Le calvaire du changement d’état civil pour les transsexuels

Le changement d'état civil reste une difficulté pour les personnes transgenres.
Le changement d'état civil reste une difficulté pour les personnes transgenres. © JEAN-PIERRE MULLER / AFP
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Un amendement PS, visant à faciliter le changement d’état civil pour les transsexuels, doit être examiné à l’Assemblée nationale cette semaine.

Depuis plus de deux ans, Émilie se bat pour changer de sexe sur son état civil. Mais la justice refuse de lui donner son accord tant qu’elle n’aura pas subi de vaginoplastie, opération chirurgicale qui consiste en une réassignation génitale du sexe masculin vers le sexe féminin. Pourtant, certaines de ses amies se sont vu accorder cette modification de sexe par le tribunal de grande instance. "Il n’existe pas de législation en la matière. La France est un des derniers États européens à ne pas avoir légiféré sur le sujet", explique le député PS Erwan Binet, contacté par Europe 1. Avec sa collègue Pascale Crozon, l’élu socialiste défend un amendement – qui doit être examiné à l’Assemblée nationale dans la semaine - pour faciliter le changement d'état civil pour les transgenres.

>> Émilie se bat depuis deux ans pour que son état civil soit modifié. Elle raconte à Europe 1 à quel point ce changement d’identité lui faciliterait le quotidien.

Sur sa carte d’identité, son nom est Paul Dumont. Mais aujourd’hui, elle se fait appeler Émilie. "Dans un premier temps, j’avais choisi Paule, mais finalement c’est Émilie qui s’est imposé", confie-t-elle à Europe 1. À 59 ans, Émilie a connu deux vies. Celle avant 2012, lorsqu’elle était un homme, marié et père de quatre enfants. Puis il y a eu ce jour d’août 2012, quand sa psychologue lui a fait prendre conscience de son malaise : "il" est en fait "elle". Une libération.

"J’ai toujours eu l’impression d’être une femme, même si mon corps n’était pas celui d’une femme", explique-t-elle. "Et depuis trois ans et demi maintenant, je vis enfin comme une femme et je suis heureuse." Un bonheur toutefois assombri par quelques "détails" administratifs.

Pas de voyage, des difficultés pour voter

Sur ses papiers d’identité, Émilie s’appelle toujours Paul Dumont. Une incohérence pour elle : Paul n’existe plus. Pourtant, chaque jour, ses papiers lui rappellent qui elle était. "Récupérer un pli à la Poste ou même aller voter est très compliqué. Je ne ressemble plus du tout à la personne sur ces papiers et surtout je ne porte plus ce nom", fait-elle observer. Alors, Émilie doit chaque jour raconter son histoire à de parfaits inconnus simplement pour pouvoir assurer les tâches quotidiennes.

Émilie ne s’autorise plus à voyager non plus, de peur d’être bloquée aux douanes. "J’ai voulu prendre l’Eurostar pour aller à Londres, on m’a expliqué qu’il y avait un risque qu’une fois de l’autre côté du tunnel on ne m’autorise pas à passer."

Raconter son histoire sans cesse

Il y a deux ans, elle a entamé les démarches pour changer de nom. "Je veux juste qu’on modifie le sexe mentionné et le prénom pour que mes papiers soient en conformité avec celle que je suis aujourd’hui". Une demande refusée pour le moment par le tribunal de grande instance, qui juge la demande prématurée. Il faudrait qu’Émilie change de sexe physiquement pour pouvoir changer officiellement d’identité. Une aberration pour elle. "Toutes les personnes transgenres ne souhaitent pas nécessairement changer de sexe et pourtant elles ne s’identifient plus au genre indiqué sur leurs papiers d’identité."

Pas de législation française en la matière

En France, selon l’article 57-1 du code civil, "tout enfant doit être obligatoirement rattaché à l'un des deux sexes, masculin ou féminin, et mention doit en être faite dans son acte de naissance qui fixe définitivement cet attribut de son état". En revanche, la législation est floue, voire inexistante, concernant les changements d’état civil pour les personnes transgenres. Chaque région est en fait libre d’accorder ou de refuser le changement d’état civil.

"J’ai des amies qui ont changé de sexe avant qu’elles ne soient opérées", témoigne Émilie. Il existe une sorte de "tourisme judiciaire" en la matière, confie le député Erwan Binet. "Ici, à Saint-Étienne, on sait que c’est plus facile d’avoir un accord pour un changement d’état civil qu’au TGI de Lyon par exemple. Certaines personnes se font donc domicilier dans la région pour pouvoir faire leur démarche auprès de ce tribunal-là."

"On ne peut pas obliger une personne à changer de sexe"

Car dans d’autres régions, certains tribunaux exigent la stérilisation de la personne qui souhaite changer d’état civil pour autoriser la modification des papiers d’identité. Un motif que le député Erwan Binet veut voir disparaître. "On ne peut pas obliger une personne à changer de sexe", insiste-t-il. Dans le nouvel amendement qui sera étudié à l’Assemblée nationale, la personne "ira devant un procureur", à qui elle devra "démontrer qu'elle se sent d'un autre sexe et que la société la regarde comme telle, sans avoir à subir d’opération chirurgicale", explique-t-il à Europe 1.

Émilie, elle, souhaite changer physiquement de sexe. En attendant de subir deux opérations - une de la poitrine et une vaginoplastie - , elle continue son combat administratif. "Je suis une citoyenne française et il est temps que l’État me reconnaisse en tant que tel", conclut-elle.

L’amendement examiné à l’Assemblée

L'amendement facilitant le changement d'état civil pour les transgenres est proposé dans le cadre de la proposition de loi J21, qui vise à réformer la justice du 21ème siècle, notamment au niveau du droit civil. L'un des principaux écueils au changement d'état civil est la stérilisation, encore exigée par certains tribunaux.