"Justice morte" : plus de 70 barreaux d'avocats en grève contre la réforme de la justice

© CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP
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Anaïs Huet
Mercredi, les avocats de plus de 70 barreaux en France ont décidé de cesser totalement leurs activités pour protester contre le projet de réforme de la justice porté par Nicole Belloubet.

La grogne monte parmi les avocats. Alors que le projet de loi de programmation pour la justice 2018-2022 doit être présenté mercredi au Conseil d'État, la journée a été estampillée "Justice Morte" par plus de 70 barreaux qui, pour certains, ont entamé une grève illimitée. Les avocats demandent le renvoi de toutes les affaires prévues dans la journée. Europe 1 fait le point sur ce mouvement de colère.

Que dit le projet de loi ?

La réforme de la justice comprend cinq volets : sens et efficacité des peines, simplification de la procédure civile, simplification de la procédure pénale, transformation numérique et adaptation du réseau des juridictions. 

Parmi les principales mesures annoncées par la ministre de la Justice Nicole Belloubet, l'expérimentation d'un "tribunal criminel" à la place des cours d'assises pour juger certains crimes, comme par exemple les viols, les coups mortels ou les vols à main armée, afin de désengorger les cours d'assises et d'avoir des jugements plus rapides. La ministre a assuré que cette expérimentation ne signait pas la fin de la cour d'assises. "Les cours d'assises demeurent et resteront compétentes pour les crimes les plus graves, ceux punis de vingt ans (et plus, ndlr) de prison, comme les meurtres et assassinats, ou ceux commis en récidive", a précisé Nicole Belloubet dans les colonnes du Monde, le 9 mars. L'objectif est "de désengorger les cours d'assises et de limiter la détention provisoire", selon Nicole Belloubet. La ministre de la Justice a répété plusieurs fois qu'aucun tribunal ne sera fermé, même s'il y aura des "évolutions".

Nicole Belloubet a par ailleurs annoncé la "fusion" des tribunaux d'instance et de grande instance, tout en affirmant ne pas vouloir "redessiner la carte judiciaire". "Tous les tribunaux de grande instance (TGI) seront maintenus. Nous les fusionnons avec les tribunaux d’instance. Dans les villes, les deux seront réunis en un lieu unique pour le justiciable. Mais les tribunaux d’instance isolés garderont leur nom, leur implantation et leurs compétences ne seront pas moins importantes demain", avait-elle indiqué au Monde.

Pourquoi ça coince ?

Si la garde des Sceaux a tenu plusieurs fois à rassurer, ses tentatives sont restées infructueuses. Les avocats dénoncent d'abord la méthode employée par le ministère, lançant un projet de loi "établi par le fait du prince" et "une concertation purement fictive". "Le gouvernement se réserve la possibilité de modifier les textes par ordonnance et décret", avertir le bâtonnier de Thionville, Me Marc Monosson, interrogé par Le Républicain Lorrain.

Les avocats du barreau de Quimper, de Bastia ou encore de Pau s'alarment contre une "logique gestionnaire", "réalisée au mépris des droits fondamentaux des citoyens". "La motivation réelle, c'est de faire des économies, d'aller plus vite dans la gestion des dossiers", critique de son côté Christian Saint-Palais, président de l'association des avocats pénalistes.

De son côté, le Syndicat de la Magistrature (SM) a appelé les magistrats "à soutenir le mouvement des barreaux contre le projet de réforme de la justice présenté par le gouvernement : un projet qui sacrifie les droits et libertés". Selon le SM, le tribunal criminel représentera "une justice dégradée". "La cour d'assises, avec les jurés, c'est la seule justice où il est impossible de pressuriser les juges pour faire de l'abattage".

Un mouvement de grève pour quelles conséquences ?

Si on ignore encore si ce mouvement de protestation aura l'effet escompté auprès du ministère, il n'est pas sans conséquences pour les justiciables. Les audiences prévues mercredi (et dans les jours à venir pour les barreaux ayant appelé à une grève illimitée) seront renvoyées. À Paris, le plus grand barreau de France, la grève s'annonce d'ores et déjà très suivie. Un rassemblement était prévu à la mi-journée sur les marches du Palais. À Lyon, les avocats observent une grève totale des désignations et des audiences y compris des comparutions immédiates, ce qui est une première.

De leurs côtés, les avocats du barreau de Clermont-Ferrand ont prévenu : "aucune audience, aucune permanence, aucun rdv en cabinet, aucune garde à vue, etc. ne seront assurés".

À Boulogne-sur-Mer, les avocats en grève ont symboliquement mis le tribunal en vente. Tout comme ceux d'Orléans.

Une autre journée de mobilisation est prévue le 30 mars, cette fois-ci à l’initiative des syndicats de la justice (magistrats, greffiers, CPIP, etc.). 

>> Vous pouvez consulter la carte de la mobilisation en France métropolitaine ci-dessous :