"Justice au XXIe siècle" : ce que la réforme pourrait changer

Initiée par Christiane Taubira, la dernière grande réforme judiciaire du quinquennat a été reprise par Jean-Jacques Urvoas, son successeur
Initiée par Christiane Taubira, la dernière grande réforme judiciaire du quinquennat a été reprise par Jean-Jacques Urvoas, son successeur © DAMIEN MEYER / AFP
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Margaux Lannuzel , modifié à
La dernière grande réforme judiciaire du quinquennat, portée par Jean-Jacques Urvoas, est débattue à l'Assemblée à partir de mardi.

"Simplifier sans altérer la qualité du service", c'est le mot d'ordre de la réforme "Justice au XXIe siècle", aussi appelée "J21" et portée par le garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas. Dimanche, le ministre a annoncé le dégel de 107 millions d'euros dans le cadre de ce projet de modernisation de la Justice, initié par Christiane Taubira. "A partir d'aujourd'hui, les juridictions vont pouvoir dépenser utilement cette somme et éviter d'accumuler de nouvelles dettes", a-t-il expliqué à Ouest-France. Alors que l'Assemblée entame le débat du texte, mardi, Europe 1 fait le point sur les principaux changements prévus par "J21".  

  • Le divorce par consentement mutuel simplifié

Déposé par le gouvernement fin avril, l'amendement a fait débat. Il propose de simplifier le divorce par consentement mutuel, qui se ferait chez le notaire, sans passer devant un juge. Le but ? Raccourcir les délais des procédures et désengorger les tribunaux.

La mesure suscite des inquiétudes parmi les professionnels de la justice, à la fois sur le coût de la procédure - chacun des époux devrait prendre un avocat - et sur le degré de protection pour les femmes. "Le recours au juge a été institué pour éviter la vengeance privée, la loi du talion, et la domination du fort sur le faible", avançait au Monde, Aurélie Lebel, avocate spécialisée au barreau de Lille, début mai.

  • Le changement de sexe à l'état civil facilité

Un autre amendement vise à faciliter le changement d'état civil des personnes transgenres. "Nous sommes l'un des rares pays en Europe à ne pas avoir de loi qui traite de ce sujet", expliquait mercredi Erwann Binet, l'un des députés PS à l'origine de la proposition. La problématique a vu naître une jurisprudence et les décisions peuvent varier d'un tribunal à l'autre. 

Point d'achoppement principal : la stérilisation, exigée par certains tribunaux. Le 24 mars, un requérant a ainsi été débouté par le TGI de Montpellier parce qu'il ne pouvait justifier d'une "impossibilité de procréer dans son sexe d'origine". Pourtant, en l'absence d'une telle justification, d'autres juges acceptent de prononcer le changement de sexe. Pour homogénéiser les pratiques, l'amendement propose que chaque requérant soit reçu par un procureur pour démontrer qu'il "se sent d'un autre sexe" et que la société le regarde comme tel.  

  • Les tribunaux correctionnels pour mineurs supprimés

Le projet "J21" prévoit de supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs, instaurés à la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy pour remédier au "laxisme" supposé des tribunaux pour enfants. Ils sont destinés à juger les mineurs récidivistes de plus de 16 ans, pour des délits passibles d'au moins trois ans d'emprisonnement.

Dès son arrivée au ministère de la justice, en mai 2012, Christiane Taubira avait déjà affirmé sa volonté de supprimer ces juridictions pour "redonner à la justice des mineurs sa spécificité". Le gouvernement avance que ces tribunaux correctionnels ne traitent que très peu d'affaires et que leurs peines sont généralement un peu moins sévères que les tribunaux pour enfants.

  • La conduite sans permis sanctionnée par une amende                            

C'est un autre sujet sensible, également initié par Christiane Taubira. A l'été 2015, la ministre de la Justice avait proposé de transformer le délit de conduite sans permis et sans assurance en simple contravention, évitant aux conducteurs de passer devant un tribunal. Après de virulentes critiques des associations de sécurité routière, la garde des Sceaux avait retiré sa proposition.

Son successeur, Jean-Jacques Urvoas a choisi de réintégrer cette disposition au projet de loi "J21", en la modifiant légèrement. La conduite sans permis serait sanctionnée par un système d'"amende forfaitaire" : elle resterait un délit, mais ne nécessiterait pas de passage systématique devant un juge, sauf en cas de récidive.

  • Un statut pour le juge des libertés et de la détention

Dans un domaine moins proche de la vie de tous les jours, "J21" prévoit de faire du juge des libertés et de la détention (JLD) un magistrat "statutaire" et "spécialisé". Jusqu'ici, ce juge, qui décide notamment d'envoyer ou non en prison les personnes mises en examen, n'avait pas de statut propre : la fonction était exercée par le président ou le  vice-président d'un tribunal de grande instance.

Cette mesure vise à opposer un "contre-pouvoir" plus fort à la police et aux procureurs, dont les compétences sont accrues par la loi antiterroriste. Cette dernière prévoit que les décisions du parquet, notamment les perquisitions, doivent être préalablement autorisées par le JLD.

  • Une réforme votée après Outreau enterrée

En 2007, après le fiasco judiciaire de l'affaire d'Outreau, une réforme avait été votée pour imposer une collégialité "systématique" des juges d'instruction et éviter les dérives d'un magistrat isolé. Le projet "J21" enterre cette mesure, jugée impossible à mettre en place selon le ministère de la Justice, sauf à créer "du jour au lendemain" 300 juges d'instruction.

A la place, il est prévu de réunir un "collège ad hoc" de trois juges, quand les parties le demandent et pour trancher sur des points essentiels de procédure.