Peur, colère, tristesse… L’éco-anxiété est-elle vraiment un problème ?

Dans le détail, 59% des jeunes sondés déclarent être "très" ou "extrêmement inquiets" du changement climatique, selon une étude "The Lancet Planetary Health".
Dans le détail, 59% des jeunes sondés déclarent être "très" ou "extrêmement inquiets" du changement climatique, selon une étude "The Lancet Planetary Health". © MAYLIS ROLLAND / HANS LUCAS / HANS LUCAS VIA AFP
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Laura Laplaud / Crédit photo : MAYLIS ROLLAND / HANS LUCAS / HANS LUCAS VIA AFP
À l’occasion de la journée internationale de la Terre, le 22 avril, Europe 1 revient sur un phénomène qui semble toucher de plus en plus de citoyens : l’éco-anxiété. Souvent considérée comme une détresse psychique, caractérisée par des angoisses, de la colère ou des peurs, les sentiments qui s’en dégagent sont bien plus variés et ne sont pas forcément négatifs.

"Je crains un effondrement rapide de la société." Comme Henry de Romans, qui se voit comme "un de ces colibris chers à Pierre Rabhi", de plus en plus de citoyens sont profondément inquiets face aux changements environnementaux. Ils ont peur de l’avenir, se sentent impuissants et ont parfois honte, ce sont ceux que l’on nomme les éco-anxieux. Un terme né dans les années 1990 pour définir toute anxiété liée à la dégradation de l’environnement. D’après une étude approuvée par la revue The Lancet Planetary Health, 45% des 16-25 ans sondés dans dix pays affirment que l’éco-anxiété affecte leur vie quotidienne de manière négative. Dans le détail, 59% des jeunes sondés déclarent être "très" ou "extrêmement inquiets" du changement climatique.

"La guerre fait partie des pires scénarios mais elle n’est pas exclue"

Au détour d’un film, d’une conférence, d’une discussion entre amis et à mesure que les catastrophes climatiques défilent sous leurs yeux, ils ont développé une conscience écologique et endossé une responsabilité. Est-il par exemple responsable d’avoir un enfant ? La question s’est posée pour Simon Dubost il y a une dizaine d’années. "Je me disais qu’il ne fallait pas faire plus de deux enfants pour ne pas augmenter la surpopulation", admet-il. Âgé de 34 ans aujourd’hui, l’ingénieur en bâtiment se questionne sur l’état du monde qu’il laissera à son enfant de deux ans et demi. "Je ne sais plus où aller pour mon avenir et celui de mon petit. Dans un futur plus ou moins proche, le monde sera plus violent car il sera sous contrainte. La compétition pour les ressources va s’accroître. De nombreux acquis sociaux vont être remis en question. La guerre fait partie des pires scénarios mais elle n’est pas exclue", soutient-il.

Sécheresse, canicule, feux de forêt… Le dérèglement climatique s’est invité dans la vie de Laëtitia Blondel. D’ingénieure en maintenance industrielle à accompagnatrice en transitions écologiques, son éco-anxiété l’a amenée à changer de profession. Peur, colère, tristesse… Laëtitia est, elle aussi, profondément inquiète pour l’avenir de ses deux filles, âgées de 16 et 18 ans. "Elles n’auront pas la même vie. Nous, on a eu une vie d’insouciance, on a vécu sans vraiment se rendre compte de notre impact…", se désole-t-elle.

Au-delà de la déprime passagère, des pics d’angoisse et d’une colère récurrente, le sentiment d’impuissance reste le plus difficile à vivre. "On a le sentiment d’être du bon côté et pourtant on passe pour un marginal. On est vite moqué quand on prend le sujet à cœur. Dans les repas de famille, on passe pour l’écolo de service !" Conséquence, Simon a fini par se taire et s’est renfermé sur lui-même.

L’éco-anxiété, un ensemble d’émotions

Auteur de Éco-anxiété, mieux gérer ses émotions liées au dérèglement climatique (La Plage, 2023), Yvan Marc Juillard est psychologue clinicien. Loin de pathologiser ce mal-être, il appelle à déculpabiliser. "N’importe qui, qui se pose des questions normales, est éco-anxieux. C’est une réaction normale face à une réalité qui est anormale. C’est normal d’être en colère quand l’on sait que la moitié de la vie sur Terre a déjà disparu. Si la moitié de notre famille mourait, ce serait normal d’être bouleversé."

Tout d’abord, il faut comprendre que l’éco-anxiété est une peur anticipative. Concrètement, une personne éco-anxieuse va élaborer des scénarios futurs, généralement catastrophiques, dans lesquels les conditions de vie ne seront plus soutenables. "On va projeter notre peur sur l’avenir. L’éco-anxiété n’est pas une seule émotion, c’est un ensemble d’émotions comprenant la peur, la colère, la tristesse, la honte, le dégoût, le sentiment d’impuissance, la surprise et aussi des carences dans la sérénité et dans la joie", énumère le psychologue clinicien.

L’éco-anxiété, un problème pour notre santé mentale ?

D’après Yvan Marc Juillard, être éco-anxieux n’est pas une mauvaise chose puisque cela pousserait à devenir une "meilleure version de soi". À être une personne "plus juste, plus intelligente, plus raisonnable et rationnelle". "Ça pousse à mieux gérer ses émotions et à être plus authentique", assure-t-il.

Les éco-anxieux seraient aussi des personnes plus sensibles au monde. "Ils vont être plus empathiques envers les humains mais aussi envers un petit chat écrasé au bord de la route, ils vont être profondément désolés d’une marée noire…  L’éco-anxiété est une invitation à muscler son intelligence. Et tous les gens éco-anxieux sont non violents. Ils peuvent mettre de la tomate sur un tableau mais ce n’est pas un acte violent, cela n’abîme aucune cellule vivante", souligne-t-il.

Selon le psychologue clinicien Yvan Marc Juillard, il serait même préférable de parler d’éco-lucidité. "On est lucide sur ce qui se passe dehors et sur ce qui se passe à l’intérieur de nous, dans nos pensées et dans nos émotions. Finalement, on est lucide dans un monde qui ne l’est pas."