Bourgogne : qui se cache derrière le "commando au marteau" d'ultradroite ?

Le "CDPPF" a signé son acte de naissance le 2 novembre, en revendiquant plusieurs attaques au marteau en Bourgogne.
Le "CDPPF" a signé son acte de naissance le 2 novembre, en revendiquant plusieurs attaques au marteau en Bourgogne. © Capture d'écran DailyMotion/"Le Bien Public"
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Mathilde Belin
Un commando anonyme a revendiqué la paternité de plusieurs attaques au marteau en Bourgogne et exige désormais la libération de militants d’ultradroite.
ON DÉCRYPTE

C’est un commando mystérieux à bien des égards. Le "commando de défense du peuple et de la patrie française" (CDPPF), comme il se baptise lui-même, a signé son acte de naissance jeudi dernier en revendiquant une série d’attaques au marteau qui ont eu lieu en septembre à Dijon et à Chalon-sur-Saône. Depuis mardi, le groupuscule anonyme réclame aussi la libération de neuf personnes d’ultradroite.

Un commando sympathisant de l’ultradroite

Il dit vouloir lutter contre l’islamisation de la France et signe ses communiqués d’un "Vive la France". Inconnu jusqu’à maintenant, le "commando de défense du peuple et de la patrie française" s’est manifesté jeudi dernier pour la première fois auprès du Bien Public et du Journal de Saône-et-Loire.

Une sympathie pour l’ultradroite. Les deux journaux de Bourgogne ont été destinataires d’un enregistrement audio puis de mails, dans lesquels le commando revendique plusieurs attaques au marteau qui ont eu lieu dans la région en septembre. Ponctués de propos racistes et menaçants, les mails exigent aussi la libération de neuf militants d’ultradroite, supposant une certaine sympathie pour cette mouvance. Le groupe dit aussi son "admiration pour Anders Behring Breivik", l’ultranationaliste auteur d’une tuerie qui a fait 77 morts en Norvège en 2011.

Un groupe "dématérialisé". S’il est impossible de savoir à ce jour qui se cache derrière le CDPPF - qui a pris soin d’utiliser des adresses mails créées pour l’occasion -, le commando indique dans son enregistrement audio que le "mouvement est organisé de façon totalement dématérialisé". "Ils disent qu’ils sont quatre : deux de Dijon, un près de Chalon-sur-Saône, et un autre de Franche-Comté", détaille à Europe1.fr la chef des informations du Journal de Saône-et-Loire, Emmanuelle Bouland.

Des attaques au marteau en Bourgogne

Dans son message audio lu par une voix synthétique et transmis jeudi dernier, le groupe affirme que les attaques "sur le site de l'université de Bourgogne (...) au cœur de l'un des symboles du multiculturalisme, marquent l'acte de naissance de notre mouvement". À ce jour, le commando a revendiqué au total six attaques, principalement commises au marteau, qui ont eu lieu à Dijon et à Chalon-sur-Saône entre le 15 et le 27 septembre.

Des attaques de rodage. Le 15 septembre, deux femmes d’origine européenne sont attaquées à coups de marteau à Chalon-sur-Saône. L’agresseur s’enfuit aux cris d’"Allah Akbar". Le commando a d'abord contesté avoir commis ces attaques auprès du Journal de Saône-et-Loire, avant finalement de les revendiquer, expliquant le cri de l'agresseur par la nécessité "d'aiguiller les enquêteurs sur une fausse piste". "Ces attaques qui visaient deux femmes blanches étaient une sorte de mise à l'épreuve pour notre homme ainsi qu'un test de nos techniques de fuite en milieu urbain densément peuplé et sécurisé", indique le groupuscule.

Des attaques racistes. Trois autres attaques ont eu lieu le 26 septembre, près de l’université de Dijon : l’agresseur, au visage dissimulé, s’en prend cette fois-ci à une femme voilée, un livreur d’origine africaine et une troisième personne. L’agresseur parvient de nouveau à fuir. Dans sa revendication, le commando justifie cet acte par sa volonté de vouloir lutter contre "l’islamisation de notre pays". "Malheureusement, l'inexpérience de notre agent a fait que (…) il n'a pas pu faire mieux que les blesser légèrement", est-il dit dans l’enregistrement audio.

Par ailleurs, le groupuscule fait part de son "intention de passer une nouvelle fois à l’acte", d’après le Bien Public, et a également menacé de mort des membres de l’association SOS Racisme, qui avait annoncé sa volonté de saisir le procureur de la République.

 

Le Bien Public menacé à son tour
La rédaction du Bien Public fait également l’objet de menaces de la part du CDPPF. Le mail envoyé mardi au journal "était assorti de menaces : nous avions un temps donné pour publier leurs revendications", indique à Europe1.fr le chef des informations du Bien Public Dijon, Jean-Philippe Guillot. Ce à quoi la rédaction n’a pas donné suite. "Puis on a eu d’autres messages, encore plus menaçants à notre égard", poursuit-il. La rédaction a ainsi fait appel à une société de sécurité privée. "On prend la menace au sérieux, la police et le parquet aussi", explique Jean-Philippe Guillot. De son côté, le Journal de Saône-et-Loire assure n'avoir pas fait l'objet d'insultes ou de menaces.

 

Les exigences du commando

Outre ses revendications, le commando exige depuis mardi la libération de neuf personnes qu’il présente comme des "collègues". Huit d’entre elles, issues de la mouvance d’ultra droite, ont été arrêtées et mises en examen en octobre dans l’enquête sur un projet d’actions violentes visant des mosquées et des personnalités politiques. Ce collectif agissait sous la coupe d’un chef, Logan N., ancien militant de l’organisation royaliste Action française Provence, arrêté en juin. 

Un match de L1 menacé. Le CDPPF demande aussi la libération de Logan N., ainsi que "l’abandon des poursuites" à l’encontre de ces neuf personnes. "Sans quoi, nous frapperons le prochain grand événement ayant lieu à Dijon, à savoir le match" de Ligue 1 Dijon-Troyes, prévu le 18 novembre, menace le commando.

 

Une revendication opportuniste ? 

Les enquêteurs cherchent encore à vérifier l’authenticité des mails de revendications. "Ce groupuscule n'est ni connu localement, ni nationalement", a stipulé le procureur de la République de Dijon Éric Mathais. Selon lui, ils contiennent "des éléments précis, dont certains sont conformes à la réalité". "On s’est rendu compte que les détails donnés (des agressions) étaient assez troublants, car ils n’avaient jamais été communiqués, ni dans les médias, ni par la police. C’est ce qui a donné du crédit à ce message", explique le chef des informations du Bien Public Dijon.

Une revendication "un peu étonnante". Toutefois, le parquet antiterroriste, informé de la situation, n’a pas été saisi. Mercredi, le parquet de Dijon s’est dessaisi de l’enquête au profit de celui de Chalon-sur-Saône afin de "maximiser les moyens" d’enquête. D'après le procureur chalonnais, il existe "potentiellement" des liens entre les agressions de Dijon et de Chalon-sur-Saône. Mais la prudence est de mise : "cette revendication semble un peu étonnante puisqu’elle intervient plusieurs semaines après les faits", a noté Éric Mathais. Si le doute persiste sur la nature fantaisiste, opportuniste ou réelle de ces revendications, il n’en reste pas moins que le CDPPF peut être poursuivi pour incitation à la haine raciale et menaces de mort.