Dérives sectaires : ce qu'il faut savoir sur le délit de «provocation à l'abandon de soins» voté à l'Assemblée, qui fait polémique

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Ophélie Artaud / Crédits photo : Xose Bouzas / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Cette semaine, le projet de loi sur les dérives sectaires a été voté à l'Assemblée nationale. Mais l'un des articles a provoqué des débats houleux dans l'hémicycle : celui sur la création d'un délit de "provocation à l'abandon de soins", d'abord rejeté par les députés, puis modifié et voté. Les opposants pointaient du doigt une menace pour la liberté d'expression. Europe 1 fait le point.

Après un premier rejet, l'Assemblée nationale a finalement approuvé la création d'un délit de "provocation à l'abandon de soins". Il s'agit du controversé article 4 du projet de loi de lutte contre les dérives sectaires. Une mesure qui a pour objectif de s'opposer aux "gourous 2.0", mais qui a fait polémique à l'Assemblée nationale. Les Républicains, le Rassemblement national et La France insoumise étaient notamment opposés à cet article. Alors que la première version du texte avait été rejetée par les députés à 116 voix contre 108, l'article modifié a finalement été adopté par 182 voix contre 137. Europe 1 vous explique ce que contient cet article, contesté par une partie des députés ?

Que dit l'article voté par l'Assemblée nationale ?

L'article 4 a pour objectif de lutter contre ceux que le gouvernement qualifie de "gourous 2.0". Autrement dit, de faux thérapeutes qui mettent en avant de fausses promesses de santé pour guérir des maladies à l'aide de méthodes soi-disant "miracles" mais totalement inefficaces. Ces méthodes s'opposent aux parcours de soins médicaux traditionnels. Certains mettent par exemple en avant des "injections de gui" ou du "jus de citron" pour soigner le cancer. Des méthodes qui peuvent aboutir à des dérives sectaires, et porter préjudice à la santé des victimes.

Désormais, cet article 4 voté indique que "la provocation [...] à abandonner ou à s'abstenir de suivre un traitement médical thérapeutique ou prophylactique, lorsque cet abandon ou cette abstention est présenté comme bénéfique pour la santé de la personne visée alors qu’il est, en l’état des connaissances médicales, manifestement susceptible d’entraîner pour elle [...] des conséquences particulièrement graves pour sa santé physique ou psychique" est considéré comme un délit, puni d'un an d'emprisonnement et de 30.000 euros d'amende. Une peine qui peut aller jusqu'à trois ans d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende si "la provocation a été suivie d'effets".

Aussi, un autre alinéa indique qu'en cas de "provocation à adopter des pratiques présentées comme ayant une finalité thérapeutique ou prophylactique alors qu’il est manifeste, en l’état des connaissances médicales, que ces pratiques exposent à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente", les faux thérapeutes encourent la même peine.

Près de 40% des signalements reçus par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) sont en lien avec la santé.

Pourquoi cet article 4 a provoqué la colère de plusieurs partis ?

Avant de passer devant l'Assemblée nationale, la première version de cet article 4 avait été retiré par le Conseil d'État. Ce dernier estimait que "ni la nécessité, ni la proportionnalité de ces nouvelles incriminations ne sont avérées", car le droit actuel réprime une grande partie de ces pratiques, et s'inquiétait de "limitations à la liberté d'expression". "Il convient de garantir un équilibre entre ces droits constitutionnels, afin, notamment, de ne pas remettre en cause, par une incrimination de contestations de l’état actuel des pratiques thérapeutiques, la liberté des débats scientifiques et le rôle des lanceurs d’alerte", écrit l'institution.

Mardi soir, lors du premier vote, les députés LFI, LR et RN ont également dénoncé cet article 4, considérant qu'il représentait une menace pour "les libertés publiques" et pour les "lanceurs d'alerte", notamment lorsque ces derniers critiquent l'industrie pharmaceutique. Alors que l'article avait été rejeté par les députés, l'annonce d'un second vote a provoqué un tollé du côté des oppositions.

Les lanceurs d'alerte sont-ils menacés ?

Le député LFI Jean-François Coulomme a dénoncé ce délit "trop vague", qui "menace nos libertés", par exemple pour "critiquer les dérives pharmaceutiques". Certains élus ont cité l'exemple d'Irène Frachon, cette lanceuse d'alerte qui a joué un rôle décisif dans l'affaire du Mediator, un médicament coupe-faim qui a provoqué la mort de nombreux patients. "Avec cet article, Irène Frachon aurait été poursuivie ou mise en prison avant même de commencer à émettre le moindre doute sur le Mediator [...] Ce qui est très grave, c'est que si elle n'avait pas pu émettre ces critiques, le Mediator serait toujours en vente libre, il y aurait toujours des milliers de morts et il n'y aurait pas eu de procès alors que le laboratoire a été condamné", s'est par exemple insurgé le député d'Essonne, Nicolas Dupont-Aignan.

De son côté, Brigitte Liso, rapporteure du projet de loi, s'est défendue de toute atteinte contre la liberté d'expression des lanceurs d'alerte. "Cette loi ne concerne absolument pas les lanceurs d'alerte", a-t-elle assuré au micro d'Europe 1, dans l'émission Pascal Praud et vous.

Les lanceurs d'alerte sont également protégés juridiquement, notamment depuis 2016 et la loi Sapin 2. En 2022, une nouvelle loi pour améliorer la protection des lanceurs d'alerte a été publiée au Journal officiel. Elle précise la définition de leur statut, et vise également à la protection de leur entourage.

Pourquoi ce texte a-t-il ravivé le débat autour de Didier Raoult ?

Le vote de cet article a aussi ravivé les débats autour du traitement controversé à l'hydroxychloroquine du professeur Didier Raoult, lors de la crise sanitaire. Dans l'hémicycle, Olivier Véran et Marine Le Pen se sont écharpés sur le sujet. L'ancien ministre de la Santé a fustigé les "délires quasi messianiques" du "charlatan de la Canebière". "Est-ce que les critères de dérives sectaires sont réunis ? A minima, il y a l'objet de débats", s'est interrogé Olivier Véran. "Il y aura d'autres crises sanitaires dans notre pays, il y aura d'autres gourous, certains parviendront à ébranler la confiance de nos concitoyens à large échelle", a-t-il conclu.

Des propos critiqués par la cheffe de file du Rassemblement national. "S’il y a bien une personne qui ne devait pas prendre la parole aujourd’hui c’est monsieur Véran qui a dit tout et l’inverse de tout pendant la crise du Covid. Il a osé parler du professeur Raoult", a-t-elle lancé. Avant de demander "il n'y a pas quelques ministres qui ont été soignés par le professeur Raoult ?", faisant référence à Sabrina Agresti-Roubache, qui avait été prise en charge par le professeur Raoult et avait vanté son traitement.

Une fois de plus, la question de la liberté d'expression et la possibilité de critiquer les vaccins était au centre des débats. Pour la rapporteure du projet de loi Brigitte Liso, la question du professeur Raoult "n'est pas le sujet, que ce soit Olivier Véran ou Marine Le Pen" qui en parle. "Mon sujet, ce sont les victimes. Une femme me racontait qu'elle a perdu sa fille âgée de 35 ans d'un cancer du sein [qui aurait pu être soigné, ndlr], mais qu'elle a été prise en charge par un gourou qui lui a proposé d'arrêter son traitement et qui l'a remplacé par de l'extrait de jus de pommes de terre. C'est ça que font les gourous", a-t-elle conclu au micro d'Europe 1.