L'Atlantique en cata de sport !

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Rédaction Europe1.fr , modifié à
Pierre-Yves Moreau est un stakhanoviste de la mer ! Un gros mois après avoir fait partie de l'équipage de Banque Populaire V qui a pulvérisé le record de l'Atlantique, le skipper d'Octo-Finances, associé à Benoît Lequin, a bouclé samedi dernier une inédite traversée de l'Atlantique entre New York et Lorient sur un catamaran non-habitable de 6,10 mètres en 18 jours, 18 heures, 52 minutes et 45 secondes. Un exploit qu'il nous raconte en détails...

Pierre-Yves Moreau est un stakhanoviste de la mer ! Un gros mois après avoir fait partie de l'équipage de Banque Populaire V qui a pulvérisé le record de l'Atlantique, le skipper d'Octo-Finances, associé à Benoît Lequin, a bouclé samedi dernier une inédite traversée de l'Atlantique entre New York et Lorient sur un catamaran non-habitable de 6,10 mètres en 18 jours, 18 heures, 52 minutes et 45 secondes. Un exploit qu'il nous raconte en détails...L'objectif"C'est dans le prolongement du record qu'on avait fait entre Dakar et Pointe-à-Pitre (11 jours 11 heures et 42 minutes en décembre 2007, ndlr). Ce qui nous intéresse, c'est de partir d'une embarcation au départ pas prévue pour une traversée hauturière et de la rendre avec un confort relatif et suffisamment de sécurité pour pouvoir faire un parcours hauturier. On est partis sur 20 pieds car sur Dakar-Saint-Nazaire, il y avait un record à battre de 13 jours en bateau non-habitable de 20 pieds. Par contre, on avait choisi de ne pas partir avec un bateau du commerce et on a construit notre propre embarcation. Au fur et à mesure de la construction du bateau, on éliminait des lignes de questions qu'on se posait au début du projet et on a eu à chaque fois le sentiment de partir en sécurité. C'est cet aspect technique qui nous a motivés: comment rendre possible quelque chose qui semblait impossible à la base ?"Les choix architecturaux"Le record précédent validé par le WSSRC (l'organisme qui valide les records océaniques, ndlr), c'était écrit catamaran de 20 pieds non-habitable, on pourrait appeler ça un catamaran de sport, dans le sens où quelqu'un qui le voit sur la plage se dit qu'il part pour la journée, il ne s'imagine pas un instant qu'il puise traverser. Il n'y avait rien d'autre qui pouvait nous limiter dans la jauge. Dès le départ, on a voulu un bateau le moins humide possible, ce qui n'est pas facile. On a donc choisi un bateau relativement volumineux, assez haut sur l'eau, dans lequel on pouvait quand même charger du matériel, sans qu'il s'enfonce trop. On a choisi aussi rapidement de faire des bancs comme des bancs publics sur chaque côté sur lesquels on peut dormir sous une petite tente et être encore plus haut sur l'eau pour se protéger des embruns et de l'humidité. A l'arrière de ce banc, on avait un siège ergonomique construit spécialement pour nous, dans lequel on était calés pour pouvoir barrer pendant très longtemps et d'une façon relativement confortable. Le terme «relatif», c'est partout: c'est un bateau relativement confortable par rapport à sa taille, mais il n'est pas du tout confortable par rapport à un bateau qui l'est, là c'est du camping."Les conditions de navigation"On a barré 24 heures sur 24, on n'avait pas de pilote. On se relayait toutes les heures pendant la nuit parce que le sommeil vient vite, et pendant la journée, on se faisait des sessions un peu plus longues. Au niveau matériel, comme on empruntait une route avec plus de trafic maritime que sur Dakar-Saint-Nazaire, on avait un Activ'Echo qui nous permettait d'être vu sur un radar, également un système AIS (système d'identification automatique pour éviter au maximum les collisions, ndlr) qu'ont tous les cargos, un élément très important d'anti-chavirage, à savoir un taquet de largage automatique des voiles à partir d'un certain angle de gîte, un kit de survie et une balise de détresse continuellement sur nous, on avait plus misé sur la sécurité. On stockait tout dans les coques, dans des trappes étanches: les voiles, le matériel de