La risée de la France

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Propos recueillis par Sulvain LABBE , modifié à
Le début de Tournoi en trompe-l'oeil du XV de France a volé en éclats samedi, à Rome, où les Bleus, tombés pour la première fois de leur histoire, se sont couverts de honte. Incapables de résister à la tentation de la décompression après le "crunch" perdu, les Tricolores, pas pressés d'expliquer l'inexplicable, n'ont pu éviter la confrontation avec leur réalité à six mois de la Coupe du monde: celle d'une toute petite équipe.

Le début de Tournoi en trompe-l'oeil du XV de France a volé en éclats samedi, à Rome, où les Bleus, tombés pour la première fois de leur histoire, se sont couverts de honte. Incapables de résister à la tentation de la décompression après le "crunch" perdu, les Tricolores, pas pressés d'expliquer l'inexplicable, n'ont pu éviter la confrontation avec leur réalité à six mois de la Coupe du monde: celle d'une toute petite équipe. Alors les coqs, douchés de frais et en smokings, sont redescendus de leurs chambres dans cet hôtel cinq étoiles de la prestigieuse Via Veneto, à Rome, rejoint dès la fin de ce match perdu à Flaminio face aux Italiens (22-21) sans avoir cru bon de prendre le temps d'assumer ce revers historique face aux médias. Comme on redescend de son petit nuage, auquel la plupart s'accrochaient malgré les évidences. La solidarité des Bleus, si défaillante quelques minutes plus tôt sur le terrain, avait encore fait défaut, le capitaine Thierry Dusautoir ayant été le seul à tenter d'expliquer l'inexplicable au côté de son sélectionneur face au feu forcément nourri des questions de journalistes avides de trouver les réponses à ce fiasco monumental. Attendus au banquet d'après-match par leurs vainqueurs italiens, les Bleus n'échapperont pas à leur séance d'auto-flagellation dans ce salon glacial, le mal nommé Bon Compagni, transformé à la va-vite en salle de presse, où les joueurs entrent à reculons. Entre l'abattement et, plus grave, la résignation. On jurerait avoir entraperçu le fantôme de Chabal, mais sans doute le barbu préfère-t-il réserver sa prose à sa chronique du dimanche. D'autres assument pour lui. Aux discours lénifiants de rigueur depuis le coup d'envoi de ce Tournoi sur la pseudo constante progression d'un groupe, qui vit bien, ont enfin succédé des paroles responsables et réalistes sur la réalité ce cette équipe devenue "la risée de toute la France", dixit un Maxime Médard aux yeux rougis. "On passe pour des moins que rien dans le rugby français." Et plus encore au regard d'une concurrence et des futurs adversaires des Bleus en Coupe du monde auxquels le nouveau désastre de ces imprévisibles Français n'aura forcément pas échappé... Un match perdu dès le lundi Boudés dans les vestiaires à l'issue du match par leur entraîneur qui même s'il se refuse à le penser, ne peut faire semblant de ne pas s'interroger sur un "lâchage" de la part de son vestiaire, les joueurs cette fois ne fuient plus. Même si c'est l'un des trois Tricolores, nommément épargné par les reproches du sélectionneur (avec Dusautoir et Clerc), qui se lance dans l'autocritique, Julien Bonnaire, comme à son habitude, ne se dérobe pas: "On a tendu le bâton pour se faire battre, on a failli mentalement dès le coup d'envoi et beaucoup trop subi, relève le troisième ligne. On s'est dit beaucoup de choses que ce soit avant le match ou à la mi-temps, mais ce n'est pas le tout de dire les choses, l'important, c'est de le prouver sur le terrain. (...) Ça ne remet pas en cause le potentiel qu'on a et c'est ce qui est rageant. On le sait, moi en tout cas, je sais très bien qu'on peut et qu'on doit faire beaucoup mieux. Mais on le dit, on le dit et ça n'arrive pas malheureusement. On peut perdre, mais en ayant tout donné et ça n'a pas été le cas..." Paroles, paroles... A se bercer de belles phrases depuis un mois, les Bleus se sont pris pour d'autres. "Arrêter de faire les beaux", décrète encore Médard, décidément pas le moins incisif. Ils ne peuvent pourtant pas dire qu'ils ne savaient pas. Yoann Huget, paradoxalement peut-être auteur de son moins mauvais match en bleu au coeur de ce désastre, le rappelle: "Marc nous avait assez prévenus durant la semaine." Insuffisant pour ce groupe que Lièvremont finit par soupçonner de vivre finalement trop bien, à l'image d'une semaine de préparation à l'envers: "Le match, on ne le perd pas aujourd'hui, dans la préparation, on le perd durant la semaine en laissant des sourires. Vu qu'il n'y avait pas la peur, on a mal géré cette semaine de préparation. (...) On a sorti tout ce qu'il fallait pour ne pas en prendre 40 en Angleterre et puis, inconsciemment, les Italiens en ayant pris 50 contre les Anglais, on s'est dit que ça allait peut-être passer. C'est une faute professionnelle." S'il se refuse à remettre en cause l'état d'esprit du groupe, Vincent Clerc, dont le 23e essai en bleu passera inaperçu, lâche tout de même: "Quelque part, on s'est trahis les uns les autres..." Trinh-Duc: "On n'arrive pas à jouer ensemble" Au fil des minutes, les langues se délient et Lièvremont trouvera, qui sait, certaines réponses à ses doutes... Même si un Morgan Parra abonde dans le sens de son sélectionneur: "On est tombé dans le piège italien, c'est de notre faute. Il (Lièvremont) a raison, ce n'est pas de sa faute non plus, on est sur le terrain, c'est nous qui avons pêché, donc je ne vois pas pourquoi on viendrait tirer sur le jeu." A quelques pas de là, son compère de la charnière, François Trinh-Duc semble nettement moins convaincu et livre un terrible constat: "Quand on regarde les joueurs qui sont là, il y a de la qualité, mais on n'arrive pas à jouer ensemble. Il y a eu quelques changements, quelques rectifications dans le projet de jeu, notamment avec le cahier de jeu. Mais tout n'est pas clair, selon moi. De temps en temps, certains sont perdus, il y a des ruptures de soutien, on ne joue pas les petits côtés comme on souhaite le faire. Il faut re-clarifier tout ça." Un groupe à la solidarité toujours aussi variable et un projet de jeu toujours aussi peu lisible : rien n'aurait donc changé depuis le désastre australien ? On aimerait entendre Parra sur la question... Mauvais choix: "Vous me fatiguez avec l'Australie...", lâche, exaspéré le n°9 clermontois, auquel on parlera donc désormais de l'Italie. Le constat d'échec reste toujours aussi patent. Et Huget, le plus jeune d'entre tous, se colle au couplet sur l'espoir qu'il faut entretenir, malgré tout: "A nous d'être enfin des joueurs professionnels, qui jouons les matches comme il se doit et non pas en réaction. C'est toujours emmerdant de devoir sans cesse redorer le blason, de montrer notre vrai visage. Aujourd'hui, on fait deux pas en avant, trois pas en arrière à chaque fois. A nous de savoir vraiment ce qu'on veut: si à chaque fois, on veut que vous nous tapiez dessus ou si on veut à chaque fois montrer un visage digne d'une équipe de France." Pas si mal pour un Bleu...