La vie du Colonel Sanders, faux gradé et vrai créateur de KFC

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Tony Liégois, édité par Alexis Patri
Dans un numéro de l'émission "Historiquement vôtre" consacré aux personnalités qui sont devenues des logos de marque, Stéphane Bern dresse le portrait de Harland Sanders. Un Américain plus connu sous le nom de "Colonel Sanders", qui a créé la chaîne de restaurants de fast-fodd Kentucky Fried Chicken, KFC.

 Il s'affiche partout dans le monde. En dix fois plus grand que n'importe qui son visage s'étale. Un grand-père au sourire avenant, reproduit façon pop art sur un fond rouge. Il a le sourire aux lèvres, des lunettes cerclées noires et les cheveux, la moustache et une barbichette blanches, presque argentées. Il est sacrément élégant avec sa chemise au col amidonné, son tablier rouge et blanc et son nœud papillon-cravate parfaitement noué qui lui confèrent une présence et une prestance quasi intemporelles. 

Derrière cette image de grand-père se cache Harland Sanders, le père-fondateur de ce qui est devenue aujourd’hui la multinationale Kentucky Fried Chicken, plus connue sous l'acronyme KFC. Avant ce logo, Sanders a vu son visage modifié, sur le papier, à six reprises. Un lifting marketing sur cinq décennies opéré par les plus grandes agences de communication avec un seul objectif : attirer au premier coup d'œil les potentiels consommateurs, les convaincre de goûter la recette secrète de poulet frit du "Colonel Sanders", comme il aime à se faire appeler.

Des échecs entrepreneuriaux en cascade

Pourtant, jamais ce gamin de l'Amérique n'aurait pu imaginer devenir le leader de la restauration rapide, juste derrière l'enseigne au Clown jaune et rouge. Harland David Sanders voit le jour en septembre 1890 aux États-Unis, à Henryville, dans le sud de l'Indiana, à 150 kilomètres du Kentucky. Son père, fermier puis boucher, décède alors qu'il n'a que 5 ans. Pendant que sa mère travaille, Harland est amené progressivement à s'occuper de ses deux frères et sœur. Et cela passe notamment par l'obligation de leur préparer les repas. Ce sont ses premiers contacts avec la nourriture. 

Mais, malgré ses efforts pour être un grand-frère prévenant, Harland dérange. Quand sa mère refait sa vie, il agace son beau-père. Il n'excelle pas non plus à l'école et arrête d'y aller à 12 ans à peine. À l'adolescence, l'élève Sanders est envoyé chez des membres de sa famille et se frotte à de nombreux métiers. D'ouvrier agricole à conducteur de tramway, avant de décider de s'enrôler dans l'armée. Direction Cuba ! Alors qu'il n'a pas encore atteint l'âge légal de 16 ans. 

Quelques années plus tard, Sanders épouse sa première femme : Joséphine King. Trois enfants naîtront de cette union. Harland est-il un entrepreneur dans l'âme ou n'a-t-il tout simplement pas le choix pour subvenir aux besoins de sa famille ? Quoi qu'il en soit, il n'hésite pas à prendre des risques dans sa carrière. Et malheureusement, souvent, il se trompe et échoue !

Comme lorsqu'il s’endette pour racheter les droits de fabrication des lampes à carbure. Harland Sanders monte sa manufacture et s'imagine vendre ces fameuses lampes portables sur tout le territoire américain. Mais, à la même période, l'électrification très rapide des États-Unis réduit à néant ses rêves de fortune. 

Une (courte) carrière dans la justice

Mais Sanders a une idée lumineuse. Il prend le train de l'industrialisation en marche et devient cheminot. Sa particularité : bien que réputé pour son langage fleuri, voire son vocabulaire grossier et sale, il est obsédé par la propreté. Il est même fier, après une journée de travail, de revenir à la maison dans sa salopette et gants blancs immaculés. Toqué Sanders ? Plutôt déterminé à renverser la vapeur. 

En parallèle, il prend des cours du soir en droit et finit par travailler à la cour d'un juge de paix. La légende raconte qu'il est parvenu à obtenir de généreuses compensations financières à des victimes, essentiellement noires, d'un accident de train. Mais sa carrière dans la justice est stoppée brutalement après une altercation en plein tribunal dans laquelle il en serait venu aux mains avec un client. 

Une fois encore, Harland Sanders est en sursis : sans travail, sans véritable formation, il doit trouver l'énergie nécessaire pour relancer sa carrière. Et si cet homme-orchestre trouvait son salut dans la direction d'une station-service ? Dans les années 1920, il reprend une franchise de la Standard Oil dans le Kentucky voisin. Il remonte la pente progressivement quand, malheureusement, deux catastrophes écourtent son énième ascension vers le succès. 

