Griezmann : une communication millimétrée, un fiasco à la clé

Le Français a annoncé jeudi soir sa décision de rester à l'Atlético de Madrid.
Le Français a annoncé jeudi soir sa décision de rester à l'Atlético de Madrid. © GABRIEL BOUYS / AFP
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Dans un documentaire à la limite de la télé-réalité, Antoine Griezmann a annoncé qu’il restait à l’Atlético de Madrid, jeudi soir, à deux jours du premier match des Bleus au Mondial. La mise en scène fait grincer quelques dents.
ANALYSE

Après des semaines d’attente, sa décision est enfin tombée. "J'ai décidé de rester" à l’Atlético de Madrid, a lâché Antoine Griezmann, jeudi soir, à la fin d'une vidéo d'environ 30 minutes diffusée en prime-time et en exclusivité par une chaîne payante espagnole. Plus que le fond, c’est bien la forme qui surprend. Au moins autant qu’elle agace. Et cela, des deux côtés des Pyrénées.

Une communication savamment orchestrée. Il s'était engagé à régler son avenir avant son entrée en lice en Coupe du monde avec l'équipe de France. Mardi, en Russie, "Grizi" avait finalement évacué la question, assurant à tout son monde que "la décision a été prise" mais que ce n'était "pas le moment ni l'endroit pour le dire". Une façon de mieux se concentrer sur les Bleus ? Pas vraiment. Plus que sportive, la manœuvre était finalement commerciale.

À l'origine de ce coup de com', Gérard Piqué. C'est en effet la société du défenseur barcelonais, Kosmos, qui a produit le fameux documentaire vendu à Movistar. Le Français a fait le reste. Dans une vidéo diffusée dans l'après-midi sur le compte Twitter de la chaîne Cero de Movistar+, qui a donc obtenu l'exclusivité de l'annonce, il a lui-même servi le "teasing" : "Vous en avez un peu marre des commentaires qui disent que je m'en vais, que je reste, combien ils vont me donner... La vérité, c'est ce que je vais dire maintenant". Maintenant, ou plutôt à 21h15, le temps de faire chauffer les pop-corns… L'annonce avait pourtant été enregistrée avant le départ des Bleus pour la Russie.

"On n'est presque plus dans le sport. On a basculé dans l'entertainment (divertissement, ndlr), en utilisant les mêmes codes qu'un Star Wars", ironise auprès de l'AFP le directeur général de l'agence de conseil et communication Sport Market, Bruno Bianzina.

Une mise en scène gênante. Et ce fameux film, alors ? Digne d'une émission de télé-réalité. Suivi par les caméras depuis le 16 avril, dans sa luxueuse villa de la banlieue de Madrid, chez ses parents en France, avec sa fille, en train de se faire tatouer, "Grizi" évoque ses états d'âme pendant une trentaine minutes. Face caméra et rap en bande-son, avec quelques plans clairement surjoués.

Le joueur de 27 ans confie son hésitation entre gagner une Ligue des Champions avec l'Atlético, pour rentrer "dans l'histoire du club", ou n'être qu'un champion parmi d'autres au Barça. Avant de mettre fin au suspense, à 21h47, à la télé comme sur les réseaux sociaux.

Avec ce mot-clé lancinant, dégainé dès la bande-annonce : #LaDecision. Une référence non masquée au basketteur américain, LeBron James, que Griezmann affectionne tant, et qui avait annoncé en 2010, dans une émission spéciale sur ESPN, son départ des Cavaliers de Cleveland pour le Miami Heat. À l'époque déjà, la méthode avait été sévèrement critiquée.

Critiques à tout-va. Avec ce choix, Griezmann avait l'occasion de passer pour un joueur simple, voire romantique, qui préfère la fidélité à la facilité d'aller au Barça pour gagner des titres. À en croire les nombreuses réactions négatives, ce n'est pas vraiment l'effet obtenu. Côté français, c'est surtout le timing qui interpelle, à deux jours de son entrée en Coupe du monde, samedi face à l'Australie.

 

Côté espagnol, cette mise en scène a aussi été considérée comme un manque de respect pour les supporters de l'Atlético. Selon la radio Cope, Antoine Griezmann a même tourné deux versions finales : une où il indique qu'il reste à l'Atlético, une autre où il annonce son départ…

Reste à savoir si le Français sera capable de se remettre le peuple "rojiblanco" dans la poche. Sifflé par certains aficionados lors du dernier match de la saison, "Grizi" avait paru affecté. Il a néanmoins choisi de rester, non sans avoir semé le doute. Comme l'été dernier.

Toute une com' en question. En mai 2017, il avait ainsi évoqué un départ à Manchester United, sur le plateau de l'émission "Quotidien", pas vraiment spécialiste en matière de football. Pire, il avait estimé ses chances de rejoindre Manchester United à six sur dix. Ce qui n'avait pas vraiment été apprécié dans la capitale ibérique.

Le Mâconnais, qui s'était séparé l'été dernier d'Eric Olhats, son conseiller depuis ses 14 ans, pour confier ses intérêts à sa sœur, n'en est d'ailleurs pas à sa première erreur de com'. En décembre dernier, il s'était grimé en joueur noir des Harlem Globetrotters sur les réseaux sociaux. Un hommage pour lui mais un geste dénoncé comme un "blackface". L'attaquant s'était rapidement excusé, plaidant la maladresse.

La polémique n'avait toutefois pas porté atteinte à son petit commerce. Car la marque Griezmann, se vend bien. Dans le magazine Forbes France sorti mercredi, il est en tête des joueurs français les plus rentables, avec un salaire annuel estimé à 10 millions d'euros, et des revenus publicitaires évalués à 3 millions d'euros, dont une marque de rasoir, un shampoing anti-pelliculaire et une collaboration avec le groupe EA Sports, qui produit le jeu vidéo Fifa. La marque Griezmann, c'est aussi sans doute cela qui a guidé sa communication. Pour la faire prospérer, le mieux reste néanmoins de briller sur le terrain. Et dès samedi avec les Bleus.