Pourquoi la France n'arrive-t-elle pas à régler le problème des sans-abri ?

SDF Paris 1280
Plus de 140.000 personnes étaient à la rue en 2012, selon l'Insee. Photo d'illustration. © CHRISTOPHE SIMON / AFP
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Thibaud Le Meneec , modifié à
Pour le sociologue Julien Damon, spécialiste des questions d'exclusion et invité de Wendy Bouchard sur Europe 1, mardi, "la France est très mauvaise" dans sa gestion des personnes sans-abri.
LE TOUR DE LA QUESTION

Il y avait encore des Français à la rue, le 1er janvier 2018. Ce constat relève a priori de l'évidence, mais il s'agit en réalité d'une promesse non-réalisée d'Emmanuel Macron, qui s'était engagé à faire du pays un territoire sans SDF (sans domicile fixe) à la fin de l'année 2017. Et révèle l'incapacité de la France à régler le problème de l'extrême pauvreté, comme l'explique le sociologue Julien Damon, invité du Tour de la question sur Europe 1, mardi.

 

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De l'attention et des moyens, mais pas vraiment de résultats. "On est très mauvais malgré tout ce que l'on fait", juge l'auteur d'Exclusion : vers zéro SDF ? et spécialiste des questions de pauvreté. "La France est certainement le pays qui dépense le plus pour tenter d'aider les personnes à la rue, qui en est peut-être le plus soucieux, mais qui fait très mal." Aujourd'hui, pas moins de 140.000 personnes seraient à la rue, selon une étude de l'Insee pour l'année 2012. Un chiffre à prendre avec des pincettes, tant la réalité est mal cernée par les services sociaux. 

" Malgré nos dépenses publiques, on a une organisation ubuesque et surréaliste avec une offre considérable mais bloquée "

"La France est assez mauvaise", décrit le sociologue auprès de Wendy Bouchard, "non pas en investissement et de développement de nouveaux services pour les sans-abri, mais pour savoir de quoi on parle ! À Bruxelles, Londres ou Madrid, on a des chiffres annuels qui nous disent si oui ou non il y a plus de gens à la rue et dans les centres d'hébergement", ce qui n'existe pas à Paris et pour les grandes métropoles de province.

"Travailleur social traitant". Symbole de cette mauvaise organisation, le fait qu'il y ait "une multitude de travailleurs sociaux" accessibles aux sans-abri, parfois de manière illisible lorsqu'on est à la rue. "Comment on organise mieux cela ? Il y a une proposition qui court : comme sur le modèle du médecin traitant, il devrait y avoir un 'travailleur social traitant', un référent unique. Avoir une personne qui serait responsable de vous, ce serait formidable, pour les gens en difficulté et les travailleurs sociaux."

Le 115 "ne marche pas". Car aujourd'hui, seulement un tiers des SDF seraient suivis par un travailleur social. "Malgré nos dépenses publiques, on a une organisation ubuesque et surréaliste avec une offre considérable mais bloquée, et des demandes très importantes de personnes qui sont les premières cibles de ces dispositifs, mais qui n'y accèdent pas." Le sociologue prend l'exemple du 115, "qui ne marche pas" avec un "engorgement des centres". "Ce n'est pas en réinjectant des millions d'euros que ça marchera", affirme Julien Damon.

Le problème de l'extrême pauvreté continue donc d'exister, avec deux publics particulièrement touchés :

  • Les femmes, qui composent 40% des personnes sans domicile fixe. "Il y a 50, 60 ans, il n'y avait aucune femme à la rue. Le phénomène s'est accentué et féminisé", analyse le sociologue. D'après une opération de comptage inédite en France, menée par 1.700 bénévoles et la mairie de Paris, en février dernier, "il y a 12% de femmes" complètement à la rue, rappelle Julien Damon.
  • Les enfants, "qui n'y peuvent strictement rien", insiste Julien Damon. "Il y a très peu d'enfants qui dorment complètement à la rue. Maintenant, dans le retour de bidonville, les campements de migrants, il y a des enfants qui ont des conditions totalement indignes au regard de notre belle République."

La promesse de Macron, "un excellent objectif". Reste que, selon lui, la promesse formulée par Emmanuel Macron à l'été 2017, visant l'absence de personnes à la rue, est loin d'être dénuée d'intérêt : "C'est un excellent objectif. Ça appelle à regarder chaque année si oui ou non il y a plus de personnes en difficulté dans les grandes métropoles."