Céline, 31 ans, a tenu un blog sur Instagram : "Une fois que j'ai mis le doigt dans l'engrenage, ça a été terminé"

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Grégoire Duhourcau
Céline a voulu perdre du poids après la naissance de ses deux jumeaux en créant un blog sur Instagram. Elle raconte à Olivier Delacroix sur Europe 1 avoir été soutenue par sa communauté, avant que tout bascule.
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Céline, âgée de 31 ans, a créé un blog il y a cinq ans sur le réseau social Instagram dans le but de perdre du poids après la naissance de ses jumeaux. "C'était une présence constante", confie-t-elle à Olivier Delacroix sur Europe 1.

"[Ce blog concerne] mon parcours sportif. Il y a six ans, j'ai eu la chance de devenir maman de deux petits jumeaux et j'ai décidé, après la naissance des petits, de me reprendre en main et de publier chaque jour mes entraînements, ce que je mangeais, etc. C'était simplement pour montrer mon parcours et recevoir des conseils dans cette perte de poids, dans cette transformation sportive. J'avais déjà essayé des régimes, de me mettre au sport, mais je n'avais pas vraiment d'objectif concret. Là, je me disais qu'en postant, en mettant mon journal en public, ça me forcerait à tenir mes engagements et à aller au bout de ce projet. Je connaissais déjà un petit peu le milieu, je suivais des comptes particuliers. Je me suis dit : 'Pourquoi pas moi ?'

"J'ai commencé à me préoccuper plus des avis que je recevais sur Instagram que des avis de mes proches"

J'ai envie de dire que ça me prenait bien trop de temps, difficilement quantifiable. Ça commençait au petit-déjeuner avec la photo du petit-déjeuner, ça continuait avec l'exercice du matin, la photo du dîner... C'était une présence constante parce que j'avais toujours cette impression de motivation, mais aussi d'épée de Damoclès que j'avais au-dessus de la tête en me disant : 'Il ne faut pas que tu craques, il faut que tu sois parfaite, il faut que tu aies des choses à montrer.' Il faut en faire toujours plus. Toujours cuisiner plus sain, toujours faire plus d'exercices, toujours faire plus de sport. Une fois que j'ai mis le doigt dans l'engrenage, ça a été terminé.

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Il y a un moment [où j'ai senti que ça devenait addictif] parce que j'ai commencé à me préoccuper plus des avis que je recevais sur Instagram que des avis de mes proches. Il faut savoir que j'ai perdu vraiment beaucoup de poids. A ce niveau-là, ça a été magnifique, magique, parfait, mais à un tel point que je n'arrivais plus à m'arrêter. Il y avait toujours des gens pour me dire : "Si tu fais tel exercice, tu seras plus dessinée comme ceci ou comme cela. En mangeant tel truc, tu perdras plus de poids." C'est vrai qu'au bout d'un moment, ma famille me disait : "Mais enfin, tu ne te rends pas compte ! Tu passes plus de temps à la salle qu'avec ton mari, qu'avec tes petits. Tu as l'air fatiguée, il faudrait lever le pied."

[Mon objectif était vraiment d'être] conforme à l'idée que je me faisais de ces grandes 'fitmums' qui semblaient n'avoir aucun défaut. C'étaient vraiment des gens qui assuraient tout le temps, sur tous les fronts. Ce n'était pas seulement une histoire physique, mais quelqu'un qui pouvait assurer sur tous les domaines et tout le temps, qui était au top, qui faisait 36.000 choses, qui ne semblait jamais fatigué et qui ne semblait jamais finalement à court d'idées.

"Ça a été bien jusqu'à un certain point où tout a basculé dans le côté plus négatif"

[J'ai reçu du soutien.] J'étais assez fière parce que c'est toujours flatteur quand vous êtes suivie, quand on vous félicite, on vous soutient. J'avais vraiment l'impression d'avoir une communauté derrière moi, qui était aux aguets, qui était là en cas de coup de blues. Dans un premier temps, ça a été très, très positif. Ça a été bien jusqu'à un certain point où tout a basculé dans le côté plus négatif. J'ai posté une photo sur laquelle on pouvait voir mon ventre. Jusque là, j'avais eu des remarques très positives et tout à coup, ça a été vraiment très négatif. Suite à ma grossesse, j'avais quand même des vergetures que le sport n'a malheureusement pas pu effacer. Là, ça a été un déchaînement. Je n'avais plus aucune crédibilité en tant que 'fitgirl' puisque je n'étais pas une 'fitgirl'. Je n'avais pas cette image de 'fitgirl' avec le 'six pack' (abdominaux dessinés, ndlr), la peau lisse.

