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Anaïs Huet , modifié à
Perdre un enfant est une douleur indicible pour les parents. Gwenaëlle a choisi de continuer à vivre grâce au soutien de ses proches. Elle s'est confiée à Olivier Delacroix.
VOS EXPÉRIENCES DE VIE

Il y a sept ans, un dramatique accident a coûté la vie à la fille de Gwenaëlle. Pour cette mère de famille, il a fallu faire un choix : sombrer ou se battre pour continuer à vivre. C'est cette deuxième option qu'elle a retenue. Grâce au soutien de son mari, son fils, ses amis et celui d'autres parents vivant la même situation, elle a pu relever la tête. Elle a raconté son parcours de résilience à Olivier Delacroix, jeudi sur Europe 1.

"Nous avions confié notre fille à un camp scout en Belgique. Elle et ses amies se sont assises sur une chaîne à l'entrée de deux colonnes de pierre qui délimitaient la propriété où le camp avait lieu. Le poids des petites filles sur la chaîne a fait basculer une des colonnes de pierre. Ma fille a reçu 600 à 800 kilos de pierre sur la tête. Elle est donc décédée sur le coup.

Sur le moment, on ne prend pas la mesure de ce qui s'est passé. On comprend juste que le décès a eu lieu. On était en France et on a reçu un coup de fil de la police belge. On a dû croire sur parole cette voix au téléphone qui nous annonçait ça. Au début, on ne se rend pas compte de tout ce qui va s'en suivre. On est un peu en navigation à vue, on fait ce qu'on peut. Les premières semaines, les premiers mois, le challenge de la journée c'est de se lever, de se nourrir, et de se recoucher le soir. Et si on a passé une journée, on est déjà content. 

>> De 15h à 16h, partagez vos expériences de vie avec Olivier Delacroix sur Europe 1. Retrouvez le replay de l'émission ici

On se rend compte que certains amis très proches ne savent pas comment gérer la situation, n'osent pas vous approcher, ont peur de parler avec vous, et vont donc être aux abonnés absents pendant un temps. Au début, on ne le prend pas très bien, parce qu'on a besoin d'aide et qu'on s'attend à ce que nos amis proches soient là. À l'inverse, il y a aussi des gens que l'on connaissait peut-être moins bien qui, par leur vécu, ne vont pas avoir peur de vous. Ils vont venir vers vous, sans que vous ne l'ayez demandé. Tout le paysage amical bouge. C'est un peu surprenant mais c'est comme ça. Ce n'est pas uniquement mon histoire, mais celle de beaucoup d'autres. Finalement, il faut saisir toutes les mains qui sont tendues.

Entendu sur europe1 :
Je ne connaissais pas ce chemin de deuil que je commençais à vivre, et j'avais vraiment besoin de jalons

J'ai vu une psychologue. Pour être très honnête, je n'en avais pas du tout ressenti le besoin. Mais je me suis dit : 'je n'ai jamais vu de psy dans ma vie, mais si je ne le fais pas au moment où j'ai perdu ma fille, je ne sais pas quand je le ferai.' Au début, je n'ai pas eu l'impression que cela m'apportait grand-chose. J'ai découvert à ce moment qu'il y avait des écoles de psychologie différentes. Et la psy chez qui j'allais faisait partie d'une école où on ne parle pas beaucoup mais on écoute le patient. Moi, je n'avais pas besoin de ça. J'avais l'impression de parler déjà beaucoup avec mes amis que je voyais très régulièrement.

J'attendais donc de la psy quelque chose d'autre, des réponses, un accompagnement professionnel… . Car moi, je ne connaissais pas ce chemin de deuil que je commençais à vivre, et j'avais vraiment besoin de jalons, qu'on me dise si ce que je faisais était bien ou pas. J'y suis donc allée en me forçant pendant un bon moment.

Entendu sur europe1 :
J'avais deux options : me jeter sous un tram ou continuer à vivre

Très rapidement, je me suis dit que j'avais deux options. La première, c'était de me jeter sous un tram, et l'autre c'était de continuer à vivre. Je me suis dit qu'à partir du moment où je choisissais que je continuais à vivre, il fallait le faire le mieux possible. J'ai vraiment saisi toutes les mains tendues, toutes les perches possibles.

