Qui fête vraiment la Saint-Valentin ?

Au delà de l'aspect commercial, une partie de la société méprise plus généralement la mièvrerie associée à la Saint-Valentin.
Au delà de l'aspect commercial, une partie de la société méprise plus généralement la mièvrerie associée à la Saint-Valentin. © AFP
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Clémence Olivier
La fête des amoureux est célébrée par au moins un tiers des Français. Pour autant, beaucoup rechignent, dénonçant l'aspect mercantile de cette journée ou son côté "ringard".

Fête commerciale ou célébration de l'amour ? Aujourd'hui un Français sur trois selon une enquête BVA de 2016 voire un sur deux selon un sondage Ipsos de 2013 fêtent la Saint Valentin. Mais seuls 18% des Français se déclarent attachés au 14 février, précise l'étude BVA. "Je ne la fête pas car c'est trop commercial", confie Christian, 60 ans. "Pour moi la Saint-Valentin, ce doit être 365 jours par an". "Mon copain n'aime pas ça et je n'ai pas envie de me retrouver au restaurant avec des couples qui n'ont rien à se dire", confie Jéhanne, 30 ans. Elle ne fêtera pas cette journée cette année. "Pour moi ce sera tout sauf un truc romantique. Une soupe, tricot et au lit", assure Clarisse, 29 ans. "La Saint-Valentin", c'est quand ? ", s'interroge de son côté  Gilbert, 84 ans. "A l'époque, on ne la fêtait pas", assure son épouse, Renée.

"La norme conjugale mise en scène"."La Saint-Valentin est devenue ringarde", constate Jean-Claude Kauffman, sociologue, auteur de Saint Valentin, mon amour (Ed. Les liens qui libèrent). "Elle est aujourd'hui l'un des jours les plus horribles de l'année pour les célibataires. Ils sont obligés de raser les murs le 14 février. Ce n'est pas une fête de l'amour mais une fête des couples qui mettent en scène la norme conjugale. Il y a une mise en scène du bonheur amoureux. Même dans les restaurants, il faut montrer que l'on est heureux, que l'on est dans la norme", pointe le sociologue.

"On privilégie le cynisme". Au delà de l'aspect commercial, régulièrement pointé du doigt, une partie de la société méprise plus généralement la mièvrerie associée à la Saint-Valentin et, avec, le sentiment amoureux : "il n'est pas tendance, on privilégie le cynisme. Cela renvoie à quelque chose de ringard alors que pourtant nous avons besoin d'amour dans la société, dans la relation intime et sociale."

Une fête de la subversivité. La Saint-Valentin n'a pas toujours été la fête des fleuristes et des chocolatiers. "A l'origine, il y a 2.000 ans, elle est la fête de la subversivité, des rencontres pour les célibataires. Elle s'inscrit dans le carnaval amoureux, elle est joyeuse, libertine". Au XIXe siècle, la police intervient pour la faire disparaître en France. Elle traversera alors l'Atlantique, et sera réinventée par les Américains puis reviendra dans le pays après la Libération en 1945. Mais il faudra toutefois attendre les années 1950-1960 pour que cela se développe à nouveau dans l'Hexagone. "Les femmes veulent alors plus d'implication de leur partenaire et les hommes sont conscients qu'ils ne sont pas à la hauteur. La fête s'est construite à partir de la culpabilité des hommes. Et cela passe par les cadeaux", constate Jean-Claude Kauffman.

" On a besoin de romantisme dans un contexte d'amour volatile, Christine Castelain-Meunier, sociologue au CNRS "

60 % des moins de 35 ans. Pour autant, les Français ne sont pas tous vaccinés contre la Saint-Valentin. 60 % des moins de 35 ans affirment célébrer la fête des amoureux et ils sont quand même 46 % des plus de 35 ans, selon l'enquête Ipsos réalisée en 2013. "Le noyau dur, ce sont ceux qui viennent de former un couple. Ils s'installent dans la relation à petits pas, la première Saint-Valentin, c'est le symbole de l'engagement", note Jean-Claude Kaufmann.

"Une célébration nécessaire". Pour Christine Castelain-Meunier, sociologue au CNRS, auteur du livre Le ménage : la fée, la sorcière et l'homme nouveau, (Ed. Stock), cette célébration est même nécessaire : "On a besoin de rituels, de romantisme dans un contexte d'amour volatile", explique-t-elle. "Avec l'augmentation de l'espérance de vie et la pluralité des situations, les gens qui se mettent ensemble, qui se séparent, on a besoin de manifester son engagement. Et tout le monde est concerné, les jeunes comme les moins jeunes", ajoute-t-elle.

"On sait bien que c'est une fête commerciale mais on aime quand même avoir une petite attention", confirme Ines, 28 ans. "Ce n'est pas obligatoirement quelque chose de dégoulinant où tu jettes de l'argent par les fenêtres", ajoute Adeline. "C'est plutôt l'occasion d'avoir un moment spécial à fêter avec la personne qu'on aime".

Les écolos plus que les électeurs du FN. "Ceux qui en ont le plus besoin sont ceux qui ont le sentiment de choisir leurs partenaires, ils ont une certaine liberté, ils ont besoin de repères", analyse Christine Castelain-Meunier. Selon Jean-Claude Kauffman, les écologistes sont les sympathisants qui fêtent le plus le 14 février quand les électeurs du FN, sont à 90 % contre cette fête. "Mais les critiques gagnent aussi les bobos", assure-t-il.

Célébrer l'amour plus que le cynisme. Pourtant, selon le sociologue, l'argument commercial ne suffit pas à justifier le mépris que certains peuvent manifester envers Cupidon. C'est d'ailleurs "le prétexte" choisi par de nombreux pays, une trentaine dans le monde, pour interdire cette fête", souligne-t-il. "C'est la peur de la liberté amoureuse, de la jeunesse qui est ciblée", remarque le sociologue qui plaide pour un sauvetage d'urgence du 14 février. "Il y a mille possibilités de fêter l'amour. Le plus important c'est l'expression des sentiments. L'amour est multiple, ce peut être l'amour-amitié, pour son couple, pour l'humanité. On rêve d'un monde différent, cela se fera autour de l'amour. C'est cela que l'on devrait célébrer aujourd'hui face au cynisme."

Mais pour certains, la célébration de l'amour devra attendre un peu. "On fêtera ça demain autour d'un bon repas", explique Thomas, 31 ans. "Car ce soir il y a match, PSG contre Barça".