Hébergement d’urgence pour les SDF : quelle est vraiment la situation ?

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Selon le gouvernement, la situation des SDF n’est pas "plus difficile" cet hiver que les autres. Un avis que ne partagent pas les associations… 

"Si tous les hivers sont difficiles, celui-là n'est pas plus difficile que les autres", a martelé vendredi Emmanuelle Cosse. La ministre du Logement, dans un entretien publié vendredi par Le Parisien/Aujourd'hui en France, répondait aux critiques sur le manque de places en hébergements d’urgence pour les SDF, alors que le froid s’est installé sur l’Hexagone. Plusieurs voix, parlementaires et associatives, se sont pourtant émues, ces derniers jours, du nombre de refus essuyés par les sans-abris qui demandent à être hébergés depuis la baisse des températures. Quelle est vraiment la situation ?

  • Quel est le nombre de places disponibles ?

Les sans-abri ont accès, notamment via le 115 ou en concertation avec les SIAO (services d'orientation des personnes sans domicile ou mal-logées) à environ 128.000 places d’hébergement d’urgence en 2017. Au total, le budget de l'Etat sur cette question s'élève à 1,7 milliards d'euros en 2017, contre 1,5 un an plus tôt. Selon un rapport sénatorial publié le 14 décembre dernier, "d'indéniables efforts ont été réalisés", avec 36.000 places créées entre 2012 et mi-2016. L'exécutif a également lancé un plan (2015-2017) de créations de 13.000 places dans des dispositifs alternatifs aux centres classiques.

Mais le rapport regrette dans le même temps que les nuits d’hôtel soit encore trop privilégiées (41.000 places mobilisées en juin, selon le rapport). Il s’agit là du mode d’hébergement le plus coûteux : en moyenne 17 euros par nuit, par personne, en Ile-de-France (23 à Paris) et jusqu'à 40, voire 70 euros pour certaines places obtenues en extrême urgence. "En Ile-de-France, 15% du parc hôtelier sert à l'hébergement d'urgence, soit la quasi-totalité du parc hôtelier bas de gamme", souligne le sénateur LR de Seine-Saint-Denis, Philippe Dallier, rapporteur du document.

  • A combien s’évalue la demande ?

Selon les chiffres du Samu social, en 2015, 70% des appels au 115 n'ont pas abouti et sur les 30% des appels traités, un quart est resté sans solution. Et selon la Fnars, une fédération d’associations qui mesure régulièrement le taux d’appels via le numéro d’urgence, la situation s’est encore empirée cet hiver. "Moins d'une personne sur deux" composant le 115 "est prise en charge", a dénoncé son directeur, Florent Gueguen, lors d’une conférence de presse mercredi dernier.

Le 115 aurait reçu 105.406 appels dans 45 départements hors de Paris, en décembre, d'après les chiffres rassemblés par la Fnars. Au total, près de 53.000 demandes n'ont pas abouti à un hébergement, soit 57% de non-attributions. "40% des personnes qui appellent le font pour toute leur famille. Or, le mode d'hébergement actuel a été pensé pour des personnes seules. Il faut revoir tout le parc...", insiste encore Florent Gueguen, au micro d'Europe 1.

" Les nouveaux migrants ne chassent pas les sans-abri, ça n'a ni queue ni tête "

Ces chiffres sont difficilement vérifiables à l'heure actuelle. Et la ministre du Logement parle, elle, de "plutôt 30%" de demandes non abouties. "Cela ne sert à rien de dramatiser une situation qui est tendue, mais c'est le rôle des associations de maintenir la pression", martèle Emmanuelle Cosse. Difficile de faire le tri entre ces chiffres et d’évaluer vraiment la demande. Après une vaste enquête menée début 2012, l’Insee avait recensé 141.000 personnes "sans domicile en France", soit environ 13.000 de plus que le nombre de places disponibles en hébergement d’urgence aujourd’hui. En outre, depuis 2012, selon la Fnars, le nombre d’appels au 115 a doublé et la plupart des associations s'accorde sur le chiffre de 200.000 SDF présents en France. Soit 72.000 de plus que le nombre de places disponibles.  

  • La pression migratoire accentue-t-elle la crise ? 

En outre, la pression migratoire a "accentué" la gestion de l'hébergement "dans l'urgence", assure  le rapport sénatorial publié en décembre. Les personnes en situation irrégulière pourraient "représenter de 20% à 50% des personnes hébergées", avance le sénateur Philippe Dallier. "Malgré le déni gouvernemental, il est très difficile de ne pas établir un lien entre (la) difficulté à loger les SDF et l'afflux massif de migrants dans notre pays, dont le logement est souvent pris en charge prioritairement par les pouvoirs publics", s'est d'ailleurs empressé de scander le FN dans un communiqué publié vendredi, en réaction à l'interview de la ministre.

Mais si les dispositifs d'hébergement saturent, c'est aussi parce que le taux de rotation est trop faible : faute de logements disponibles, la durée moyenne de séjour approcherait les 14 mois pour une place en centre d'hébergement et serait d’un an pour un hébergement dans un appartement géré par une structure. "Des migrants parmi les SDF, il y en a toujours eu beaucoup. Il n'y a pas eu de raréfaction particulière des places depuis la crise migratoire de ces dernières années. Ce qui se passe, c'est qu'il manque d'offres de logement. Donc les familles restent plus longtemps dans les centres d'hébergement", expliquait récemment Christine Laconde, directrice du Samu Social interrogée par Europe1, qui insiste : "Les nouveaux migrants ne chassent pas les sans-abri, ça n'a ni queue ni tête".

Selon la Fnars, 30% des bénéficiaires d'hébergement d'urgence seraient en mesure de se payer un logement social. Problème : ils n'en trouvent pas de disponible. En plus de la construction de "dizaines de milliers de places" d'hébergement d'urgence, la Fnars en appelle, donc, à redoubler d'effort pour encourager la construction de logement sociaux, et permettre une meilleure rotation au sein de l'hébergement d'urgence.