La première année, on n'a pas beaucoup d'autres objectifs que de survivre. Et avec le temps, qui est un facteur clé, la vie revient petit à petit. Elle est certainement différente de ce qu'on avait avant, il faut l'accepter. Mais heureusement, ce n'était pas un puits sans fond. C'était une épreuve infiniment dure, avec laquelle je vis tous les jours encore maintenant. Mais sept ans après, ça ne m'empêche pas de vivre, d'avoir plein d'activités, de revoir du monde, de rigoler… d'avoir une vie presque normale. En apparence en tout cas.

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Si on m'avait dit à l'avance : 'tu vas perdre ta fille mais tu vas t'en sortir', j'aurais dit que c'était impossible

J'ai un mari et un fils. C'est évidemment un moteur. Je ne voulais pas que mon fils puisse dire un jour : 'ma mère s'est complètement effondrée à ce moment-là et je n'ai pas pu compter sur elle'.

Il y a très souvent des différences dans un couple par rapport à un deuil d'enfant. On ne va pas réagir de la même manière entre un homme et une femme, on a chacun sa relation avec l'enfant… au début, ça peut créer des problèmes au sein de certains couples. Il faut accepter que l'autre ne va pas réagir de la même manière au même moment, de manière synchrone. On ne va pas avoir les mêmes souvenirs au même moment, les mêmes pensées, les mêmes réactions.

Si on m'avait dit à l'avance : 'tu vas perdre ta fille mais tu vas t'en sortir', j'aurais dit que c'était impossible. On trouve certainement des forces insoupçonnées en soi, et heureusement. C'est assez fascinant d'ailleurs. Je pense qu'il y a une envie de vivre qui vous pousse, qui vous porte. Le soutien de mes proches a été absolument essentiel.

Entendu sur europe1 :
Toutes les choses qui me paraissaient stressantes ou importantes ne le sont finalement peut-être pas tant que ça

Je fais partie d'une association de parents 'désenfantés' en Belgique. Elle nous a fait beaucoup de bien, parce qu'on a pu rencontrer d'autres parents dans la même situation, quelle que soit la cause du deuil (maladie, suicide, meurtre, accident, incendie…) Malheureusement, on était assez nombreux. Ça a été très précieux pour moi. Quand on perd un enfant, on peut se sentir extrêmement isolé. On a des réactions et des pensées nouvelles, une manière d'être différente. On peut très vite se sentir différent de tout le monde. C'était important de gérer cette question de santé mentale, de se dire qu'on n'est pas en train de perdre la boule. Au bout d'un an et quelques, l'association m'a demandée de faire partie de l'équipe. Après mûre réflexion, j'ai accepté, j'ai suivi une petite formation, et maintenant j'accueille les parents qui arrivent dans l'association, et j'anime les groupes de parole à mon tour.

Il y a une association équivalente en France qui s'appelle Jonathan Pierres Vivantes. C'est vraiment précieux, comme dans toute maladie, de trouver des pairs avec qui on peut vraiment partager, en tombant le masque. Car malgré tout, au bout d'un moment, on fait quand même un effort vis-à-vis des copains pour ne pas tout le temps parler de ça. On a aussi besoin de moments où on peut être nous-mêmes, parler de notre enfant décédé, dire les difficultés que l'on a. Ces groupes sont vraiment essentiels pour ça.

La vie que j'ai aujourd'hui n'est pas celle dont j'ai rêvé puisque ma fille n'est plus là, et qu'au lieu d'être quatre, on est trois. Beaucoup de choses autour ont aussi changé. J'ai changé de travail, ma manière de voir les choses… Toutes les choses qui me paraissaient stressantes ou importantes ne le sont finalement peut-être pas tant que ça. On aborde la vie de manière très différente.

Sept ans après, je pense que je vais aussi bien que possible. Il y aura toujours des moments difficiles. Toutes les grandes étapes de la vie nous rappellent que notre fille est absente. Quand j'ai fêté mes 50 ans, elle n'était pas là. Il faut vraiment être très souple face au changement pour l'encaisser le mieux possible."