Horner, un papy-champion de 42 ans

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avec J.L. , modifié à
CYCLISME - L'Américain Chris Horner est devenu dimanche le vainqueur d'un grand Tour le plus âgé.
Horner avec du champagne (930x620)

Peut-on être champion cycliste à près de 42 ans ? A cette question, Christopher Horner vous répondra oui. Le cycliste américain, né au Japon le 23 octobre 1971, est devenu dimanche le vainqueur d'un grand Tour le plus âgé de l'histoire, à 41 ans et presque 11 mois, enlevant la Vuelta devant l'Italien Vincenzo Nibali (Cannondale). Le coureur de l'équipe RadioShack-Leopard efface des tablettes le Belge Firmin Lambot, qui avait inscrit son nom au palmarès du Tour de France à 36 ans, en... 1922 ! Samedi, lors de l'étape décisive de l'Angliru, où il a résisté à Nibali, Horner a fini deuxième derrière le Français Kenny Elissonde (FDJ.fr), de 20 ans son cadet...

Pour Jean-Pierre de Mondenard, docteur spécialisé dans le cyclisme, la performance de Horner, atypique, n'est pas forcément si étonnante. "Des gens de la quarantaine qui dament le pion à des jeunes de vingt-cinq ans dans des compétitions de haut niveau, ce n'est pas exceptionnel", estime-t-il au micro d'Europe1.fr. "Il y a eu d'autres cas. Vous avez Poulidor qui fait troisième du Tour de France à 40 ans (1976), vous avez (Eugène) Christophe qui gagne deux épreuves par étape, à la quarantaine passée, dans les années 1920, Bartali qui est champion d'Italie à 38 ans (en 1954) (On pourrait aussi citer Gilbert Duclos-Lassalle, vainqueur de Paris-Roubaix à 38 ans et demi ou Jens Voigt, qui a participé au dernier Tour de France à 41 ans, ndlr). Dans le marathon, c'est courant. Le bonus de l'expérience est supérieur au malus des ans." Et le bonus pourrait encore durer un peu car Horner a annoncé vouloir continuer le "cyclisme pendant deux ou trois ans"...

Ses atouts : expérience et fraîcheur

Horner sur le chrono (930x620)

Sur la Vuelta, Horner a su tirer le maximum de ses deux avantages sur ses rivaux : l'expérience, donc (Nibali, son dauphin, n'a que 28 ans et Alejandro Valverde, 3e, en a 33) mais aussi la fraîcheur, lui qui disputait en Espagne son premier Grand Tour de l'année, alors que ses rivaux s'étaient "épuisés" sur le Giro (Nibali) ou sur le Tour (Valverde, Rodriguez). "Le vélo est un sport d'endurance, technique, qui exigence une grande connaissance de la course et de son corps", insiste Richard Virenque, 43 ans, consultant Europe 1, que la performance de Horner "laisse rêveur". "C'est pour cette raison qu'il y a des coureurs qui sont meilleurs à 30 ans qu'à 20, ou d'autres encore à 35." Et encore un autre à presque 42...

Le tout, on l'imagine, grâce à un régime alimentaire drastique, digne d'une Jeannie Longo ? Que nenni. Horner, qui réside à San Diego, en Californie, nous la joue en l'américaine : il explique ainsi qu'il se nourrit essentiellement de hamburgers et de pizzas. "Il a dû en manger mais en rêves", sourit Richard Virenque. "Car pour avoir le gabarit qu'il avait sur cette Vuelta (officiellement 66 kg pour 1,78 m), il fallait soigner sa préparation." Le docteur de Mondenard est de cet avis : "c'est un discours marketing pour valoriser la performance."