Une terrible sécheresse plombe les cultures des paysans : plus de denrées alimentaires à vendre, plus d'argent récolté, et donc plus de quoi payer l'essence ! Ajoutez à cela le terrible Krach de 1929 et, comme la bourse, Harland Sanders n'est pas loin de s'effondrer. 

Des débuts dans la restauration rapide

Sanders convainc la société mère de lui confier un nouvel enfant : ce sera la station-service de Corbin, toujours dans le Kentucky. Il disait de cette ville que "le trafic d'alcool, les bagarres et les fusillades y étaient encore plus régulières que le chant du coq". Mais Sanders s'y sent bien. C'est d'ailleurs dans cette antichambre de l'Enfer que la famille Sanders va enfin connaître un certain paradis gustatif et financier. Car Harland Sanders vient de comprendre qu'il existe un secteur qui a peu de chances de connaître la crise : la restauration. Il aménage ainsi une table pour six personnes dans la réserve. "Station Service et café Sanders" voit le jour.

Jackpot : sa station-service fait le plein, au propre comme au figuré. La nourriture, qu'il confectionne au départ lui-même, est très appréciée. Steak de bœuf au jambon de campagne, patates en sauce et biscuits, mais rarement du poulet. Trop long à cuire pour ses voyageurs affamés ! Mais, Harland Sanders va bientôt trouver la solution à ce problème. Nous sommes à la fin des années 1930 et l'industriel qu'il a toujours rêvé d'être découvre une machine révolutionnaire.

Cette machine n'est bulle autre qu'un autocuiseur qui permet de préparer des légumes en un temps record. La voilà la solution à son problème ! Là où auparavant Harland Sanders avait besoin de 30 minutes, désormais seules 8 minutes sont nécessaires pour cuire son poulet. Mais il veut aller encore plus loin. Il rêve d'inventer un assaisonnement qui rendrait accro quiconque y goûterait pour la première fois. 

La naissance de Kentucky Fried Chicken

Il met au point une recette composée de 11 herbes et épices qu'il compte bien garder secrète pour en faire sa signature. Pourtant, son créateur va devoir attendre. La Deuxième Guerre mondiale vient d'éclater. Et rien ne sera plus comme avant. Ni le monde, ni sa vie. Après 39 années de mariage, Sanders se sépare de sa première épouse pour convoler en justes noces avec l'une de ses employées : Claudia. À l'aube de ses 60 ans, l'ancien cancre, l'ancien militaire envoyé à Cuba est nommé Colonel du Kentucky en reconnaissance de sa cuisine !  

Le Colonel Sanders est né. Il a les cheveux blancs et a assez perdu de temps ! Il se met alors au service de son entreprise. Il cultive son apparence, porte des redingotes, travaille son élocution, avec un seul et unique objectif : vendre sa recette secrète ! Péniblement, il parvient à convaincre quelques futurs franchisés. L'entreprise Kentucky Fried Chicken voit le jour. Le boss récupère ainsi quatre cents sur chaque poulet vendu. Mais avec Harland, tout ne baigne pas dans l'huile.

Une nouvelle autoroute doit détourner les voyageurs de son restaurant. Pour ne pas faire faillite, il le revend. Avec seulement 105 dollars de la Sécurité Sociale et les revenus de ses rares franchisés, à plus de 65 ans, le colonel Sanders doit une nouvelle fois se réinventer. Le vieil homme va alors parcourir tout le continent, muni de cocottes, de sauces déjà prêtes et bien sûr de poulets. Pendant plusieurs mois, sans relâche, il toque de restaurant en restaurant et prépare lui-même sa recette pour convaincre les directeurs de rentrer dans l'escarcelle KFC. Et enfin, ça marche ! La sauce prend et les franchisés se multiplient. 

Mais appâté par les gains engrangés par la société, des entrepreneurs la lui rachètent pour 2 millions de dollars. Harland Sanders reste le représentant de l'entreprise et voyage à travers le monde pour en faire la promotion, parfois à contre-cœur. À sa mort en 1980, il estimait que la qualité des produits avait considérablement baissé. En revanche, le secret de sa sauce et son visage gourmand sur le logo de la marque ont, eux, toujours la côte. 

 

Bibliographie :

  • Harland Sanders (traduction de Laurent Brault), Le légendaire colonel, Brossard, 1981 
  • John Ed Pearce, The Colonel : The captivating biography of the dynamic founder of a fast-food empire, Doubleday and Co., 1982