sécurité, la nourriture, les vêtements. On avait un sac journalier qu'on sortait tous les jours, on en avait préparé 17. Il a fallu un peu se rationner sur la fin, mais rien de terrible."Le routage météo"Christian Dumard (qui a notamment travaillé avec Thomas Coville, ndlr) nous routait. Nous, on avait juste un GPS à bord. C'est hyper important d'avoir une bonne météo parce qu'on ne peut pas se permettre de prendre un risque à ce niveau-là, on en prend déjà suffisamment à côté. Donc Christian nous donnait des way-points à aller chercher. Malgré tout, en arrivant à l'entrée du Golfe, on a eu quatre jours de très très mauvais temps de face, avec des vagues assez importantes."Une fin de parcours éprouvante"Jusqu'à l'entrée du Golfe, on était vraiment bien, on gérait bien le bateau, on était en forme, on avait réussi à sécher nos vêtements parce qu'on avait eu des soucis d'étanchéité, on rentrait pas mal d'eau parce qu'une poutre s'était désolidarisée du flotteur. Tout allait bien, mais ces quatre jours au près à taper très fort ont été très durs. On n'avait pas le droit de se laisser aller, car sinon, c'était de pire en pire, mais il fallait continuellement tout amarrer à bord, vérifier le bateau, son intégrité, continuer à bien barrer... Mais le sommeil, c'était atroce, chaque vague nous réveillait. C'est comme si on roule en voiture et que toutes les trente secondes, la voiture chute d'un mètre de haut et repart. Même si on arrive à trouver le sommeil pendant trente secondes, ça nous réveille. En plus, à chaque fois qu'on tapait dans une vague, on donnait un coup dans la tente en sautant, la tente s'ouvrait, il fallait ressortir pour la refermer, c'était vraiment pas agréable. On a senti nos limites car on n'arrivait absolument pas à se reposer, on était un peu à bout, on s'énervait vite, et du coup, la sécurité en pâtit. Il était temps d'arriver, on en avait plein le dos !"L'état des hommes et du bateau à l'arrivée"On a un peu eu les choses auxquelles on s'attendait: mal aux fesses, parce qu'on est tout le temps assis, avec pas mal de sel et d'humidité. Egalement des frottements au niveau des poignets, les mains un peu abîmées, il y a aussi des problèmes de jambes parce qu'on ne marche pas trop. Mais on n'a pas eu trop de soucis physiques si ce n'est le sommeil où là, on a pris cher ! Quant au bateau, il a eu des bobos à droite à gauche, mais comparé à ce qu'on lui a fait subir, on est content d'avoir fait un bateau solide ! On n'imaginait pas que ça pouvait taper aussi fort, on est vraiment content de la structure."Un nouveau défi sur 20 pieds ?"Pour le moment, on souhaite qu'il y ait d'autres coureurs qui tentent la traversée par les alizés, que les équipages construisent leur propre bateau, ça permet de s'épanouir dans la construction et la navigation. Nous, on a l'impression d'avoir fait un peu le tour, maintenant, on sera élément dynamique et porteur si d'autres équipages veulent tenter la traversée sur notre bateau qui est à vendre ou un nouveau. Et si un équipage bat notre record sur la route des alizés, on sera prêts à relever le défi !"Banque Populaire V/Octo-Finances..."C'est vraiment très différent ! Banque Populaire, c'est une grosse organisation, un bateau qui va excessivement vite, mais d'un point de vue physique, le projet catamaran est bien plus épuisant, beaucoup plus compliqué, plus dangereux, il y a énormément de travail de préparation, d'investissement personnel, mais les deux sont passionnants. Sur Banque Populaire V, on est arrivé au constat que la voile du futur, ce n'est plus d'aller à plus de 30 noeuds sur un maxi-trimaran, mais au-delà de 40 ! Les sensations sont un peu comme un 60 pieds, c'est un bateau qui accélère très vite, est très véloce, hyper agréable à barrer."Des projets personnels ?"Pour moi, d'abord le Trophée Jules-Verne sur Banque Populaire V l'hiver prochain, puis continuer à chercher un budget dans l'objectif de faire un Vendée Globe en 2012 ou 2016, en passant éventuellement par d'autres séries. Mails il y a plein de choses passionnantes, comme le multicoque de 50 pieds et d'autres..."