Sur le coup, je me suis vraiment posée des questions en me disant : 'Au final, qui je suis ?' Je ne suis pas la 'fitgirl' parce que je n'ai pas ce 'six pack', je n'étais pas non plus dans la catégorie des filles qui s'assument parce que je n'étais pas assez ronde, je n'étais pas assez fine pour être dans la catégorie 'fines'. Au final, je n'appartenais plus à aucune catégorie sur Instagram. [Cela a provoqué des commentaires haineux.] C'est passé de un ou deux à des dizaines, des vingtaines, sur ma messagerie privée ou en commentaire public. Jusque là, j'avais toujours essayé de véhiculer quelque chose de très positif et la première fois que cela vous arrive, vous êtes très démuni. J'étais très déprimée. Les mêmes efforts que j'avais faits la semaine précédente n'avaient plus aucune valeur pour ces personnes.

Je me suis complètement réfugiée dans ma famille pour essayer de me reprendre un peu. Encore une fois, complètement paradoxalement, je suis retournée sur les réseaux sociaux, sur un tout autre hashtag. J'ai plutôt embrassé le mouvement #BodyPositive où j'ai pu trouver des gens qui se trouvaient aussi sans étiquette et qui créaient un mouvement un petit peu marginal sur Instagram, de gens qui ne se retrouvaient plus dans les hashtags imposés par la société. Et qui proposaient une autre manière de vivre son image, son corps et qui donnaient justement la place à ces gens qui n'étaient ni spécialement maigres, ni spécialement musclés, ni spécialement ronds mais tout simplement eux-mêmes et qui avaient envie de partager leur parcours d'acceptation de soi.

Ce que je regrette [dans cette démarche sur Instagram], c'est de l'avoir fait bêtement, sans aucun recul et un peu en mode Bisounours. Je pense que pour plein de choses, les réseaux sociaux sont vraiment une très bonne chose, dans l'entraide, la recherche de motivation. Mais, on n'a pas le recul nécessaire ou assez d'estime de soi avant de poster ou avant de s'inscrire dans une espèce de communauté."

>> Retrouvez l'intégralité du témoignage de Céline

L'avis de Michaël Stora, psychologue et psychanalyste, auteur de Les écrans, ça rend accro... (Hachette littérature) :

"Nous sommes dans une société où les images sont omniprésentes depuis l'avènement de la télévision. Nous avions un rapport quasiment fétichiste, un rapport quasiment sacré à la télévision. Nous étions tous renvoyés au fait de ne pas être toujours à l'image de ce que la société souhaitait. Ça a été le relais aussi de la publicité, de certaines revues. (...) Facebook, en arrivant est venu rompre (...) cette idée d'être un soi authentique. On a vu, étonnamment en France, qui était plutôt un pays assez voyeur, à quel point nous avions tous besoin d'avoir une sorte d'exhibitionnisme affiché. (...) On a vu qu'il y avait des sortes de dérives, qui étaient celles d'un soi très idéalisé.

C'est là où l'idée de réparation pouvait exister. On a besoin d'être valorisé mais très rapidement on s'est rendu compte que pour certains ça devenait une course aux likes effrénée qui venait réparer des fragilités narcissiques avec le risque d'avoir l'audimat qui baisse dramatiquement. D'autres qui avaient peut-être peur, étaient un peu inhibés, un peu timides, osaient enfin s'exposer. Là, ça pouvait avoir une dimension de réparation presque auto-thérapeutique. (...) Notre société s'est vraiment 'narcissisée'. Les réseaux sociaux ont amplifié ce phénomène et des études ont montré que lorsque l'on va un peu trop sur les réseaux sociaux et que l'on va soi-même pas forcément très bien, très rapidement, on peut vraiment déprimer.