"Ce n’est pas le wingsuit qui est dangereux, c’est la pratique qu’on en fait"

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Un homme s'est tué en wingsuit lundi à Chamonix
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Caroline Politi , modifié à
Après l’accident d’un wingsuiter qui s’est écrasé sur un immeuble de Chamonix, la ville a suspendu temporairement la pratique.

L’accident est aussi spectaculaire que dramatique. Lundi, un wingsuiter russe s’est écrasé sur la façade d’un immeuble inoccupé de Chamonix, à quelques pâtés de maisons du centre-ville. Une enquête est en cours pour déterminer les causes du drame. "Pour l’instant, tout ce dont on est sûr, c’est qu’il ne s’agit pas d’un problème technique au moment du déploiement du parachute", indique à Europe 1, le capitaine Patrice Ribes, adjoint au commandant du peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM) de Chamonix. La victime était, semble-t-il, un pratiquant expérimenté de ce sport extrême qui consiste à se jeter dans le vide – depuis un avion ou une falaise – avec une combinaison équipée "d’ailes" pour voler le plus longtemps possible avant d’ouvrir, au dernier moment, son parachute.

Depuis le début de l’année, huit wingsuiters se sont tués en France, dont cinq à Chamonix. Mais c’est la première fois qu’un accident survient en pleine ville. Pour réfléchir à un meilleur encadrement de la pratique, la municipalité a décidé de suspendre temporairement les autorisations de voler. "C’est un sport par essence dangereux mais il est nécessaire d’éviter la multiplication des accidents et surtout la mise en danger des tiers", précise François-Régis Bouquin, le directeur de cabinet du maire. Parmi les pistes de réflexion engagées, la question des lignes de vol et des zones d’atterrissage. Une interdiction totale de survoler le centre-ville est également envisagée. "Nous sommes bien conscients que le risque zéro n’existe pas", reconnaît-il malgré tout.

A l’origine, le wingsuit, une combinaison pour améliorer la sécurité. A l’origine pourtant, la combinaison a été conçue pour améliorer la sécurité des best-jumpers, ces parachutistes qui s’élancent au plus près des falaises. Son aérodynamisme permettait aux adeptes de la discipline de s’éloigner des parois pour faciliter l’atterrissage. "Mais avec l’évolution de la pratique et les progrès techniques, certains jumpers ont commencé à jouer avec les reliefs", explique le capitaine du PGHM de Chamonix. C’est, ce que les amateurs appellent, le proximity flying. "Ce n’est qu’un aspect de la discipline mais il tend à se développer", confirme Carl Chevalerias, initiateur de wingsuit.

Cette discipline recouvre des réalités très variées. Certains adeptes s’élancent d’un avion alors que d’autres prennent leur envol du haut d’une falaise ou d’un sommet. "Plus le temps de vol est court, plus il faut être réactif. Surtout lorsqu’on se heurte à un problème technique", poursuit l’initiateur. D’autant que les wingsuiters, contrairement aux parapentistes, sautent sans parachute de secours et sont engoncés dans une combinaison. "On n’a pas toute notre mobilité. S’il y a un souci avec notre parachute, il faut que nous dézippions les manches, ce n’est pas très pratique." Selon le capitaine Patrice Ribes, l’essentiel des accidents reste néanmoins lié à des erreurs humaines.

Reste à savoir si ce sport est plus risqué que d’autres disciplines dites "extrêmes". "Ce n’est pas le wingsuit qui est dangereux, c’est la pratique qu’on en fait", assure Carl Chevalerias. Dans l’absolu, le nombre de décès dans cette activité est relativement faible.Mais qu’en est-il proportionnellement ? Le nombre d’adeptes est relativement mais il n’existe pas de chiffres précis : aucune fédération française de wingsuit ne recense les pratiquants. "Certains sports sont tout aussi dangereux", estime le capitaine Ribes."Un pneu qui éclate sur une voiture lancée pleine vitesse sur un circuit automobile peut, par exemple, avoir des conséquences dramatiques."

Chamonix, capitale française du wingsuit. L’arrêté pris par Chamonix n’a pas vocation à être définitif. Il doit avant tout permettre aux acteurs du secteur d’organiser une discipline en pleine essor. Depuis quelques années, la ville attire de nombreux adeptes, français et étrangers. "On est passé de quelques dizaines de sauts il y a quatre ou cinq ans à plusieurs centaines, voire milliers aujourd’hui", note le directeur de cabinet du maire. Les deux principaux spots, l’aiguille du Midi et le col du Brévant sont accessibles en remontée mécaniques. "D’ordinaire, les wingsuiters sont obligés de marcher trois, quatre heures pour accéder au site. Là, ils peuvent sauter en quelques minutes et même enchaîner les sauts. Ce qui évidemment augmente le risque d’accident", précise le capitaine du PGHM.

" On ne peut pas continuer à avoir une pratique de plus en plus anarchique "

En 2012, après un accident mortel, Chamonix avait déjà suspendu la pratique pendant quelques mois. Plusieurs règles avaient alors été prises pour améliorer la sécurité: chaque wingsuiter doit désormais se signaler auprès du PGHM et les périodes de saut ont été réduites pour éviter des accidents avec les parapentes. Les heures les plus chaudes de la journée – celle qui attire donc le plus de parapentistes en raison des courants thermiques –  leur sont désormais interdites. Les wingsuiters sont autorisés à sauter avant dix heures du matin et après 15 heures. Les règles pourraient-elles être durcies ? "On attend des propositions concrètes. Tout ce dont on est sûr, c’est qu’on ne peut pas continuer à avoir une pratique de plus en plus anarchique", conclut François-Régis Bouquin.