Violences sexuelles : le projet de loi assure-t-il une meilleure protection des mineurs ?

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La loi sur les violences sexuelles et sexistes portée par Marlène Schiappa est débattue à partir de lundi à l'Assemblée. © Philippe LOPEZ / AFP
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La présomption de non-consentement pour les mineurs de moins de 15 ans ne figure plus dans le projet de loi sur les violences sexuelles qui arrive à l'Assemblée lundi. Ce qui indigne certains politiques et militants associatifs.

La question initiale est simple. Un mineur de moins de 15 ans peut-il consentir à une relation sexuelle avec un majeur ? Le projet de loi contre les violences sexuelles et sexistes, dont l'examen en séance à l'Assemblée commence lundi, tente d'apporter une réponse, notamment en renforçant le cadre pénal des violences sexuelles à l'égard des enfants et jeunes adolescents. Mais entre les reculades du gouvernement et les revendications parfois divergentes des associations et du monde de la justice, la controverse n'est jamais loin. Les débats dans l'hémicycle s'annoncent agités autour de l'article 2 du texte, qui concerne spécifiquement les atteintes sexuelles sur mineurs. Lundi, une pétition a même été lancée par 250 personnalités pour réclamer sa suppression. Pour celles-ci, le projet de loi ne répond pas aux attentes et ne permettra pas de mieux protéger les jeunes.

 

 

 

Deux scandales à l'origine du projet de loi

La rédaction de l'article 2 doit permettre d'éviter que se reproduisent des affaires comme celle du parquet de Pontoise en septembre dernier, ou de la cour d'assises de Meaux en novembre. Dans le premier cas, le parquet de Pontoise avait décidé de poursuivre un homme de 28 ans pour atteinte sexuelle, et non viol, sur une mineure de 11 ans (depuis, le parquet a finalement ouvert une information pour viol). Dans le second, la cour d'assises avait acquitté un majeur accusé de viol sur une fillette de 11 ans également.

 

Que contient le projet de loi ?

L'article 2, encore modifié la semaine dernière en commission à l'Assemblée, prévoit deux mesures qui font polémique. La première précise la définition du viol. Aujourd'hui, cela consiste en une atteinte sexuelle avec pénétration, exécutée sous la violence, la menace, la contrainte y compris morale ou la surprise. Aucune mention de l'âge de la victime n'est faite. L'article 2 prévoit de compléter que "la contrainte morale ou la surprise peuvent résulter de l'abus de l'ignorance de la victime ne disposant pas de la maturité ou du discernement nécessaire pour consentir à ces actes". Une précision qui doit permettre de mieux prendre en compte le jeune âge de la victime. "Il n'y aura plus d’ambiguïté sur les capacités de discernement ou le consentement du mineur à un acte sexuel", explique la députée LREM Alexandra Louis, rapporteure du texte, dans un rapport fait au nom de la commission des Lois.

La seconde mesure est un alourdissement de la peine pour atteinte sexuelle sur mineur de moins de quinze ans. Aujourd'hui, la peine encourue est de 5 ans d'emprisonnement. Le gouvernement prévoit de la porter à 7 ans, et même 10 ans s'il y a pénétration.

L'absence de seuil de non-consentement très critiquée

Mais pour certaines personnalités politiques ou associatives, ainsi que certains magistrats, rien de tout cela ne pourra permettre une meilleure protection des mineurs. Le syndicat de la magistrature (SM) estime par exemple que l'introduction de "l'abus de l'ignorance de la victime" et la mention de la "maturité" et du "discernement" ne servent à rien. "C'est déjà ce que font les juges dans la pratique, assène Katia Dubreuil, présidente du SM. On ne juge pas les affaires de viol de la même manière selon l'âge de la victime. La loi ne fait donc qu'ajouter un élément déjà dans la jurisprudence. Au mieux, ça ne sert à rien. Au pire, cela nuit à l'impératif de clarté."

