Hervé Le Tellier, prix Goncourt 2020, revient sur la fabrique de "L'Anomalie"

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Laetitia Drevet , modifié à
Le dernier roman d'Hervé Le Tellier, prix Goncourt 2020, pourrait bien devenir le deuxième lauréat le plus vendu de l'histoire derrière Marguerite Duras. Il a en effet été tiré à 800.000 exemplaires. Invité d'Europe 1 vendredi matin, l'auteur de "L'Anomalie" est revenu sur les jeux et les questionnements qui ont construit son roman.
INTERVIEW

Il n'y aura bientôt plus que Marguerite Duras pour le battre. Prix Goncourt en 1984, son illustre rivale avait vendu 1,6 million d'exemplaires de L'Amant. Avec plus de 400.000 livres déjà écoulés et un quinzième tirage, Hervé Le Tellier, lauréat 2020, devrait doubler ses ventes dans les mois à venir, rapportait Le Parisien en début de semaine, et talonner ainsi Duras sur le podium des Goncourt les mieux vendus de l'histoire. "Avant celui-là, aucun de mes livres n'avait dépassé les 30.000 exemplaires. Je commence à peine à réaliser ce que c'est", sourit l'auteur. Invité d'Europe 1 vendredi, il revient sur les jeux et les questionnements qui ont construit ce roman à succès. 

"Je voulais aller dans tous les genres à la fois"

L'Anomalie raconte les suites d'un événement apparemment inexplicable, à savoir qu'un vol Paris-New York atterrit deux fois, avec les mêmes passagers, à quelques mois d'intervalle. Le récit mêle avec brio science-fiction, roman noir et comédie humaine, alternant récit classique et procès-verbaux d'interrogatoire. Car avant tout, Hervé Le Tellier refuse d'être cantonné à un registre particulier. "Mon idée n'était pas d'écrire un récit d'anticipation, mais de proposer aux lecteurs une expérience de pensée. Je ne récuse pas le terme de science-fiction parce que c'est un genre déshonorant, mais parce que je voulais aller dans tous les genres à la fois", souligne-t-il. 

Hervé Le Tellier est président de l'Oulipo, "ouvroir de littérature potentielle", une association d'écrivains qui rédigent en se fixant des contraintes. Un de ses membres les plus célèbres, Georges Perec, avait ainsi rédigé La Disparition sans utiliser une seule fois la lettre "e". "Moi j'ai plutôt joué avec le genre. Dans la partie du roman sentimental, je joue avec la 'chick lit' [romans sentimentaux écrits à destination des jeunes femmes, nldr], je joue avec l'humour des comédies américaines. Mais plus le livre avance et plus on voit l'unification de tous ces styles pour arriver à un roman unique." 

"On pourrait bien avoir une chance sur deux de ne pas exister vraiment"

Son roman, si fantasque qu'il puisse paraitre, est en partie basé sur une théorie du philosophe suédois Nick Bostrom. Dans les années 2000, il avait avancé une hypothèse vertigineuse selon laquelle l'humanité toute entière pourrait être prise dans une simulation informatique dont elle n'aurait pas conscience d'être prisonnière. "Cette théorie est aujourd'hui considérée comme plausible, avec un facteur de chance de 50%. On aurait donc une chance sur deux de ne pas exister vraiment en tant qu'êtres biologiques, mais d'être des programmes qui n'ont pas d'existence matérielle", précise l'écrivain.

Tout au long du roman, un questionnement se dessine aussi en filigrane sur les tournants qui changent le cours de nos existences. "On reste le même en trois mois, mais la vie bouge énormément. Ce qui m'intéresse c'est cette confrontation entre les évolutions de la vie, les embranchements qui peuvent se dérouler et la manière dont le personnage, qui lui est toujours le même, peut y répondre."