Melody : un face à face mère porteuse/mère commanditaire

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CINÉMA - Dans son dernier film, le réalisateur belge Bernard Bellefroid s'attaque à un sujet clivant : la gestation pour autrui.
INTERVIEW

"J'aime les sujets casse-gueule", plaisante Bernard Bellefroid. De l'audace, il en fallait pour faire un film autour du sujet ultra-sensible de la gestation pour autrui (GPA). Dans Melody qui sort mercredi en France, le réalisateur belge raconte sans parti pris, ni angélisme l'histoire d'une jeune femme modeste qui, pour réaliser son rêve, en vient à porter l'enfant d'une autre. Une décision qui va bouleverser sa vie et celle de la mère "commanditaire". Un thème inédit au cinéma qui valait bien une rencontre, entre deux Thalys et deux cigarettes, avec le cinéaste.

# LES PERSONNAGES

Melody. Modeste coiffeuse à domicile, elle rêve d'ouvrir son propre salon mais arrive à peine à joindre les deux bouts. Détail qui compte dans une vie : elle est née sous X.

Emily. Cette riche femme d'affaires britannique est devenue stérile. Malgré la désapprobation de son frère, elle est prête à tout pour avoir un enfant.

# LE PITCH

Contre une importante somme d'argent, Melody accepte de porter le bébé d'Emily.

# LA GENÈSE DU FILM : UN FAIT DIVERS

Comment Bernard Bellefroid a-t-il eu l'idée et l'envie de faire un film sur une mère porteuse ? "Un des points de départ est un fait divers tragique très médiatisé qui a eu lieu en Belgique il y a quelques années", raconte le réalisateur. En 2004, une jeune Belge avait, en effet, accepté de porter l'enfant d'un couple de néerlandais avant de faire du chantage une fois sa grossesse entamée. La jeune femme avait ensuite cherché à vendre le bébé à un couple plus offrant. La petite fille née en février 2005 avait finalement été placée. "C'est une sordide histoire qui n'a rien à voir avec mon film mais en même temps, mon film aussi est une histoire de GPA", commente Bernard Bellefroid.

# UN SUJET CLIVANT ?

Bernard Bellefroid n'en fait pas mystère : il a eu du mal à monter Melody, des problèmes de financement qu'il met sur le compte du sujet encore tabou de la GPA. "On est arrivé à une très mauvaise période pour le financement du film en France", explique-t-il en faisant allusion au débat sur le mariage pour tous. "Des gens nous ont reprochés de ne pas être assez militant dans un sens ou dans l'autre mais c'est quelque chose que je revendique car c'est un sujet d'une complexité hallucinante", ajoute le réalisateur. En tant que Belge, ces réticences l'on étonné : "en Belgique, on a des rapports plutôt pacifiés avec ces questions", relève-t-il.

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DEUX FEMMES ENTRE LE NOBLE ET L'IGNOBLE

Dans le film, il n'y a pas "la bonne" et "la méchante", une absence de manichéisme voulue par le réalisateur : "c'est un film dans 'la zone grise' comme disait Primo Levi. Cette zone où l'on peut tous devenir des monstres", analyse-t-il. "Ces deux personnages sont à la fois très nobles et très ignobles. Ils ne sont ni blancs, ni noirs, ce sont des personnages très complexes, humains", résume-t-il.

Pour ces deux femmes, la souffrance est différente mais toutes deux sont face à un dilemme : "est-ce que la souffrance de ne pas pouvoir avoir d'enfant ou le fait d'avoir de l'argent ouvre un droit ?", interroge Bernard Bellefroid. "Et en face : est-ce qu'être pauvre donne le droit de tout faire ?", ajoute-t-il.

FRANCE/GRANDE-BRETAGNE : DES TABOUS DOS A DOS

Melody née sous X en France et Emily la Britannique, deux femmes, deux pays et deux législations différentes. Un face à face qui ne doit évidemment rien au hasard : "je trouvais intéressant de mettre deux empires, avec chacun leurs tabous et leurs libéralités, face à face", pointe le réalisateur. L'Angleterre est, en effet, l'un des seuls pays d'Europe où la GPA existe, dans des conditions assez strictes tandis que l'accouchement sous X n'existe que dans quelques pays dans le monde, dont la France.

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LA PRÉCARITÉ DE LA JEUNESSE EUROPÉENNE EN QUESTION

Dans le film, lorsqu'une de ses connaissances s'étonne de voir Melody envisager de devenir mère porteuse, l'intéressée a une réponse glaçante : "c'est mieux que d'être pauvre". C'est l'autre sujet du film : la précarité des jeunes de 25-30 ans dans une Europe en austérité. "Quand il n'y a plus de travail et que ce n'est même pas possible de créer son propre emploi, il reste la substance organique : vendre ses reins, ses ovocytes…", analyse le réalisateur avant d'ajouter : "si on veut condamner la GPA, alors il faut commencer par condamner la misère. On ne peut pas penser le film en dehors de cela".

GPA "ETHIQUE" OU "BABY BUSINESS" ?

Certaines personnalités comme la féministe Elisabeth Badinter estiment que la GPA peut être acceptable si elle est encadrée et "éthique". Qu'en pense Bernard Bellefroid ? S'il juge possible "quelques cas de GPA éthiques", il estime qu'il ne faut pas être "être dupe" : "derrière, il y a l'extension sans limites du marché, un 'baby business'. Or, les femmes ne sont pas des fours à pain", met-il en garde. Et le réalisateur de qualifier d'"épouvantable" la sortie de Pierré Bergé en 2012 ("Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l'usine, quelle différence "NDLR).

Lorsqu'il y a GPA, y a t-il abandon de l'enfant ou non ? Dans le film, la mère porteuse et la mère commanditaire se disputent à ce sujet. "Pour moi, c'est le point nodal d'une éventuelle GPA éthique mais ce n'est pas à moi de donner la réponse, c'est à la société de la trouver", estime le réalisateur.

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PAS QU'UN FILM SUR LA GPA

"On ne peut réduire Melody à un film sur la GPA, ce serait vraiment un worst case movie", prévient le réalisateur. "Le sujet profond est ailleurs : c'est une rencontre entre une fille qui cherche une mère et une mère qui cherche une fille", fait-il valoir tout en admettant : "en même temps, la GPA n'est pas non plus un prétexte dans le film : le sujet est traité et il invite à réfléchir… sans donner de leçons".

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