" Tout ça, c'est pour ne pas mettre de seuil d'âge. C'est un recul inacceptable. "

"Tout ça, c'est pour ne pas mettre de seuil d'âge". Du côté des associations, on dénonce des formules au rabais, destinées à faire oublier que le gouvernement avait d'abord promis d'instaurer une limite d'âge au-dessous de laquelle la victime serait a priori considérée comme non-consentante. Pour Madeline Da Silva, signataire de la pétition #LeViolEstUnCrime qui réclame la suppression pure et simple de l'article 2, "l'abus de l'ignorance de la victime" relève de "la littérature de droit". "Tout ça, c'est pour ne pas mettre de seuil d'âge", enrage cette militante des droits de l'enfant. "C'est un recul inacceptable." Un seuil de non-consentement fixé à 15 ans figurait bien dans la version initiale du texte. Vertement critiqué par les magistrats, il avait également reçu un avis défavorable du Conseil d'État, qui y voyait une atteinte à la présomption d'innocence. Et il a donc finalement été retiré par le gouvernement.

Inversion de la charge de la preuve. En commission, la députée Insoumise Clémentine Autain avait plaidé, elle aussi, pour garder ce seuil. Et ce, afin de permettre une "inversion de la charge de la preuve, soit la possibilité de demander à une personne majeure de faire la preuve qu'elle n'a pas violé un enfant", et non l'obligation pour l'accusation de prouver qu'il y a bien eu usage de violence, menaces, surprise ou contrainte. Mais cet amendement, ainsi qu'un autre UDI similaire, avaient été rejetés.

Vers une "correctionnalisation" massive des viols sur mineurs ?

Mais c'est surtout la seconde mesure, celle alourdissant les peines pour atteinte sexuelle, qui concentre les critiques. Ce que craignent ses opposants, c'est que cette disposition encourage les magistrats à poursuivre les viols sur mineurs comme de simples atteintes sexuelles, c'est-à-dire un délit, et non comme des viols, qui sont des crimes. C'est ce qu'on appelle la "correctionnalisation" du viol, qui existe déjà très largement. "Cet article ouvre la porte à une correctionnalisation massive des viols sur mineurs, regrette Madeline Da Silva. Ce qu'on nous vend, mais ce n'est que de la communication, c'est qu'une atteinte sexuelle sera punie plus sévèrement. Mais on se prépare à des centaines de milliers de Pontoise", du nom du parquet qui avait décidé de poursuivre un majeur pour atteinte sexuelle et non viol après des relations avec une enfant de 11 ans (voir encadré).

" On est face à une 'infraction balais', qui sera bien pratique et risque donc d'accroître la correctionnalisation. "

Une "infraction balais". Le Syndicat de la magistrature estime que ces craintes sont fondées. Pour Katia Dubreuil, cet alourdissement de la peine transforme l'atteinte sexuelle en "une 'infraction balais', qui sera bien pratique et risque donc d'accroître la correctionnalisation". La peine maximale encourue pour atteinte sexuelle étant plus élevée, les magistrats pourraient avoir moins de scrupules à correctionnaliser. Selon elle, une meilleure protection des mineurs victimes de violence ne passe pas tant par un durcissement des sanctions que par l'augmentation des moyens de la justice (car nombre de correctionnalisations sont décidées pour désengorger les cours d'assises) et des mesures permettant de mieux recueillir les preuves (formation des effectifs de police et des magistrats). "Le principal problème, qui explique que la réponse pénale aux violences sexuelles est très insuffisante, ce sont les preuves qui nous manquent pour instruire correctement", rappelle Katia Dubreuil.

Pénaliser ceux qui passent entre les mailles du filet. Reste que face à une correctionnalisation largement répandue, d'autres acteurs du monde judiciaire estiment qu'alourdir la peine pour atteinte sexuelle permettra au moins de ne pas rester sans arsenal juridique lorsqu'il est impossible de prouver qu'il y a eu viol. "L'USM déplore la pratique de la correctionnalisation, prévient Jacky Coulon, secrétaire nationale de l'Union syndicale des magistrats. Mais cette loi est un moyen de pénaliser plus lourdement des gens qui, aujourd'hui, ne sont pas condamnés, ou très légèrement, parce qu'on n'a pas réussi à établir l'emploi de la contrainte, la menace, les violences ou la surprise." En revanche, Jacky Coulon prévient : "ce texte-là doit bien s'articuler avec la réforme de la justice" afin, à l'avenir, de limiter toute correctionnalisation injustifiée.

Du côté du gouvernement, on défend pied à pied un article 2 qui n'est pas, comme le dénonce Clémentine Autain, un "déclassement juridique". "Il ne rétrograde rien, assure Alexandra Louis sur Twitter. Un viol reste un viol. Certains créent et entretiennent la confusion entre atteinte sexuelle et viol afin de décrédibiliser le projet de loi. Ce sont deux infractions différentes."