Procès Tron : le cœur du dossier reporté d’une journée

L'ancien ministre est jugé depuis mardi devant les assises de la Seine-Saint-Denis.
L'ancien ministre est jugé depuis mardi devant les assises de la Seine-Saint-Denis.
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L’après-midi devait être consacré au témoignage des deux victimes présumées de l’ancien ministre, mercredi, devant les assises. Mais l’audience a pris beaucoup de retard, dans une atmosphère crispée.

Devant les assises de la Seine-Saint-Denis, les faits n’ont pour l’instant été racontés que par des tiers. En deux jours d’audience, le président, les avocats et les premiers témoins ont évoqué dans tous les termes les viols et agressions sexuelles présumés commis par Georges Tron et son ancienne adjointe, Brigitte Gruel, qui encourent 20 ans de réclusion. Mais la cour n’a toujours pas entendu les voix des principales intéressées, Eva Loubrieu et Virginie Faux, ex-collaboratrices de l’édile. Prévues mercredi après-midi, leurs auditions ont finalement été reportées à jeudi dans une atmosphère tendue, l’examen du dossier ayant déjà pris un retard certain.

Une organisation chaotique. À l'ouverture des débats, mardi, les parties ne s'accordaient que sur un point : le calendrier d'audience, établi sur dix jours avec des dizaines de témoins, est bien trop serré. La prédiction aura mis moins de 48 heures à se concrétiser. Prévue mercredi matin, l'audition de la directrice de la Direction régionale de la police judiciaire (DRPJ) de Versailles, chargée de l'enquête, a largement débordé sur le reste du programme. La policière a d'abord déposé devant la cour, relatant longuement le déroulé des investigations depuis la saisine de son service par le procureur d'Évry, en mai 2011, jusqu'à la clôture de l'instruction.

En l'absence du ténor du barreau Éric Dupond-Moretti, avocat de la défense, en fin de matinée, les questions à l'enquêtrice ont exceptionnellement été reportées au début de l'après-midi. Deux autres témoins ont donc défilé à la barre avant que la directrice, fine et tout de noire vêtue, n'y reprenne place pour de longues heures, laissant entrevoir les prémices d'un procès aussi tendu que mal organisé.

"Des témoins qui ne servent à rien". C'est d'abord le président, aux questions souvent laborieuses, qui tente d'obtenir des détails sur le timing de l'enquête. "Comme je vous l'ai déjà dit ce matin", commence systématiquement le témoin. La salle soupire. La policière, elle, reste concentrée et répond, inlassablement. "Notre service travaille normalement sur des crimes de sang. C'est la première fois que l'on avait à mener une enquête sur des faits pareils."

En fin d'après-midi, la directrice passe enfin aux mains d'Éric Dupond-Moretti. "Cette enquête ressemble un peu à ce procès", attaque le ténor, semblant presque entamer une plaidoirie. "Il y a un tas de témoins qui ne servent à rien. Est-ce que vous avez des témoignages de gens qui ont vu, directement, les faits que les plaignantes dénoncent ?" Déstabilisée, l'enquêtrice rappelle par exemple que "l'existence" de rendez-vous au cours desquels Virginie Faux affirme avoir été violée ou agressée a été prouvée par son service. Et "Acquittator" de souffler : "Vous faites exprès de répondre à côté, ou quoi ?"

"La rumeur dans l'enquête". Petit à petit, l'étau se resserre autour du témoin, au palais de justice depuis près de dix heures. Fatiguée, elle se voit reprocher sa façon de mener les interrogatoires - "Vous avez laissé la rumeur entrer dans votre enquête !" -, l'absence de recoupement de certains témoignages annexes - "Qu'avez-vous vérifié sur le plan matériel, exactement ?" - ou encore les conditions de garde à vue de Georges Tron - "Lui enlever son alliance, ça s'appelle une humiliation". La policière bafouille : "Si on avait dû faire des vérifications sur toutes les déclarations de tous les témoins…" Un murmure d'indignation s'élève du groupe de soutien aux accusés.

L'ambiance se tend. Droite comme un "i", l'enquêtrice ne tourne pas la tête vers Éric Dupond-Moretti et attaque toutes ses réponses par "monsieur le président", comme si elle ne parlait qu'à lui. Peinant à ramener le calme, le magistrat ne lui est pas d'un grand secours. Alors, prise de bon sens, elle rappelle : "Dans ce dossier, on ne pouvait pas avancer autrement que par les auditions. On n'a pas d'ADN, pas de vidéosurveillance. On a passé des heures et des heures à les faire, ces auditions. Si on est là aujourd'hui, c'est que de hauts magistrats ont considéré qu'il y avait assez d'éléments pour venir devant cette cour."

Aménagements de planning. L'audition s'achève. Il est 19h30 au deuxième jour du procès Tron, et le climat de tension pourrait laisser croire que les débats sont ouverts depuis une semaine. Alors que chaque réflexion d'une partie fait bondir l'autre, le président propose qu'on entende, comme le veut la suite du programme, Virginie Faux. Dans l'opposition à cette décision, les conseils des deux camps font, une fois n'est pas coutume, cause commune. "Ça va prendre au moins trois heures !", s'indigne un représentant des parties civiles. "Dans cette surenchère des témoins, il y a quelques points importants. La parole des plaignantes en fait partie", ajoute Me Dupond-Moretti.

L'occasion d'un consensus est trop belle : au prix de petits aménagements de planning, le président se laisse convaincre et suspend l'audience. "Quelques témoins que l'on ne juge pas indispensables ne seront finalement pas entendus", explique-t-il. Il est fort est à parier que cela ne suffira pas à tenir les délais impartis. Mais des deux côtés de l'épineux dossier, un peu de repos n'est pas superflu.