Affaires Daval, Darmanin… : "La présomption d'innocence, ce n'est pas un principe à la carte"

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A.H. , modifié à
Comme la procureure de Besançon la veille, l'ancien porte-parole du ministère de la Justice, Guillaume Didier, a appelé au respect des principes de base dans les affaires en cours.
INTERVIEW

"Ni les enquêteurs, ni le juge d'instruction ne peuvent prendre la parole. Alors c'est moi, la procureure, qui la prend pour porter la raison au milieu de cette folie médiatique qui oublie que, derrière cette histoire qu'on déroule de manière indécente, se joue le destin d'un homme qui doit bénéficier de la présomption d'innocence, bafouée chaque jour". Jeudi, en conférence de presse, la procureure de la République de Besançon, Edwige Roux-Morizot, en charge de l'affaire Alexia Daval, a tapé du poing sur la table pour dénoncer des "violations répétées et inadmissibles du secret de l'instruction".

"Garantir la sérénité de la justice". "Le traitement médiatique de cette affaire devient assez irrationnel, et il faut faire attention à ce qu'il n'y ait pas de dérapages", a renchérit Guillaume Didier, magistrat et ancien porte-parole du ministère de la Justice, vendredi dans la Matinale d'Europe 1. Dans l'affaire Daval, la presse a eu accès à des éléments de l'instruction (échanges par SMS, chronologie détaillée…). "Je ne critique pas la presse. On peut critiquer le traitement médiatique, mais la presse fait son travail", a d'abord tenu à rappeler Guillaume Didier, qui fustige plutôt ses confrères et consœurs - "magistrats, experts, avocats…" - qui font fuiter ces éléments de l'enquête. "Chacun doit balayer devant sa porte et faire son travail, pour garantir la sérénité de la justice. Il ne s'agit pas d'entraver le travail de la presse. Les journalistes informent, les experts décryptent, mais tout le monde ne doit pas se transformer en juge ou en procureur."

Ne pas "entraver la recherche de la vérité". Le magistrat rappelle les deux raisons principales du secret de l'instruction : "préserver la présomption d'innocence, et préserver la sérénité et la sécurité de l'enquête". "Tout ce qui est susceptible de venir entraver la recherche de la vérité, en particulier dans une affaire criminelle, est très problématique", assure-t-il. Interrogée par Raphaëlle Duchemin, Guillaume Didier souligne que la piqûre de rappel de la procureure de Besançon devait s'appliquer "à toutes les affaires judiciaires en cours". Ces principes "comptent aussi dans l'affaire Darmanin, dans l'affaire Mathieu Gallet, dans l'affaire Cardonna…", soutient-il. "La présomption d'innocence, ce n'est pas un principe à la carte. Il veut que vous soyez présumé innocent jusqu'à ce que vous soyez définitivement condamné par une juridiction. Aujourd'hui, Mathieu Gallet est autant innocent que vous ou que moi", illustre le magistrat. 

Exemplarité VS. présomption d'innocence. Accusé de viol, le ministre de l'Action et des Comptes publics Gérald Darmanin a reçu le soutien du gouvernement, qui a appelé à respecter la présomption d'innocence. D'autres politiques, eux, considèrent que le ministre devrait démissionner afin de répondre à la justice. Guillaume Didier, lui, dénonce ce procédé. "Quand j'entends certains dire que le principe d'exemplarité doit primer sur la présomption d'innocence, c'est assez grave. L'exemplarité, c'est un principe moral, respectable mais variable, subjectif. Alors que la présomption d'innocence, c'est un principe général du droit", soutient-il, assurant qu'il s'agissait là de la condition sine qua non à "une société plus apaisée". "Ne nous y trompons pas : c'est toujours la justice qui aura le dernier mot."

Marlène Schiappa et le respect des arguments de la défense

Marlène Schiappa a-t-elle commis une faute en commentant les arguments de défense des avocats de Jonathann Daval ? Mercredi, la secrétaire d'État à l'Égalité entre les femmes et les hommes avait demandé d'"arrêter de trouver des excuses" aux féminicides, alors même que les avocats du principal suspect avançaient que l'acte est "accidentel", et que le mari avait réagi aux coups de colère répétés d'Alexia Daval. Pour Guillaume Didier, les propos de Marlène Schiappa ne vont pas à l'encontre de la présomption d'innocence. Or, "un avocat doit conserver la liberté absolue et totale de ses arguments de défense. Même si sa défense est maladroite ou peut paraître choquante, tant qu'elle respecte la loi et les principes déontologiques, on doit la respecter."