Les Victoires à la traîne des cultures urbaines

Le groupe Sexion d'Assaut a créé la sensation en 2010 mais se retrouve privé de Victoires de la musique.
Le groupe Sexion d'Assaut a créé la sensation en 2010 mais se retrouve privé de Victoires de la musique. © MAXPPP
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L'absence du groupe de rap Sexion d'Assaut illustre le décalage entre la cérémonie et les auditeurs.

Comme toute cérémonie, les Victoires de la musique ne font pas que des heureux, chaque année offrant son lot d’artistes qui estiment avoir été injustement oubliés. Le groupe de rap Sexion d’Assaut, présélectionné mais finalement écarté des six finalistes de la rubrique Musiques urbaines, en est le dernier exemple en date. Mais leur cas illustre surtout les difficultés des cérémonies “grand public“ à suivre les musiques émergeantes, dont celles issues de la culture hip-hop.

La Sexion, le petit groupe qui monte

Pour le grand public, la Sexion d’assaut évoque une polémique, qui a éclaté en juin 2010 à propos d’une sortie homophobe de l’un de ses membres. Mais la Sexion d’Assaut, c’est aussi et surtout la grosse sensation rap de l’année 2010, comme en atteste les chiffres de vente et de diffusion en radio.

Leur album L’école des points vitaux est resté 13 semaines dans le top 3 des meilleures ventes, toutes catégories confondues. Leur morceau intitulé Désolé a fini 4e des meilleures ventes de singles en 2010, en fusionnant ventes physiques et numériques.

Aux côtés de Lady Gaga, Rihanna et Black Eyes Peas, “Sexion d’Assaut est le seul groupe francophone à se distinguer avec 3 singles différents dans le Top“, rappelle Yacast, qui comptabilise les diffusions en radio et en télévision. Leurs singles ont fini 13e, 22e et 27e du classement des titres les plus diffusés pendant le 1er semestre 2010 sur les radios francophones. Des scores qui auraient pû les propulser parmi les finalistes de la catégorie Musiques urbaines.

Une non sélection qui irrite le monde du Hip-hop

“Je trouve cette absence ridicule“, commente Bruno Laforestrie, patron de la radio Générations. “La Sexion d’Assaut est un groupe légitime qui a créé le buzz en 2010. Ils ont apporté un concept plutôt positif, innovant. La Sexion d’Assaut, ce sont 1,2 million de fans sur Facebook. Comment peuvent-ils ne pas être sélectionnés ?“, s’interroge-t-il.

“Les Victoires boycottent le groupe le plus fédérateur du rap cette année, qui parle à un jeune public et sort des clichés anti-police qu’on retrouve souvent dans le rap français“, regrette le journaliste et écrivain Olivier Cachin, référence en la matière.

Même son de cloche du côté de la radio Skyrock, ou encore des médias spécialisés. “Je suis déçu de leur absence, mais à vrai dire, je n'attends plus rien des Victoires de la musique. Quand je vois que le rap est relégué au second plan dans une seconde émission sur France 4 ça me dégoûte un peu“, réagit Clément Bailleul, qui a fondé le site Rap2france.com, visité par plus de 30.000 internautes par jour.

“Ils ont le temps“

Bref, tous les observateurs de la culture Hip-hop se disent déçus, tout comme les intéressés eux-mêmes. “Quand on a appris qu’on était présélectionnés, on était très, très contents, c’était un rêve de gosse. Puis on a appris qu’on n’était pas dans les nominé définitifs… C’est une déception et une incompréhension“, réagit Maska, l’un des membres du groupe.

Du côté des organisateurs de la cérémonie, on se déclare “effondré qu’on s’attarde sur ce point-là au lieu de parler des nominés“. “On a toujours ce genre de questions car on a envie que ces gens y soient, or on n’a pas 15 nominés. Mais Booba, Abd Al Malik, Hocus Pocus et Soprano représentent quatre facettes des musiques urbaines, je n’ai pas le sentiment qu’on soit si éloigné de la réalité“, estime Gilles Desangles, directeur général des Victoires.

“Il ne faut pas oublier qu’il y avait deux tours et qu’ils avaient passé le premier tour, ils n’ont donc pas été rejetés“, poursuit-il, avant de conclure : “On a le temps et eux aussi. Ils ont la vie devant eux, j’espère que ca ne va pas s’arrêter là et qu’on les reverra“.

Un problème plus général de suivi des cultures urbaines

Mais pour le milieu du hip-hop, cette absence est le dernier symptôme en date d’une longue incompréhension. “Le panel des votants n’est pas représentatif du secteur de la musique“, analyse Bruno Laforestrie, qui conclut : “Quand vous prenez la profession au sens large, ce sont des réseaux qui proviennent de la scène rock des années 80. Ils ont fait avancer la musique mais ils ont aussi vieilli et n’ont pas prévu de la place pour les jeunes“.

“En fait, cela ne me surprend pas plus que ça : les relations entre les Victoires et les musiques urbaines, c’est depuis longtemps chien et chat“, analyse Vincent Portois, ex-rédacteur en chef du magazine Groove et manager du rappeur Seth Gueko.

“Sachant que l’histoire du rap et des victoires débute avec Manau, ca commençait mal“, renchérit Olivier Cachin, avant d’ajouter : “Pour moi c’est un signe de plus de la déconnexion des Victoires avec la musique actuelle. On va voir Abd Al Malik pour la 8e fois consécutive“.