Armstrong, des aveux a minima

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CYCLISME - L'ancien coureur a avoué s'être dopé mais a clairement éludé certaines questions.
Lance Armstrong sur le plateau d'Oprah Winfrey (930x620)

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Malgré les premières preuves accumulées au fil des années, malgré le rapport détaillé de l'agence antidopage américaine (Usada), malgré les premières fuites quant au contenu de ses aveux télévisés, cela fut un extraordinaire moment de télévision, filmé dans une chambre d'hôtel quelconque, entre deux tables basses (l'interview est à revoir sur le site oprah.com) : Lance Armstrong, le visage fermé, avouant s'être dopé et avoir dupé tout son monde pendant une décennie entière.

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En grande professionnelle (et elle l'a prouvé tout au long de l'entretien), Oprah Winfrey a commencé son interview par une mise en scène brillante. Elle a demandé à Armstrong de répondre par oui ou par non à une série de questions fermées, oui ou non :

"Avez-vous déjà pris des produits interdits pour améliorer vos performances ?"
- Oui.
-Est-ce que, parmi ces produits interdits, il y avait l'EPO ?
- Oui.
- Avez-vous déjà procédé à des manipulations sanguines ou à des transfusions pour améliorer vos performances ?
- Oui.
- Avez-vous pris d'autres produits interdits, de la testostérone, de la cortisone ou des hormones de croissance ?
- Oui.
- Lors de vos sept victoires sur le Tour de France, avez-vous pris des produits interdits ou avez-vous eu recours à du dopage sanguin ?
- Oui."

Armstrong avoue s'être dopé :

Armstrong a expliqué avoir commencé à se doper au milieu des années 1990. EPO, testostérone, transfusions, tel était son "cocktail", notamment lors des sept Tours de France remportés consécutivement entre 1999 et 2005 et dont il a été déchu en octobre dernier. Pourquoi l'avoir fait ? "J'ai toujours été un combattant", a expliqué Armstrong par rapport à son enfance difficile (son père biologique l'a abandonné avec sa mère alors qu'il avait que 2 ans ndlr). "Quand j'ai eu mon cancer, mon but a toujours été : gagner à tout prix. (...) J'ai ensuite adopté ce comportement dans le cyclisme. Et c'est mal." Toujours selon Armstrong, la majorité du peloton était elle aussi dopée. Ce qui lui fait dire qu'il n'y a pas eu "tricherie". "La définition de tricher, c'est gagner un avantage sur un rival. Je ne l'ai pas vu comme ça. J'ai vu ça comme une façon de lutter à armes égales."

Pourquoi n'avoir jamais été pris malgré ces pratiques ? Armstrong considère que, sous son règne, la lutte antidopage n'était alors pas aussi efficace qu'aujourd'hui, avec la généralisation des contrôles hors compétition et la mise en place du passeport biologique. L'ancien coureur a également reconnu qu'il était sans doute "trop tard" pour faire ses aveux. "Tout est de ma faute. La situation peut se résumer ainsi : c'est un grand mensonge, que j'ai répété plusieurs fois." Selon lui, il n'aurait peut-être jamais eu à le faire s'il n'était pas revenu dans les pelotons en 2009, une décision qui, selon lui, a motivé son ancien coéquipier Floyd Landis mais également l'Usada à le faire tomber.

Contestations et stratégie d'évitement

Concernant ce retour dans les pelotons lors des saisons 2009 et 2010, sous les couleurs d'Astana puis de Radioshack, le Texan a expliqué avec assurance (d'aucuns parleraient d'arrogance) qu'il n'avait pas eu recours au dopage, rendu impossible selon lui par l'efficacité des contrôles et le suivi des coureurs. Pour rappel, en 2009, Armstrong, de retour aux côtés d'Alberto Contador dans l'équipe kazakhe, avait terminé troisième du Tour de France à l'âge de 37 ans. A savoir aussi qu'un scientifique australien, qui s'exprimait dans le San Francisco Chronicle en octobre dernier, estime que les données sanguines d'Armstrong à l'époque révèlent plusieurs anomalies...

Ce qu'Armstrong a nié également avec vigueur, c'est le contrôle positif sur le Tour de Suisse 2001 qui lui a été imputé. Dans les semaines qui ont suivi, Armstrong avait versé une forte somme d'argent à l'Union cycliste internationale. Une simple demande venant de l'UCI elle-même, selon lui. Quant à son comportement supposé (et assumé) de "tyran" dans son équipe, Armstrong a souligné n'avoir jamais menacé qui que ce soit pour l'imiter. "Il y a des gens dans cette histoire qui sont des gens bien, non toxiques", a-t-il reconnu, sans nier sa part de responsabilité, en tant que "leader" sur les courses à l'époque.

C'est une évidence : Armstrong n'a pas voulu passer pour un délateur. Il n'a impliqué personne ou presque, que ce soit le management de ses équipes, ses anciens coéquipiers ou les institutions internationales, comme l'UCI. "Je me suis perdu moi-même", a-t-il insisté. "Ce sont mes erreurs." "Je vais passer le restant de ma vie à m'excuser auprès des gens", a-t-il ajouté plus loin. A peine a-t-il reconnu, devant le fait accompli et une vidéo projetée par Oprah Winfrey, que le Dr Michele Ferrari avait joué un rôle dans ses pratiques de dopage. En a-t-il été le "gourou" ? "C'est un homme intelligent", a dit Armstrong avant de déclarer : "je ne suis pas à l'aise pour parler de certaines personnes."

Parmi ces "personnes", figure également le Belge Johan Bruyneel, qui a été son manager d'équipe et son mentor de 1999 à 2005 (US Postal, Discovery Channel) et de 2009 (Astana) à 2010 (Radioshack). Son nom n'a même pas été évoqué, alors que l'Usada expliquait dans son rapport qu'il avait participé à l'élaboration de ce qui a été défini comme le "programme de dopage le plus sophistiqué de l'histoire".

Comme attendu, Armstrong n'est pas entré dans le détail de ses pratiques dopantes et sur ses astuces pour ne pas être pris. Les révélera-t-il plus tard ? Peut-être. Le Texan, qui devra témoigner devant les autorités antidopage pour espérer une levée de sa suspension à vie, s'est dit prêt également à participer à une "commission de vérité et réconciliation" pour l'avenir du cyclisme. Cette première partie de l'interview a presque uniquement porté sur le sportif. La deuxième partie, diffusée à la même heure (3h00) dans la nuit de vendredi à samedi, s'attardera davantage sur le côté économique et humain, avec l'évocation du rapport d'Armstrong aux sponsors, de la création de sa fondation Livestrong et enfin des rapports avec ses enfants et sa mère. Le teaser de cette deuxième partie laisse apparaître un Armstrong particulièrement ému. Et c'est sans doute lors de cette deuxième partie que "LA" a craqué et laissé échapper quelques larmes.

Toujours en contrôle, Lance Armstrong a souvent fixé Oprah Winfrey dans les yeux. Tout au long de l'interview, "on a retrouvé les éléments corporels et gestuels de Lance Arsmtrong : son aplomb habituel teinté d'une certaine vigilance mais pas vraiment une grande repentance", juge Stephen Bunard, synergologue et spécialiste de la communication.

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