Le rap, musique à réaction

Le rappeur Alibi Montana, plutôt habitué à un rap d'insurgé, a décidé d'enregistrer un morceau en moins de deux semaines pour évoquer l'affaire de pédophilie qui a touché une école maternelle de Créteil.
Le rappeur Alibi Montana, plutôt habitué à un rap d'insurgé, a décidé d'enregistrer un morceau en moins de deux semaines pour évoquer l'affaire de pédophilie qui a touché une école maternelle de Créteil. © MAXPPP
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Alibi Montana s’inspire dans un morceau de la récente affaire de pédophilie de Créteil.

Le groupe Sniper avec Brûle, la Marseillaise Keny Arkana avec La rage, ou encore le titre collectif Morts pour rien : le rap n'a pas tardé à s'inspirer des émeutes de Clichy-sous-Bois en 2005, tout comme il le fit suite au passage au second tour de Jean-Marie Le Pen en 2002. Le rappeur Alibi Montana, connu pour ses démêlés avec le député UMP François Grosdidier, s'inscrit dans cette tendance mais avec des délais encore plus raccourcis. Moins de deux semaines après l’affaire d’agressions sexuelles qui a touché une école maternelle de Créteil, il a mis en ligne un morceau entièrement dédié à ce fait divers.

Porte-voix des familles des victimes

Lundi 2 avril. Un instituteur de maternelle de l'école Chateaubriand de Créteil, dans le Val-de-Marne, est mis en examen. Ce dernier reconnait rapidement des agressions sexuelles sur trois de ses élèves, âgées d’environ quatre ans.

Sa remise en liberté provoque l’indignation des parents des victimes, également outrés par la faible réactivité de l’Education nationale alors qu'ils avaient exprimé leurs soupçons à de nombreuses reprises. Le père d’une fillette a néanmoins trouvé un porte-voix tout aussi inattendu qu’écouté : le rappeur Alibi Montana, figure du rap de rue et aperçu dans l’émission de TF1 Pascal le grand frère.

"Touchez pas nos enfants"

Le rappeur originaire de La Courneuve décide alors d’écrire une chanson avec Lion Scot, le frère de Joey Starr. Le morceau, intitulé France. Etat de crise, est un plaidoyer en faveur d’une plus grande vigilance. "Un crime envers un enfant, c’est la pire des choses. Révolte et colère je ressens pendant que je pose. Ce maitre d’école en liberté, c’est une insulte", enrage Alibi Montana dans ce morceau.

Qu’est-ce qui a pu pousser un rappeur brocardé pour son esthétisation de la violence, faisant l'apologie de son séjour en prison, à s’engager ainsi ? "C’est une arme que je mets à leur disposition", a précisé le rappeur au quotidien Le Parisien, "c’est un bon moyen de sensibiliser les gens et de cibler tous les criminels qui s’en prennent aux enfants".

"C’est le père de famille qui réagit : cela s’est passé la porte d’à côté, c’est dans une école de la République, pas dans le quart-monde", commente Olivier Cachin, journaliste spécialiste de la scène rap française et auteur de nombreux ouvrages. "C’est aussi l’honneur du rap d’être une musique très épidermique. Dès qu’il y a quelque chose qui vous touche, vous pouvez faire un morceau en quelques jours", souligne-t-il.

Boulevard Auriol, l’un des rares précédents

Le rap français n’ignore rien des faits divers, mais il lui préfère souvent des thématiques plus larges. "Alors qu’on reproche aux rappeurs d’être dans le matérialisme, c’est bien de voir un rappeur qui s’engage. Le rap est une musique en prise directe avec l’actualité. Mais c’est vrai que c’est habituellement plus pour des catastrophes que pour des faits divers", décrypte Olivier Cachin.

Parmi les très rares morceaux enregistrés suite à de tels évènements, on peut néanmoins signaler le morceau Boulevard Vincent Auriol de Médine. Choqué par l’incendie qui fait 17 morts et une trentaine de blessés le 26 aout 2005, le rappeur havrais Médine décide de prendre sa plume pour faire connaitre ce fait divers. Résultat, un morceau de 5 minutes dans lequel il se met à la place d’un immigré sénégalais qui finit tragiquement sa vie "dans une boite d'allumette enflammée de 6 étages, une prison de feu qui entreprend son carnage".

Medine - Boulevard Auriolpar rivas75

Comme Alibi Montana, Médine prit le soin de mettre son morceau à disposition sur Internet gratuitement afin d’éviter toute accusation de récupération. Le morceau, devenu un de ses classiques, a atteint son but : rares sont désormais les amateurs de rap à ne pas connaitre l’incendie du boulevard Auriol, symbole du scandale des marchands de sommeil et de la crise du mal-logement.

Une mobilisation accrue pour la politique

Si les morceaux de rap réalisés dans la foulée d’un fait divers sont rares, ceux évoquant la politique sont bien plus fréquents. Il y a néanmoins un bémol : le rappeur préfère parler participation plutôt que candidat. "On l’a vu avec Doc Gynéco, s’engager pour un candidat (Nicolas Sarkozy, ndlr) n’est pas une très bonne idée pour un artiste", rappelle Olivier Cachin.

Le combat contre l’abstention est en revanche bien plus partagé. La dernière mobilisation d’ampleur remonte à 2002, lorsque Jean-Marie Le Pen est arrivé au second de l’élection présidentielle. IAM, La Scred Connexion, Diam’s ou encore Stomy Bugsy : la majorité des MC’s décident alors de prendre leur plume pour que le candidat d’extrême-droite réalise le plus petit score.

Traumatisés par le scrutin de 2002 et inquiets de la faible participation dans les quartiers populaires, les rappeurs militent pour que les jeunes ne boudent pas les urnes. En 2007, Joey Starr parrainne de l’appel à s’inscrire sur les listes électorales, sans oublier les très actifs Kery James ou Rost. Rebelote en 2012, où les Franciliens Youssoupha, Guizmo ou encore Dry ont ainsi participé à l’opération "Bouge ton vote".

Parmi les nombreux artistes ayant participé à cette opération, on retrouve une nouvelle fois Alibi Montana, auteur d’un très incitatif "Si tu es un bonhomme, si tu as des couilles, tu t'inscris sur les listes". Une manière pour le moins direct de s’adresser aux plus jeunes électeurs.