La fin de vie, un thème de campagne qui peine à émerger

Pour 39% des Français, les questions liées au droit de mourir dans la dignité auront une forte influence dans leur vote, selon un récent sondage Ifop publié au mois de mars.
Pour 39% des Français, les questions liées au droit de mourir dans la dignité auront une forte influence dans leur vote, selon un récent sondage Ifop publié au mois de mars. © AFP
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T.M. , modifié à
À moins d'un moins du premier tour de la présidentielle, le débat sur la fin de vie peine à émerger parmi les candidats, malgré un consensus partagé par les Français.

"La fin de vie, et si on en parlait ?". Le titre de la campagne d'information lancée par le ministère de la Santé le 20 février dernier pourrait parfaitement coller à une autre campagne… présidentielle, cette fois. Dans une lettre publiée dans Le Parisien, vendredi, une Française de 59 ans, atteinte de la maladie de Charcot, appelle les candidats à se positionner sur la légalisation du suicide assisté et de l'euthanasie. "Prenez donc vos responsabilités", exhorte la Charentaise, qui a déjà prévu de partir en Belgique pour recevoir une injection létale. Il faut dire que la question a du mal à trouver sa place dans le débat, à moins d'un mois du premier tour.

"Que les politiques réagissent". Jeudi 19 janvier, troisième débat de la primaire de la gauche. Benoît Hamon et l'écologiste François de Rugy défendent la même idée lors de leur carte blanche : il faut légaliser l'euthanasie. "Le droit à mourir dans la dignité est extrêmement important", plaide notamment l'actuel candidat socialiste. "Il faut aller plus loin que la loi Leonetti", continue-t-il. Depuis, le débat peine à émerger entre les onze candidats. "C'est loin de ce que ça devrait être, alors que le sujet concerne tous les Français. Il faudrait que les politiques réagissent", enjoint Jean-Luc Romero, président de l'Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité (ADMD), qui a décidé de soutenir Benoît Hamon, en partie pour ses positions sur la fin de vie, justement.

En 2012, l'ADMD avait frappé très fort, en lançant une campagne publicitaire choc, mettant en scène trois des candidats de l'époque, tous opposés à toute évolution législative sur la fin de vie : Nicolas Sarkozy, François Bayrou et Marine Le Pen, sur un lit d'hôpital, le teint cadavérique, avec cette question : "Monsieur (Madame) le (la) candidat(e), doit-on vous mettre dans une telle position pour faire évoluer la vôtre sur l'euthanasie ?". La campagne avait eu le mérite de faire parler, et François Hollande, quelques semaines après son élection, avait pris l'engagement de développer les soins palliatifs et une réforme sur la question, afin de dépasser la loi Leonetti de 2005, qui s'oppose à l'acharnement thérapeutique sans permettre de déclencher un geste médical pour provoquer la mort. Aujourd'hui, la loi Leonetti existe toujours, et une nouvelle version – "encore plus restrictive", selon Jean-Luc Romero – a même été promulguée l'an passé. Le texte instaure un droit à la "sédation profonde et continue" jusqu’au décès pour les malades en phase terminale, ainsi que des directives anticipées contraignantes, mais n’autorise ni l’euthanasie ni le suicide assisté.

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"On a des affaires sans arrêt et ça ne gêne personne". "Par rapport à 2012, ce n'est pas que le débat pèse moins, mais la campagne, cette année, ne tourne qu'autour des affaires de François Fillon et du Front national", déplore encore le conseiller régional d'Île-de-France. "Il n'y a que trois candidats qui ont pris position pour l'euthanasie : Benoît Hamon, Jean-Luc Mélenchon et Nathalie Arthaud (voir encadré). Les autres n'entendent absolument pas les Français. On a des affaires sans arrêt : l'affaire de la petite Marwa, l'affaire Vincent Lambert… Et ça ne gêne personne." 

Un thème pourtant cher aux Français. Chez les Français, il n'y a pas de débat non plus…. Pour la simple et bonne raison que la question fait plutôt consensus. Selon un très récent sondage Ifop, neuf Français sur dix se déclarent en effet en faveur du suicide assisté (86% pour les électeurs de François Fillon et de Benoît Hamon, 91% pour les électeurs d'Emmanuel Macron et 94% pour ceux de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon) et 95% en faveur de l’euthanasie (91% chez Fillon, 94% pour ceux de Hamon et Mélenchon, 96% pour les supporters de Macron et 99% chez les électeurs de Le Pen).

