Michel Catalano, pris en otage par les frères Kouachi : "J'ai encore du mal à accepter le fait que je sois complètement vivant"

C'est par l'arrière du bâtiment que Michel Catalano entre désormais.
C'est par l'arrière du bâtiment que Michel Catalano entre désormais. © Europe 1
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Sébastien Guyot et C.O.
Trois ans après avoir été pris en otage par les frères Kouachi, qui s'étaient retranchés dans son imprimerie de Dammartin-en-Goële, Michel Catalano dit aller mieux, sans être totalement rétabli.
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C'est désormais un rituel. Chaque matin, Michel Catalano, le patron de l'imprimerie de Dammartin-en-Goële, qui avait été pris en otage pendant une heure trente par les frères Kouachi le 9 janvier 2015, ouvre la barrière électrique qu'il a fait spécialement installer. Chaque matin, malgré le temps qui passe, il a pourtant cette boule au ventre lorsqu'il se rend dans son imprimerie. "Les angoisses quand j'arrive au bureau sont maintenant un nœud au niveau de l'estomac", explique-t-il au micro d'Europe 1.

C'est par l'arrière du bâtiment que Michel Catalano entre désormais. Détruite lors de l'assaut des forces de l'ordre, il a tenu à reconstruire son entreprise au même endroit, là même où les terroristes auteurs du massacre à Charlie Hebdo ont été abattus, le 9 janvier 2015. Mais dans les faits, tout a changé : le portail électrique, les caméras, la façade… À l'intérieur, un escalier en bois a également remplacé celui en métal par lequel étaient arrivés les frères Kouachi. "Ce jour-là, j'ai associé le bruit de l'escalier à la mort. Il fallait absolument que cette angoisse que j'avais au fond de moi puisse disparaître. D'ailleurs, dès que le bruit d'un escalier métallique retentit, je ne suis pas bien", confie l'imprimeur.

"Quand les machines tournent, je me sens en sécurité". Ses angoisses disparaissent une fois que ses salariés arrivent et que l'imprimerie commence à vivre. "Le bruit des machines me projette dans le travail et dans des images positives. Car ce jour-là, à partir du moment où ils (les frères Kouachi) sont entrés dans l'entreprise, plus rien ne tournait. Et ce non-fonctionnement des machines engendrait dans mon esprit la mort. Alors, quand les machines tournent, j'ai l'impression d'être en sécurité", précise-t-il.

C'est d'ailleurs grâce au travail que Michel Catalano réussit à se reconstruire malgré les difficultés de l'entreprise et malgré les jalousies. "Paradoxalement, lorsque les gens sont désagréables vis-à-vis à de moi, ça ne m'affaiblit pas, ça me renforce. Je me sens plus faible dans les moments d'amour", ajoute le rescapé. "Mais plus les gens sont désagréables, plus je suis costaud et fort et plus je me redresse".

La Petite Lady de Viven Savage. L'amour, celui de sa famille et de ses proches lui est pourtant indispensable pour avancer. La musique l'aide également et une chanson en particulier, La Petite Lady, de Vivien Savage. Elle lui fait penser à son épouse qui travaille avec lui. Il y a plusieurs années, il la passait en boucle lorsqu'il allait chercher sa femme à la gare. "J'étais empli de joie et à chaque fois que je l'écoute, la même sensation me revient. Elle me donne une vraie joie de vivre et elle me permet de comprendre à quel point il est important que je sois vivant", confie-t-il.

Malgré tout, trois ans après, Michel Catalano a du mal à s'accorder des moments de vacances ou des moments de loisirs. "J'ai encore du mal à accepter le fait que je sois complètement vivant. J'ai encore un espèce de sentiment de culpabilité dans le plaisir. J'apprécie la vie mais il y a des moments où je culpabilise d'être en vie".

Entendu sur europe1 :
Les silences, "chez moi, cela provoque une angoisse, surtout des images et des sons" 

L'angoisse des silences. Alors, c'est à travers des conférences qu'il donne dans des prisons, des écoles ou auprès de chefs d'entreprise qu'il tente de libérer sa parole. "Ça m'épuise mais ça apaise ma douleur. Comme quelqu'un qui pourrait prendre un médicament, mais je n'en prends pas",  pointe Michel Catalano. "On m'avait dit que la seule solution serait d'être dans un hôpital, de prendre des médicaments, de dormir… Moi, j'ai pris l'option de dire que je m'en sortirai sans tout ça."

Il s'en sort en parlant toujours, en échangeant souvent, surtout, en évitant les silences. Car ils hantent ses nuits encore aujourd'hui. "Chez moi, cela provoque une angoisse, surtout des images et des sons. J'entends le bruit de l'assaut, des terroristes qui montent dans l'escalier", détaille-t-il.

"Je me sens comme cette petite bestiole". "Je ne suis pas complètement rétabli au bout de trois ans. Quand on me voit, je suis mieux, mais je ne suis pas complètement remis", confie-t-il. C'est le cas également de la petite chienne de six ans qui l'accompagne désormais. Comme lui, elle revient de loin. Elle avait été utilisée par des trafiquants de chiens : "Elle n'aboie pas, elle ne demande que des câlins. Elle est adorable. Et comme moi, de temps en temps, quand il y a des bruits un peu bizarres, elle sursaute. Je me sens un peu comme cette petite bestiole."

Reste une volonté farouche, celle de se relever grâce à son imprimerie et malgré les embûches. "D'un point de vue économique, on n'est pas au point mort, on a du mal à refonctionner mais je suis positif. Je me dis que je suis passé par quelque chose de difficile alors je m'en sortirai." Il garde l'espoir chevillé au corps… et écrit sur un mur de l'entrée de son imprimerie. Un mot entouré de centaines de messages d'encouragements. Dont un mot signé François Hollande.