Oscars 2019 : une cérémonie et un palmarès très politiques

Spike Lee 1280
Reparti avec l'Oscar du meilleur scénario adapté pour BlacKkKlansman, Spike Lee a livré un discours très politique. © FREDERIC J. BROWN / AFP
  • Copié
La 91e cérémonie des Oscars a été marquée par la victoire de "Green Book", un film qui traite de l'Amérique raciste des années 1960, mais aussi un discours très politique de Spike Lee, récompensé pour le scénario de "BlacKkKlansman". 

Il est assez classique que les Oscars se transforment en tribune politique. Contre Donald Trump récemment, mais aussi pour les droits humains en général. Des discours qui ont longtemps tranché avec la sélection et la palmarès, peu susceptibles de représenter une quelconque diversité. La 91e cérémonie des récompenses du cinéma américain, qui s'est tenue dans la nuit de dimanche à lundi, a permis de couper quelque peu avec ce paradoxe. Au-delà du sujet de Green Book, sacré meilleur film, les récompenses de Mahershala Ali dans un second rôle, les Oscars techniques et musical pour Black Panther, mais surtout le prix du scénario adapté accordé à Spike Lee ont donné à la soirée une tournure très politique.

La prochaine élection aux États-Unis, c'est demain. Nous devons tous nous mobiliser et être du bon côté de l'Histoire. Nous devons faire le bon choix entre l'amour et la haine.

"Do the right thing". Spike Lee, longtemps boudé par les Oscars qui n'avaient même pas daigné sélectionner Do the right thing dans des catégories majeures en 1990, a pris sa revanche en recevant le prix du meilleur scénario adapté pour BlacKkKlansman, vers 4h20 du matin. Coiffé d'un béret violet, assorti à son costume, le franc-tireur du cinéma américain, très engagé pour la cause afro-américaine, a prononcé un discours à son image. Rappelant que 400 ans plus tôt, en 1619, le premier contingent d'esclaves africains était envoyé aux États-Unis, Spike Lee a rendu hommage "à nos ancêtres qui ont bâti cette nation". "Aux yeux du monde, j'aimerais rappeler le génocide qui a été commis", a-t-il déclaré. Avant de s'intéresser à l'avenir. "La prochaine élection aux États-Unis, c'est demain. Nous devons tous nous mobiliser et être du bon côté de l'Histoire. Nous devons faire le bon choix entre l'amour et la haine." Et le réalisateur de conclure : "Do the right thing!" [Faites ce qui est juste]. 

Super-héros noirs. D'autres avant lui avaient évoqué la cause afro-américaine de manière moins frontale. C'est le cas, notamment, des équipes de Black Panther, récompensées pour leurs décors et leurs costumes. Alors que la quasi intégralité d'entre elles étaient composées de personnes noires, les primés ont longuement remercié Marvel, leurs producteurs et le réalisateur du film, Ryan Coogler, pour les opportunités qui leur avaient été offertes par ce tournage. "Marvel a créé les premiers super-héros noirs mais, grâce à ces costumes, nous les avons transformés en roi", a notamment lancé la costumière Ruth Carter. "Merci d'avoir rendu hommage à la royauté africaine." Le présentateur de télévision afro-américain Trevor Noah a quant à lui introduit la présentation de Black Panther d'une phrase : "En des temps comme celui-ci, nous sommes plus forts unis que si nous combattons divisés."

Dans un autre genre, Mahershala Ali a, lui, fait le choix de l'hommage vestimentaire. Venu chercher son Oscar du meilleur acteur dans un second rôle pour Green Book, celui qui avait déjà obtenu la même statuette en 2017 avec Moonlight s'était coiffé d'un chapeau semblable à celui porté en son temps par le militant des droits civiques Malcolm X. 

Mahershala Ali 1280

Diversité. Au-delà de la cause noire-américaine, les Oscars 2019 ont permis un éloge continu à la diversité. Reparti avec la statuette du meilleur acteur pour s'être glissé dans le costume (et le dentier) de Freddie Mercury dans Bohemian Rhapsody, Rami Malek a lui aussi fustigé la politique de Donald Trump sans le nommer. "Je suis le fils d'immigrants égyptiens, et donc Américain de première génération", a-t-il rappelé dans son discours de remerciements.

Les multiples récompenses accordées à Alfonso Cuaron pour Roma (meilleur film étranger, meilleur réalisateur, meilleure photographie) ont donné l'occasion à Javier Bardem ou Diego Luna de s'exprimer en espagnol. Dans son discours de remerciement pour le meilleur film en langue étrangère, le réalisateur de Gravity a d'ailleurs vanté l'ouverture sur le monde donnée par le cinéma et la capacité du septième art à traverser les frontières. Pas innocent, alors que le sujet du mur à la frontière américano-mexicaine est sur le devant de la scène médiatique depuis des mois.

Politique à la Green Book. La récompense suprême de meilleur film accordée à Green Book a également participé de ce climat politique. Plutôt challenger face à l'immense favori Roma, le film de Peter Farrelly s'intéresse à la tournée de concerts donnée par un pianiste noir, Don Shirley, dans le sud ségrégationniste des États-Unis dans les années 1960. Plus encore que de racisme, il est question dans ce long métrage du syndrome de la "traîtrise à sa classe" : Don Shirley a réussi à se hisser parmi la haute société blanche et bourgeoise américaine, qui ne manque cependant pas de lui rappeler qu'il n'a toujours pas le droit d'utiliser les mêmes toilettes que les siennes, et se retrouve coupé de la majorité des afro-américains, dont il partage pourtant les stigmatisations.

Controverse. Mais le traitement que fait Green Book de son histoire (vraie) n'a pas fait l'unanimité. Le film a été accusé d'être construit autour d'un "white man narrative", c'est-à-dire un scénario qui présente l'homme blanc comme le sauveur de l'homme noir. Don Shirley est en effet accompagné tout au long de sa tournée par Tony Vallelonga, un videur d'origine italienne (interprété par Viggo Mortensen). "C'est la vision du Blanc sur la vie du Noir", s'est indigné la famille du véritable Don Shirley. Une opinion visiblement partagée par le réalisateur Spike Lee, qui a bondi et même essayé de quitter la salle lorsque l'Oscar du meilleur film a été annoncé, selon plusieurs journalistes sur place. Toujours difficile, avec la politique, de mettre tout le monde d'accord.