L'industrie du porno est visée par un rapport sénatorial présenté mardi. 1:37
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Céline Géraud avec AFP , modifié à
Les auteures d'un rapport sénatorial dévoilé mardi appellent le gouvernement à agir contre les dérives de l'industrie du porno. "Une priorité de politique publique et pénale", selon les quatre sénatrices. Depuis l'apparition, au milieu des années 2000, des grandes plateformes, la diffusion du porno est devenue massive.

"Violences systémiques", femmes "exploitées", mineurs trop facilement exposés à des contenus traumatisants: le gouvernement doit mener la charge contre les dérives de l'industrie du porno, plaident les autrices d'un rapport sénatorial dévoilé mardi.

La lutte contre ces violences doit devenir une "priorité de politique publique et pénale", plaident les quatre sénatrices Annick Billon (UDI), Alexandra Borchio Fontimp (LR), Laurence Cohen (PCF) et Laurence Rossignol (PS) dans ce rapport intitulé "Porno: l'enfer du décor", et adopté par la délégation aux droits des femmes du Sénat.

Depuis l'apparition, au milieu des années 2000, des grandes plateformes internet comme Pornhub ou Xvideos, la diffusion du porno est devenue massive, ce qui a "contribué à la recrudescence de contenus de plus en plus +trash+ et violents, sans aucun contrôle ni considération pour les conditions dans lesquelles ces contenus sont produits", dénoncent les autrices.

Entre 3.000 et 5.000 euros pour supprimer une vidéo

"Les producteurs ne craignent pas d'exploiter la vulnérabilité économique et psychologique de femmes jeunes, voire très jeunes, et de réaliser des tournages dans des conditions déplorables", ajoutent-elles. Face à des productions "qui atteignent le paroxysme de la violence", la société doit réagir en renforçant la répression pénale contre les responsables de cette industrie, en "favorisant l'émergence de plaintes des victimes", et en imposant aux plateformes de supprimer gratuitement les vidéos lorsque les femmes en font la demande, préconisent les élues.

Actuellement, lorsqu'une femme abusée demande la suppression d'une vidéo dans laquelle elle apparaît, les producteurs lui réclameraient entre 3.000 et 5.000 euros, "soit dix fois plus que la rémunération obtenue pour la scène tournée", pointe le rapport. Les sénatrices formulent par ailleurs plusieurs propositions pour empêcher les mineurs d'accéder au porno sur internet, une précaution qui s'impose en théorie aux diffuseurs mais qui, dans les faits, n'est pas appliquée.

Des amendes dissuasives 

L'Arcom (ex-CSA) doit voir ses pouvoirs renforcés pour imposer des amendes "dissuasives" aux sites porno accessibles aux mineurs, et le gouvernement doit imposer le "développement de dispositifs de vérification d'âge" et "mener une campagne de communication autour des dispositifs de contrôle parental".

Les chiffres sont d’ailleurs édifiants : sur les 19,3 millions de personnes qui se rendent chaque mois sur un site pornographique, 2,3 millions ont moins de 18 ans, deux tiers sont des enfants de moins de 15 ans et un tiers ont moins de 12 ans. Dès lors, comment faire pour protéger les plus jeunes qui ont souvent un accès illimité à internet ? Encadrer et limiter l’accès à ces séquences "sensibles" est complexe.

Reconnaissance faciale et contrôle parental

Car pour contrôler l’âge de ces consommateurs de contenus pornographiques, il faut vérifier leur identité tout en protégeant leurs données personnelles. Le Sénat propose donc plusieurs pistes, la plus drastique bloquer tout simplement tous les sites qui proposent des vidéos sans contrôle de l’âge des utilisateurs, déréférencer ces sites sur les moteurs de recherche comme google, ou encore automatiser l’affichage d’un écran noir au moment de la connexion sur ces plateformes le plus souvent gratuites.

L’objectif de ces mesures selon Annick Billon, sénatrice UDI, et co-auteur de ce rapport, est avant tout de protéger mineurs. "Les conséquences sont très graves, très impactantes sur le devenir de ces jeunes adultes. Les psychothérapeutes que nous avons auditionné nous ont dit que le visionnage d’images pornographiques par des mineurs s’apparentent à un viol psychique", déclare-t-elle.

Sont également à l’étude, des dispositifs de reconnaissance faciale par intelligence artificielle ou encore l’utilisation d’une carte bancaire ou d’une pièce d’identité, le tout contrôlé par l’ANSSI - l’Agence nationale de la Sécurité des systèmes d’information – et la CNIL. Dernière préconisation : la mise en place d’un contrôle parental automatique dès qu’un abonnement téléphonique est souscrit pour un mineur, quelque soit l’opérateur.

Ce rapport parlementaire survient alors que le milieu du porno français dit "amateur" est secoué depuis deux ans par plusieurs enquêtes judiciaires, l'une visant "Jacquie et Michel", et l'autre la plateforme "French Bukkake". Trois acteurs et un réalisateur ont été placés en garde à vue mardi dans cette dernière enquête, pour traite d'êtres humains aggravée, viol en réunion ou proxénétisme aggravé.

"Attention aux amalgames" 

"Ces procédures judiciaires révèlent au grand jour la barbarie, la violence, la haine sexiste et raciste de l'industrie pornographique française", a commenté dans un communiqué un collectif d'associations féministes, qui a salué le "rapport fondamental" du Sénat.

Pour Grégory Dorcel, patron du géant du porno du même nom, la nécessaire défense des victimes ne doit pas conduire à une "généralisation abusive" ou à une "caricature". "Les victimes doivent être crues et entendues, et la justice doit faire son travail. Mais attention aux amalgames entre des criminels, qui doivent être poursuivis, et l'industrie porno dans son ensemble", a dit à l'AFP Grégory Dorcel, qui met en garde contre les positions "abolitionnistes" et suggère de réfléchir à la création du métier "d'agent" pour les acteurs du X.

"Tout le monde doit travailler ensemble pour faire avancer les choses", par exemple via l'instauration de chartes déontologiques ou de dispositifs pour faciliter le signalement des violences, soutient ce responsable.