Le même sondage révèle également que pour 39% des Français, les questions liées au droit de mourir dans la dignité auront une forte influence dans leur vote. Un Français sur trois (32%) est même prêt à renoncer à voter pour le candidat dont il se sent le plus proche si celui-ci se déclare opposé à l’euthanasie. D'où, peut-être, une volonté délibérée de ne pas heurter ses potentiels électeurs en mettant en avant ses positions sur la question.

Objectif législatives. "C'est pareil pour le Sida ou pour la PMA", constate le président de l'ADMD, qui se dit "désabusé, comme tout le monde". "Mais j'ai encore de l'espoir", assure Jean-Luc Romero, qui compte bien continuer à se battre pour mettre le sujet au centre de la table, notamment lors des prochains débats prévus le 4 et le 20 avril. Et si ce n'est pas pour la présidentielle, ce sera pour plus tard. Un site internet destiné à interpeller les candidats aux élections législatives de juin prochain existe déjà.

 

Fin de vie : ce qu'en pensent les candidats

  • Invité de la 4èmeMatinale spéciale présidentielle d'Europe 1 vendredi, Benoît Hamon (PS) s'est prononcé en faveur du "droit à mourir dans la dignité, parce que je crois que l’on a le droit, lorsque l’on est atteint d’une maladie incurable, de choisir le moment où l'on perd toute dignité et qu’au regard des autres, c’est le moment que l’on choisit pour partir", tout en insistant sur les efforts à accomplir en matière de soins palliatifs.
  • Pour Jean-Luc Mélenchon, "l'individu s'appartient". Le candidat de la France insoumise est clairement le candidat le plus favorable au suicide assisté. En janvier, dans une interview accordée au JDD, il proposait ainsi d’inscrire cette "liberté fondamentale" dans la Constitution, au même titre que l’avortement.
  • Encore plus à gauche, Philippe Poutou (NPA) s’est également prononcé en faveur de l’euthanasie et du suicide assisté : "Je suis pour le droit de chacun et chacune de disposer librement de son corps, de sa vie et donc de sa mort. Aussi je suis pour le droit à l’euthanasie et au suicide assisté dans la mesure où il est librement décidé", assure-t-il dans les colonnes de Libération.
  • Dans une lettre adressée à l’ADMD, la candidate de Force ouvrière Nathalie Arthaud insiste elle aussi sur le droit de mourir dans la dignité. Cependant, elle considère que la loi Claeys-Leonetti actuellement en place est suffisante.
  • François Fillon se positionne quant à lui en faveur d'un meilleur accès aux soins palliatifs et entend faire appliquer la loi de 2016. En réponse à l'ADMD, le candidat de la droite s'est dit, par la voix de son ambassadeur, le médecin Philippe Juvin, opposé à cette "mort provoquée et organisée", qui présente "un risque de glissement vers une euthanasie d'opportunité", visant par exemple à libérer des lits. Déjà en 2011, quand il était Premier ministre de Nicolas Sarkozy, le Sarthois avait déclaré que l'euthanasie n'était pas "[sa] conception du respect de la vie humaine et des valeurs qui fondent notre société".
  • Marine Le Pen, si elle n'a pas répondu à l'invitation de l'ADMD, est quant à elle "favorable à l’esprit de loi Leonetti de 2005, mais aussi à celle de 2016" selon sa conseillère en matière de santé, Joëlle Melin, jointe par Libération. La frontiste n'en reste pas moins opposée à l'euthanasie et au suicide assisté.
  • Les deux candidats qui semblent le plus opposés à une aide médicale en fin de vie sont sûrement Nicolas Dupont-Aignan et Jacques Cheminade. Selon le premier, il serait dangereux de toucher à loi Leonetti. Pour le second, "augmenter les moyens dévolus aux unités de soins palliatifs est la meilleure protection contre l’euthanasie". Un appel au développement des soins palliatifs qui s'inscrit dans la droite lignée de ses propositions lors de la dernière élection présidentielle, en 2012.
  • Enfin, Emmanuel Macron ne se prononce pas vraiment sur la question. "Céder aux oukases des uns ou des autres n'est pas une bonne chose. Il faut tirer les enseignements des cas spécifiques aujourd'hui débattus, respecter les convictions personnelles et religieuses de chacun, entendre aussi ce que disent les professionnels de santé", explique l'ancien ministre de l'Économie dans une interview à La Croix, datée du 13 mars. "Je suis favorable à ce que ce débat avance mais je ne me précipiterai pas pour légiférer", indique-t-il.
  • Quant à François Asselineau, le candidat de l'UPR n'aborde pas la question dans son programme. Jean Lassalle, lui non plus, n'a pas pris position jusqu'alors.