Samu en difficulté : "On ne peut pas passer notre temps sur des acquis du 20ème siècle", juge Patrick Pelloux

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Anaïs Huet , modifié à
L'enquête du "Point" a relevé un nombre très important d'appels aux urgences qui ne reçoivent aucune réponse. L'urgentiste Patrick Pelloux dénonce le manque de moyens humains.
INTERVIEW

On fait du mieux qu'on peut avec une technologie informatique qui est régulièrement défaillante

 

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Ce sont des données inquiétantes qu'a mis en lumière l'hebdomadaire Le Point mercredi. En décortiquant la base de données de la SAE, la statistique annuelle des établissements de santé, le journal a relevé que plusieurs millions d'appels au secours se perdent sans qu'un opérateur du Samu ne décroche. Pour Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins urgentistes de France AMUF, cette enquête "ne nous apprend rien", car ce constat alarmant est déjà bien connu des professionnels de santé.

Des réponses "contemporaines" à l'urgence. Invité de la Matinale d'Europe 1 jeudi, l'urgentiste estime que le Samu français "a un problème sur la modernité de la réponse" apportée aux appelants. "Le Samu est quelque chose de très précieux, qui est envié à travers le monde", mais "il faut moderniser", estime-t-il. "On ne peut pas passer notre temps sur des acquis du 20ème siècle, il faut que l'on ait des réponses à l'urgence qui soient contemporaines." 

 

Un manque d'effectifs et de moyens. Aujourd'hui, en France, 2.500 personnes travaillent dans les centres du Samu. "Ce n'est pas assez", considère Patrick Pelloux. "Il faut recruter du personnel pour décrocher plus rapidement, et surtout sacraliser les appels du Samu vers l'urgence, et pas toutes les problématiques médico-psycho-sociales. Il faut mieux répartir la charge de travail", souligne l'urgentiste. Et pour cause : Patrick Pelloux constate que les campagnes de prévention - quelles qu'elles soient - diffusées par le ministère de la Santé, renvoient systématiquement vers le 15. "Il y a une volonté des pouvoirs publics de mettre sans arrêt le numéro du Samu en avant. Mais il faut qu'ils nous donnent les moyens de répondre à ces exigences de qualité", martèle-t-il.

En France, il faut 7 à 8 minutes - "voire plus" selon l'urgentiste - pour que le Samu prenne un appel. Aux États-Unis, les plateformes de secours ont l'obligation de décrocher dans les... vingt secondes. "Je suis pour que le législateur ait une exigence de qualité de cet ordre-là", soutient Patrick Pelloux, ironisant sur la réforme de la santé voulue par le gouvernement, véritable "vaisseau fantôme" selon lui.

 

On fait du mieux qu'on peut avec une technologie informatique qui est régulièrement défaillante

À Paris, la gestion de la "crise permanente". Au Samu de Paris, où Patrick Pelloux travaille, moins d'un appel sur deux (49,8%) est décroché, selon l'enquête du Point. "Le Samu de Paris fait de très grandes choses. On fait du mieux qu'on peut avec une technologie informatique qui est régulièrement défaillante, et du personnel en sous-effectif. Nous gérons la crise permanente, c'est d'une grande difficulté", se désole-t-il, tout en se réjouissant que le service reste "extrêmement performant sur les urgences graves."

Une "confrontation" entre Samu et pompiers. Avec un tel temps d'attente, les appelants finissent parfois par raccrocher et s'orientent plus rapidement vers les sapeurs-pompiers. "Les gens ont compris que ce sont des urgences à deux têtes", déplore Patrick Pelloux, qui fait état, "hélas !", d'une guerre des services entre Samu et pompiers. "Depuis quelques temps, il y a une confrontation entre les deux systèmes. C'est délirant. Je ne comprends pas le but de mettre en concurrence les pompiers et le Samu. C'est complètement idiot." Or, pour l'urgentiste, cette "modernité" souhaitée dans les services d'urgence ne passera que par "la coopération des systèmes."