Fraises, faux site et produit toxique : comment un Youtubeur a «fait vendre du poison» à des influenceurs

Le YouTubeur Simon Puech a convaincu des influenceurs de faire la promotion d'un produit toxique.
Le YouTubeur Simon Puech a convaincu des influenceurs de faire la promotion d'un produit toxique. © Capture d'écran YouTube - Simon Puech
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Romain Rouillard / Crédit photo : capture d'écran YouTube - Simon Puech , modifié à
Pour dénoncer le manque de rigueur de certains influenceurs, le YouTubeur Simon Puech a décidé de les piéger en leur demandant de faire la promotion d'un faux produit censé contenir une substance hautement toxique. Résultat : aucun d'entre eux n'a débusqué la supercherie.

Peut-on continuer à faire vendre n'importe quoi à n'importe quelles conditions à des influenceurs ? C'est la question à laquelle le YouTubeur Simon Puech a voulu répondre dans une vidéo intitulée "J'ai fait vendre du poison à des influenceurs". Pour le vidéaste aux 670.000 abonnés sur la plateforme, il s'agissait aussi de tester la robustesse de la loi, adoptée le 9 juin 2023, censée corriger les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux.

Ce texte, à l'initiative des députés Arthur Delaporte (PS) et Stéphane Vojetta (majorité présidentielle), entend prohiber la promotion de certains produits, notamment ceux contenant de la nicotine, et interdire la promotion de pratiques pouvant présenter des risques, comme l'abstention thérapeutique. La loi prévoit enfin des sanctions, pouvant atteindre deux ans de prison, de 300.000 euros d'amende, en cas de manquements. 

La DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes), ainsi que l’Autorité des marchés financiers se chargent ensuite d'opérer des contrôles. Certains créateurs ont ainsi été contraints d'afficher sur leurs réseaux, et pendant un certain temps, un message d'avertissement, que leur avait transmis au préalable la DGCCRF, et qui contenait une "injonction à cesser des pratiques commerciales trompeuses". Et pourtant, des failles demeurent. "On avait constaté que, depuis l'adoption de la loi, de nombreux créateurs n'étaient pas suffisamment vigilants, ce qui traduisait peut-être un manque de prise au sérieux de la loi", retrace Simon Puech, auprès d'Europe 1.

Un produit censé contenir du soman

Pour en avoir le cœur net, le YouTubeur et son équipe ont donc confectionné le "BioZin 2", un faux produit, présenté comme un complément alimentaire. "On voulait quelque chose qui aurait un impact significatif sur le corps. En plus, on s'est dit que, lorsqu'une marque vous contacte pour ce genre de produits, c'est quelque chose à laquelle vous faites plus attention que pour une figurine ou un livre", raconte-t-il. 

En réalité, le produit, uniquement composé d'eau et de fraises séchées, ne procure aucun bienfait spécifique et, surtout, affiche de façon visible sur l'étiquette une liste d'ingrédients, parmi lesquels figure le soman, un puissant neurotoxique, deux fois plus mortel que le sarin, pourtant considéré comme une arme de destruction massive. Simon Puech et son équipe ont ensuite monté de toutes pièces un site internet en prenant toutefois certaines précautions. "On ne voulait pas que le produit se retrouve dans les mains de quelqu'un qui n'était pas censé être piégé. Sur le site, il est donc impossible d'en acheter, mais sur toutes les personnes que nous avons contactées, seule une agence l'a relevé. Les autres n'ont même pas posé la question", rapporte le vidéaste. 

Pour que le piège fonctionne, il fallait également s'assurer qu'aucun contenu, en lien avec le faux produit, ne soit diffusé avant publication de la vidéo de Simon Puech. "Nous avions demandé aux influenceurs des projections du contenu pour que la marque factice que nous sommes puisse valider ces contenus avant qu'ils ne soient postés", précise le créateur. 

Des salves de mail

Place ensuite à la prise de contacts. Là encore, le YouTubeur a usé d'un stratagème millimétré afin qu'aucun influenceur ne débusque la supercherie. "On a fait une liste de 70 influenceurs, mais on n'a pas voulu les contacter d'un coup, car on ne voulait pas qu'une poignée d'entre eux repèrent le soman et nous fassent un TikTok ou un thread (une série de tweets Ndlr) sur X qui nous auraient décrédibilisé". Pour s'en prémunir, l'équipe du vidéaste procède par salves de mail. Suffisant pour qu'une série d'influenceurs mordent à l'hameçon. "Pour ce qui est des agences, on n'a pas fait une liste de 70 agences, mais sur les cinq que l'on a contactées, quatre ont répondu favorablement et une n'a pas répondu", nous indique Simon Puech. 

Très rapidement, les influenceurs piégés font la promotion du produit sur leurs réseaux sociaux. Une créatrice avoue même ne pas savoir comment prononcer "soman" tandis qu'un autre va même jusqu'à inventer des propriétés vertueuses à ce poison extrêmement létal. "Pourtant, j'avais beaucoup insisté auprès d'eux sur le produit en lui-même. Et c'est là qu'une agence m'a répondu que le produit présentait des ingrédients qu'elle connaissait", révèle le vidéaste, qui a tout de même pris soin de préserver l'anonymat des influenceurs ciblés. 

Une ombre au tableau

Une semaine plus tard, vient l'heure d'un premier bilan. "Parmi les influenceurs piégés, une nous a envoyé un mail en nous disant que nous étions des guignols et que nous n'avions que ça à faire. Pour les autres, silence radio". Quant aux agences, "l'une d'elle n'a rien dit, mais pour l'autre, j'ai eu quelqu'un au téléphone qui s'est montré assez fairplay". 

Pour Simon Puech, l'opération est donc un franc succès. À travers cette vidéo, le vidéaste a pu démontrer, comme il le souhaitait, qu'en dépit d'un cadre légal, certains influenceurs peu scrupuleux continuaient de promouvoir des produits dont ils n'ont aucune connaissance. Une ombre vient toutefois noircir le tableau. "J'ai accordé une interview à Loopsider sur TikTok. Mais le public de TikTok étant ce qu'il est, certains se sont mis à chercher l'identité des influenceurs ciblés. Alors que cette vidéo n'avait pas pour but de nuire à qui que ce soit, ou que des gens se fassent harceler. Il s'agit simplement d'encourager ce milieu à être plus rigoureux".