Violences faites aux femmes : la plateforme en ligne "doit rester un outil complémentaire"

36 policiers et gendarmes ont été spécialement formés pour recueillir, via un "chat", la parole des femmes victimes de violences sexuelles et sexistes.
36 policiers et gendarmes ont été spécialement formés pour recueillir, via un "chat", la parole des femmes victimes de violences sexuelles et sexistes. © Bernard Bisson pour le JDD
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Les plateformes téléphoniques à l'écoute des femmes victimes de violences saluent le chat mis en place mardi par le gouvernement, mais insistent : "Les institutions doivent rester dans leur rôle".

24 heures sur 24 heures, sept jours sur sept : depuis mardi, 36 policiers et gendarmes se relaient pour recueillir la parole des femmes victimes de violences sexuelles et sexistes. Ou plutôt leurs messages. La plateforme en question, accessible via service-public.fr ou www.signalement-violences-sexuelles-sexistes.gouv.fr, se résume en effet à un "chat". Derrière leurs écrans, les autorités spécialement formées pour l'occasion sont ainsi chargées d'"écouter, de "conseiller" et d'"accompagner" les victimes vers le dépôt d'une plainte, mais aussi de permettre aux témoins de signaler des faits dont ils auraient connaissance. Si les associations reconnaissent une avancée, toutes estiment que le dispositif "doit rester complémentaire" des structures déjà existantes. Et de celles qu'il y a encore à créer.

"L'écoute reste existentielle pour les femmes". "Il faut que les institutions restent dans leur rôle", insiste notamment Françoise Brié, directrice générale de la Fédération Nationale Solidarité Femmes, à l'origine du 3919. "L'écoute reste existentielle pour les femmes. Ce n'est pas la même démarche, pas la même façon d'aborder les choses. Souvent, les victimes nous racontent des choses qu'elles ne vont pas forcément dire à des services de gendarmerie", appuie celle qui est aussi membre du Haut conseil à l’égalité. Certains messages physiques, comme les pleurs, les silences, le ton de la voix, ne sont d'ailleurs pas perceptibles par écrit. "Et puis toutes les femmes ne sont pas forcément très à l'aise avec Internet…", complète Françoise Brié.

Là où les plateformes d'écoute jouent un vrai rôle de soutien et bénéficient d'une grande connaissance du milieu associatif, les fonctionnaires mobilisés, eux, se concentrent en effet davantage sur l'aspect procédural. Les victimes qui contactent le chat mais ne souhaitent pas porter plainte sont d'ailleurs dirigées vers d'autres institutions, comme par exemple des associations pouvant les aider à trouver un hébergement d'urgence. 

 

Pour "des efforts encore plus soutenus". Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol et habituée à recueillir la parole de femmes via le numéro vert Viols Femmes Informations 0800 05 95 95, a participé, dès le mois de mai dernier, à la formation des policiers et des gendarmes engagés sur cette plateforme. "C'est sûrement un plus de savoir qu'on répondra aux victimes de façon attentive et formée. Maintenant, quand je pense à la diminution de 40% des condamnations pour viol entre 2009 et 2016, je me dis qu'il faut faire des efforts encore plus soutenus qu'un chat", nuance-t-elle encore.

La présidente du Collectif féministe contre le viol convoque ainsi l'exemple de la Belgique, où des lieux d'accueil ont été mis en place pour les victimes de viols. Celles-ci y "seraient d'abord accueillies médicalement par des psychologues et des infirmières, avec des traitements possibles immédiatement, qui auraient une valeur médico-légale, et, si elles veulent, une audition" par des policiers en civil, détaille Emmanuelle Piet. "Dans un lieu comme celui là, confortable et soutenant pour la femme, on aurait des meilleures auditions et des enquêtes mieux menées", croit-elle savoir.

Comme l'a rappelé le ministre de l'Intérieur mardi, seules 10% des victimes de violences sexuelles et sexistes franchissent le pas d'un commissariat pour déposer plainte. Fin 2017, le directeur général de la police, Eric Morvan, reconnaissait aussi devant l'Assemblée nationale que l’accueil des femmes victimes de violences sexuelles était "perfectible" et "sera toujours un point délicat".

Une étape supplémentaire avant la plainte. Certes, la plupart des signalements émis via le chat feront l'objet d'une fiche de renseignement communiquée au commissariat le plus proche du code postal indiqué pour qu'une enquête soit ouverte. Mais ce signalement n'aura pas valeur de "préplainte" et le risque d’un retour à la case départ, au commissariat, reste entier. À la fin de l’année dernière, un rapport parlementaire indiquait que "moins de 1 300 policiers sont formés spécifiquement aux modalités d’enquête inhérentes aux violences sexuelles".