Gilles Kepel : "les terroristes ne sont pas invincibles"

Gilles Kepel
Gilles Kepel © Europe 1
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Ce spécialiste de l'islam revient sur la mécanique terroriste, sur ses causes, sur le "déni" des hommes politique et sur le FN.
INTERVIEW

"Ils ne sont pas invincibles", martèle Gilles Kepel, interrogé sur Daech. Le sociologue spécialiste de l'Islam, auteur de Terreur dans l'Hexagone, Genèse du djihad français, était dimanche soir l'invité d'Europe 1. Il est revenu sur la mécanique terroriste, sur ses causes, sur le "déni" des hommes politique et le FN.

Des attentats "ratés" pour Daech. Interrogé d'abord sur la fausse alerte à la bombe dans un avion d'Air France, Gilles Kepel retient surtout une chose : "le professionnalisme de l'équipage, les gens sont sortis de l'avion. Il ne faut pas croire que le terrorisme est invincible". Par ailleurs, selon ce spécialiste du monde arabe, du point de vue politique, les attentats de Paris ont été "ratés" pour Daech. "Pour susciter des soutiens à leur cause, cet événement a été raté. Le terrorisme a une économie politique : il faut terroriser l'adversaire et en même temps mobiliser des soutiens de sympathisants, le plus large possible. Après les attentats de janvier, vous aviez un clivage, des personnes qui affirmaient 'Je ne suis pas Charlie'. Là, il y a très très peu de soutien, y compris dans les prisons", assure-t-il. 

Colonisation, salafisme... Un "déni coupable" des politiques. Gilles Kepel dénonce toutefois plusieurs laxismes des autorités, et notamment des services de renseignements européens. "L'Amérique apparaît désormais trop loin, trop forte, trop sécurisée pour les terroristes. Alors que là, en Europe, vous pouvez aller au Djihad en camping-car, comme on l'a vu à Toulouse. Les renseignements ont raté la révolution du terrorisme : l'émergence d'un terrorisme du bas vers le haut, notamment via les réseaux sociaux".

Le sociologue dénonce aussi une "inculture et un déni extrêmement coupable" des hommes politiques, toutes tendances confondues. "A défaut de trouver des solutions politiques (sur le chômage, notamment ndlr), les gens vont trouver des solutions identitaires", regrette Gilles Kepel. Or, cette crise identitaire n'a pas du tout était comprise des politiques. Implantation du salafisme, instrumentalisation du halal... Les politiques "préféraient jusque-là entourer ces problèmes de fumée". Sur la question, au cœur du problème, de l'ex-empire coloniale français, s'exprime encore plus ce "déni". "On fait semblant qu'il n'y a rien eu, comme si l'on avait divorcé à l'amiable. On n'a pas mis à plat la relation avec l'Afrique du nord, et avec la partie maghrébine de notre identité".

 

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FN, Daech, un "effet miroir". Selon Gilles Kepel, cette crise identitaire favorise la montée du radicalisme... mais aussi celle du FN. Les deux, d'ailleurs, fonctionne en effet miroir. "Il y a une espèce de grammaire narrative entre terroristes et extrême droite, comparable à une parano. Ces types de discours construisent une espèce de pratique de rupture avec la société et de départ vers autre chose". Le FN et le radicalisme se nourissent-ils l'un de l'autre ? "En grande partie", répond celui qui est aussi politologue. "Je ne dit pas que le FN et Daech sont kiff kiff. Ce serait complètement imbécile d'expliquer ça. Mais d'une certaine manière, il y a un fonctionnement en miroir. Une partie de la rhétorique du FN, c'est la dénonciation de l'islamisation et de l'immigration. Et du côté de Daech, il faut susciter des provocations, qui font que la population qu'ils considèrent comme 'de souche' va attaquer la population musulmane. Bienheureusement, ça ne s'est pas produit".

"Le mariage pour tous a eu un effet dévastateur" sur le vote musulman. Gilles Kepel est également revenu sur le désaveu de la communauté musulmane envers la gauche, et sur la fragmentation de son vote. "La plupart des sondeurs disent que les Français qui se définissent comme musulman ont voté à 80% pour François Hollande en 2007. Ensuite le vote s'est fragmenté", analyse le sociologue. Et de détailler : "Parce que le mariage pour tous a eu une effet dévastateur. Vous avez un certain nombre d'imams qui donnent le vendredi des consignes de vote. On l'a vu dès les législatives partielles. Ils disent : 'ils faut sanctionner les socialistes corrupteurs sur la terre'. Ensuite, plus profondément, à cause du chômage, il y a une abstention très importante dans les quartiers. Désormais, ce vote est donc dilué. Une partie des musulmans conservateurs vont se rapprocher de la droite française. Une autre, qui a une vision plus redistributive, continue de voter à gauche".