Des doutes sur une éclosion très tardive

Horner chez Astana (930x620)

Si la performance de Horner suscite aujourd'hui une certaine incrédulité, ce n'est, paradoxalement, pas à cause de son âge. "Si l'on doit suspecter ses performances, c'est davantage en raison de son éclosion assez tardive", estime au micro d'Europe 1 Patrick Chassé, spécialiste cyclisme. "C'est vrai qu'il était connu, dans un rôle d'équipier, mais il n'avait jamais figuré sur le podium d'un grand Tour tout au long de sa carrière et sa carrière, elle a débuté il y a très longtemps, en 1995. " De fait, avant cette Vuelta, Horner, surnommé "papy" par ses pairs, pouvait se justifier d'un palmarès relativement maigre, construit à partir de l'âge de... 38 ans : le Tour du Pays basque 2010 et le Tour de Californie 2011. En 2010, il avait fini 9e du Tour de France, alors que son rôle au départ était d'être équipier d'un certain Lance Armstrong...

Horner, qui a été un coureur anonyme de la Française des Jeux au début de sa carrière, entre 1997 et 1999, est d'ailleurs passé par des équipes sulfureuses : RadioShack, donc, mais aussi Saunier-Duval (à l'époque avec Leonardo Piepoli, convaincu du dopage) ou encore Astana de 2008 à 2009 (photo ci-dessus). "Si on peut avoir des "reproches" à faire à Chris Horner, ce n'est pas tant en raison de sa domination, qui n'a pas été outrancière sur cette Vuelta", estime Patrick Chassé. "Non, ce qui fait un petit tâche, c'est qu'il est passé par des équipes légèrement "condamnables" et qu'il continue de nier certaines évidences liées au passé, et ça, c'est quand même très gênant, et ça n'aide pas à lui accorder la confiance que mériterait le vainqueur d'un grand Tour." Lorsque l'affaire Armstrong a éclaté en octobre 2012, Horner avait volé au secours de son ancien leader et de son manager, Johan Bruyneel. "Jamais vu de dopage dans nos équipes, jamais entendu parler, jamais vu", avait-il déclaré au site Internet Velo News.

Ancien lieutenant d’Armstrong

Horner en danseuse (930x620)

Le passé de Horner interpelle. Y compris le passé récent. "L'âge ne me choque pas mais ce qui m'interpelle, c'est qu'il est resté plusieurs mois cette saison sans courir, et qu'il arrive comme ça, au mois de septembre, et qu'il est le plus fort", s'étonne Jean-Pierre de Mondenard. Blessé à un genou en début de saison, Horner a été éloigné des compétitions pendant cinq mois avant de faire son retour sur le Tour de l'Utah (qu'il avait fini 2e), en août. "Il a étonné tout le monde sur cette Vuelta", souligne encore Richard Virenque. "Mais comme Christopher Froome a étonné tout le monde sur les pentes du Ventoux (sur le Tour de France). Il faut laisser l'exploit tel qu'il est aujourd'hui." Mais le soupçon n'a évidemment pas tardé à coller au nom de Horner, impressionnant dans les montées qu'il a gravies la plupart du temps en danseuse, quand ses adversaires avaient besoin de souffler en se remettant sur leur selle (photo). "Dès qu'il y a des performances hors norme, c'est la suspicion légitime", regrette Jean-Pierre de Mondenard. "Et comme les contrôles sont incapables de dire qui trichent ou qui ne trichent pas..."

Les observateurs ne sont pas les seuls à avoir des doutes sur Horner : l'Usada, l'agence antidopage américaine qui a fait tomber Lance Armstrong, en a également. Elle avait diligenté un contrôle inopiné, lundi, à Madrid, au lendemain de la victoire de Horner. Mais les agents espagnols se sont trompés d'hôtel, se présentant à celui de l'équipe quand le tout nouveau vainqueur de la Vuelta, lui, avait déjà rejoint sa femme dans un hôtel voisin. "Il avait donné toutes les informations nécessaires (numéro de la chambre, numéro de téléphone, et un créneau de présence d'une heure)", s'est immédiatement défendue son équipe. "Cela est parfaitement normal et il a reçu un mail de confirmation." RadioShack a même mis en ligne cet échange de mail, où l'on peut constater que Horner a fait parvenir cette information, dimanche, tout à fait dans les temps. C'est aussi ça l'expérience.