Béatrice, 47 ans : "Ma mère a accouché sept fois sous X et on l'a tous retrouvée"

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Anaïs Huet , modifié à
Après avoir cherché à découvrir son identité pendant des années, Béatrice a finalement retrouvé sa mère biologique. Celle-ci lui a fermé la porte. Un récit aussi douloureux que plein d'espoir, qu'elle a raconté à Olivier Delacroix, mercredi sur Europe 1.
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>> Pendant toute sa vie, Béatrice, née sous X, a cherché à découvrir l'identité de sa mère biologique. Grâce à un concours de circonstances, elle a fini par obtenir son nom et son numéro de téléphone. Mais rien ne s'est passé comme elle l'avait imaginé. Si elle est tombée sur une mère hostile à leurs retrouvailles, elle a pu connaître ses frères et sœurs qui, comme elle, étaient nés sous X. Elle a raconté son histoire à Olivier Delacroix, mercredi sur Europe 1.

"J'ai toujours su que j'étais une enfant née sous X. Je ne sais pas quand on me l'a appris, mais j'ai le sentiment de l'avoir toujours su. J'ai focalisé mon énergie sur la recherche de mes origines. Toute ma vie a été dirigée vers ça.

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J'ai toujours cherché des excuses à l'abandon

Toute petite, j'écrivais des lettres en cachette de mes parents adoptifs. Je les confiais à des copines pour qu'elles les envoient. C'était une quête essentielle pour moi. C'est difficile pour des gens qui savent qui sont leur père et leur mère d'imaginer ce qu'on peut ressentir. C'est comme se regarder dans une glace et ne pas se reconnaître. On se sent flottant, perdu, dans ce qu'on doit être, dans ce vers quoi on doit aller, de quel projet on fait partie. On se sent en décalage permanent. On a du mal à se trouver soi, sa personnalité, ses envies.

On cherche des explications, des raisons à l'abandon. On croit qu'on est mal-aimables, que c'est peut-être pour ça que notre mère nous a laissés tomber. On a peut-être eu un regard ou quelque chose à la naissance qui lui a déplu, qui a cassé le lien. On pense aussi qu'on est peut-être le fruit de quelque chose d'horrible. Je ressentais beaucoup de colère, du fait qu'elle ne revienne pas me chercher. Mais j'ai toujours cherché des excuses à l'abandon.

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Ça faisait un moment que je cherchais ma mère. Mon dossier d'ADE (Aide Sociale à l'Enfance) était coincé à Lyon, je l'ai fait déplacer en région parisienne. Dans le même temps, je suis passée sur une émission de télévision, La Grande famille, sur Canal+. Le lendemain, on m'a appelée pour me permettre d'accéder à mon dossier. Je suis tombée sur un jeune homme qui a laissé mon dossier sur son bureau, et qui est sorti en me laissant le consulter toute seule. Et pour une fois, il n'y avait pas de blanco dessus. Les éléments identifiants n'étaient pas cachés. J'avais donc le nom de ma mère.

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On n'a pas eu d'échange. Elle m'a dit qu'elle avait une casserole sur le feu, et qu'elle devait raccrocher

Ça faisait trop longtemps que j'attendais. En rentrant chez moi le soir, je l'ai cherchée sur le Minitel. Je l'ai trouvée immédiatement, j'ai eu du bol. Elle n'était pas mariée. Elle avait un nom un peu particulier donc facilement reconnaissable. Je l'ai appelée directement. Je lui ai dit : 'Je suis Véronique', mon prénom de naissance. 'Je suis née le 5 décembre 1970, ça doit vous rappeler quelque chose.' Elle m'a répondu : 'Je ne suis pas votre mère'. C'était l'aveu le plus transparent, mais de fait, elle était bien ma mère.

On n'a pas eu d'échange. Elle m'a dit qu'elle avait une casserole sur le feu, et qu'elle devait raccrocher. C'est ce qu'elle a fait. Je savais que c'était elle. J'étais partagée : j'avais réussi à lui mettre la main dessus et à entendre sa voix. C'était déjà colossal. C'était plus de 20 ans de ma vie qui trouvaient enfin un accomplissement. Mais c'était aussi une immense déception de ne pas avoir su l'intéresser. Je culpabilisais en me disant : 'je ne suis même pas capable de l'intéresser quand je la retrouve. Elle n'a même pas envie de passer dix minutes avec moi au téléphone'.

Là, je ne lui trouvais plus d'excuses. J'étais en colère. L'histoire n'était pas celle que je m'étais faite dans ma tête. J'imaginais que c'était une jeune femme qui m'avait abandonnée parce qu'elle n'avait pas d'autres solutions. Mais en fait, à l'époque, elle avait 43 ans. On peut imaginer qu'à cet âge, on a un peu plus de maturité et de stabilité dans sa vie. Surtout, en la recontactant 20 ans plus tard, j'imaginais que les enjeux n'étaient plus les mêmes. Et là, j'ai vraiment très mal vécu qu'elle n'ait pas voulu faire un pas vers moi. Je ne venais plus rien menacer, elle n'était pas mariée.

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Il s'est avéré que cette personne croisée sur un forum était mon frère aîné

J'ai su que j'avais des frères et sœurs. J'ai rencontré l'une de mes sœurs assez rapidement, mais la relation ne s'est pas particulièrement nouée. Une dizaine d'années plus tard, alors que j'avais des problèmes de santé, j'ai renoué avec cette sœur.

En parallèle, je traînais encore sur les forums de personnes nées sous X pour donner un coup de main de temps en temps, et là j'ai lu un message d'un homme qui a fait tilt. Il avait contacté sa mère biologique, et il racontait qu'elle avait opposé un refus assez brutal en lui disant : 'je ne suis pas votre mère'. Je me suis dit 'Tiens, c'est drôle, elle a prononcé la même phrase que ma mère il y a 20 ans'. Je l'ai interrogé pour savoir s'il savait des choses sur sa mère biologique. Il m'a dit qu'elle avait les yeux bleus et qu'elle était âgée d'à peu près 80 ans, qu'elle avait d'autres filles. On a vu que l'on était nés au même endroit, qu'on avait le même groupe sanguin. Il s'est avéré que cette personne croisée sur un forum était mon frère aîné.

On a fini par aller voir notre mère ensemble. Elle était toujours aussi stoïque et droite dans ses bottes. Lorsqu'on lui a posé la question de savoir si l'on devait chercher d'autres enfants – car on commençait à être un petit peu nombreux – elle nous a dit : 'Oui, je ne me rappelle plus mais vous n'avez qu'à chercher'. J'ai finalement retrouvé quatre sœurs et un frère au total.

Ces lois qui nous interdisent l'accès à nos origines n'ont plus aucun sens. On peut avoir des analyses ADN et avoir accès à des gens qui ont les mêmes origines que nous. L'anonymat ne protège personne, j'en suis une preuve vivante. Ma mère a accouché sept fois sous X et on l'a tous retrouvée. À l'heure d'Internet, du monde ouvert, de la circulation des informations, c'est impossible de promettre un accouchement sous X à une femme. Et nous, enfants, ça nous plombe. Le secret, le mensonge, ça tue une vie.