre qu'un activiste anarchiste très connu, est rapidement repéré. Les deux sont exfiltrés avant même d'entrer dans le palais présidentiel.

Grandeur et décadence

Entre-temps, le dernier album de Jefferson Airplane sous sa formation "classique" est sorti. Il s'appelle Volunteers, hommage ironique à une sorte d'Armée du Salut américaine qui nettoie les rues le matin. Des amis prestigieux comme Jerry Garcia du Grateful Dead, autre groupe carburant aux hallucinogènes, et David Crosby, viennent donner un coup de main. Le message est politique, évidemment, mais aussi écologique. Une sorte de chant du cygne.

Après Woodstock, l'époque se fait plus dure, les désillusions plus amères. Fin 1969, le groupe joue au festival d'Altamont dans un atmosphère détestable. Des Hells Angels censés assurer la sécurité de l'événement (une idée des Rolling Stones) frappent Marty Balin en plein concert, puis poignardent à mort un jeune noir soupçonné de préparer une agression. Marty Balin quitte Jefferson Airplane au début des années 1970 et rien ne sera plus pareil.

Des albums sans grand relief continueront de sortir, des projets solo ou en duo verront le jour, mais musicalement, rien n'arrivera à la hauteur des débuts. Glace Slick et Paul Kantner auront une petite fille prénommée China. Jefferson Airplane deviendra Jefferson Starship puis Starship tout court après un procès sur l'utilisation du terme "Jefferson", et signera en 1985 sous ce nom un tube qui a très mal vieilli. We Built This City fait fréquemment partie des listes des pires chansons de tous les temps. Un épilogue indigne de l'importance et de l'influence d'un des groupes les plus emblématiques des années 1960.