Lanceurs de balles de défense : le mouvement des "gilets jaunes" relance la controverse

Plusieurs dizaines de manifestants ont été gravement atteints par des tirs de LBD depuis le début du mouvement des "gilets jaunes".
Plusieurs dizaines de manifestants ont été gravement atteints par des tirs de LBD depuis le début du mouvement des "gilets jaunes". © AFP
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avec AFP , modifié à
Utilisé par les forces de l'ordre lors de certains rassemblements de "gilets jaunes", ces engins non létaux, successeurs des flash-ball, ont causé de graves lésions à des manifestants.

Les vidéos ont fait le tour des réseaux sociaux, ce week-end : un adolescent strasbourgeois de 15 ans, visage ensanglanté, sur les quais entourant la Grande-Île de la ville de l'Est. "Il a reçu un tir de flash-ball en plein visage", précise un commentaire accompagnant les images, précisant que le jeune homme, venu faire "du shopping", s'est trouvé au milieu d'affrontements entre "gilets jaunes" et forces de l'ordre, samedi. Le terme de "flash-ball", toujours communément employé, désigne en fait les lanceurs de balles de défense (LBD 40), qui ont commencé à le remplacer en 2007. L'évolution dans la terminologie n'a pas mis fin à la polémique sur l'utilisation de ces armes non létales mais pouvant provoquer de graves lésions, une nouvelle fois relancée par le mouvement des "gilets jaunes".

Des blessures recensées sur Twitter. À Strasbourg, la mère de l'adolescent a porté plainte, lundi matin, tandis que le parquet a ouvert une enquête préliminaire pour "déterminer la nature des blessures du jeune". Selon le compte Twitter du journaliste-documentariste indépendant David Dufresne, qui recense les témoignages de blessures de manifestants, le mineur était toujours hospitalisé et "en convalescence", dimanche soir. Une photo des bandages couvrant sa mâchoire accompagnait ces nouvelles.

Sur les réseaux sociaux, des dizaines d'exemples affluent depuis le début de la manifestation, surtout le samedi, jour de mobilisation le plus important. Ce week-end, un photographe travaillant pour le journal Sud Ouest et l'AFP a notamment affirmé avoir eu la rotule fracturée par un tir de LBD, alors qu'il couvrait une manifestation de "gilets jaunes" à La Rochelle. "Ils m'ont visé, ça m'a touché le genou", a-t-il déclaré.

"Ce journaliste (n'était) évidemment pas ciblé", a indiqué la préfecture à l'agence de presse, reconnaissant que la blessure était "vraisemblablement" due à un lanceur de balles de défense. Elle a rappelé que samedi en fin d'après-midi, "les forces de l'ordre ont été prises à partie à plusieurs reprises par un groupe d'une cinquantaine d'individus par des jets de projectiles (bouteilles en verre, pavés, pétards) dans les rues du centre-ville" de La Rochelle.  Elles "ont alors répliqué en utilisant les moyens de défense en dotation (grenades lacrymogènes, lanceurs de balles de défense) soumis à un cadre d'emploi strict", a-t-elle ajouté.

Le Défenseur des droits pour leur interdiction. Quel est ce cadre ? En France, les lanceurs de balles de défense sont utilisés depuis les années 1990. Généralisés depuis les émeutes de 2007, ils font l'objet de formations spécifiques au sein de la gendarmerie et de la police et de consignes d'utilisation strictes. En 2009, une note de la Direction centrale de la sécurité publique (DSCP), évoquée par l'Obs, rappelait que les tirs ne devaient pas se faire à moins de sept mètres, et en aucun cas viser la tête.

Mais ces armes sont accusées d'avoir provoqué un décès en 2010 et plusieurs blessures graves ces dernières années. En janvier 2018, le Défenseur des droits a préconisé l'interdiction de leur usage dans le cadre du maintien de l'ordre, en raison de leur "dangerosité" et des "risques disproportionnés" qu'ils font courir. "Le caractère 'non létal' des armes de force intermédiaire conduit en pratique les agents à les utiliser avec moins de précautions que les armes traditionnelles", soulignait-il notamment.

 

Malgré l'appel de quelque 200 personnalités, dont plusieurs députés de gauche, publié en décembre et appelant lui aussi à cesser "immédiatement" d'utiliser ces armes, le ministère de l'Intérieur a lancé un appel d'offres pour l'acquisition de nouveaux LBD, à la fin de l'année. Plus d'un millier de lanceurs ont ainsi été commandés, destinés à la police et à la gendarmerie nationales.

48 saisines de l'IGPN depuis le début du mouvement. Les lésions dues à ces armes ces dernières semaines peuvent-elles peser dans le débat ? Selon Libération, une soixantaine de personnes ont été blessées par des tirs de LBD depuis le début du  mouvement des "gilets jaunes", dont une douzaine auraient perdu un œil. Début janvier, ces blessures avaient fait l'objet de 48 saisines de l'IGPN. Mais face à la polémique, les autorités continuent de défendre une arme non létale. Pour l'heure, elles ont gain de cause sur le plan judiciaire : la Cour européenne des droits de l'Homme a rejeté le 18 décembre une requête de manifestants blessés par des tirs de lanceurs de balles de défense, qui en demandaient l'arrêt en urgence. "La Cour ne fait droit aux demandes de mesures provisoires qu'à titre exceptionnel, lorsque les requérants seraient exposés - en l'absence de telles mesures - à un risque réel de dommages irréparables", justifiait-elle. Mais de préciser que ce rejet "ne présage(ait) pas" de décisions ultérieures de la Cour sur la recevabilité ou sur le fond des affaires.