Attentat déjoué à Paris : le parcours sinueux de Sarah H.

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Caroline Politi , modifié à
La jeune femme, âgée de 23 ans, a été interpellée à Boussy-Saint-Antoine, dans l’Essonne, après avoir poignardé un agent de la DGSI en planque. 

La scène n’a duré qu’une fraction de seconde. Jeudi 8 septembre, vers 19 heures, Sarah H., s’empare d’un couteau de cuisine et court à toute allure vers un homme assis dans une camionnette stationnée au pied d’un immeuble de Boussy-Saint-Antoine. La lame, d’une quinzaine de centimètres, le blesse à l’épaule. "C’est allé très vite, je me suis vue faire ça, ça m’a fait bizarre", a confié la jeune femme de 23 ans lors de sa garde à vue dans les locaux de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), selon les PV d’audition exhumés par Le Monde. "Le monsieur n’a pas vu venir, il a reculé, il a fait ‘oh’, il a sorti son arme et je suis partie en courant."

Sarah H. assure qu’elle ne savait pas que la victime était un agent des services de renseignement qui planquait en bas de l’immeuble. Ce n’est qu’en voyant son arme qu’elle a compris. Elle a tenté de prendre la fuite aux cris de "Allah Akbar" mais a été rapidement rattrapée. A l’origine pourtant, la DGSI ne venait pas pour elle. Elle ne savait d’ailleurs même pas que la jeune femme, née à Lisieux en Normandie mais domiciliée à Cogolin, dans le Var, se trouvait dans la région. Les agents des renseignements avaient eu un "tuyau" : Inès M., soupçonnée d’avoir orchestré l’attentat raté aux bonbonnes de gaz devant Notre-Dame-de-Paris, aurait trouvé refuge chez une femme de 39 ans, Amel S., résidant dans une cité de Boussy-Saint-Antoine. Une semaine qu’ils étaient aux trousses de cette jeune femme radicalisée et décrite comme particulièrement dangereuse.

Une radicalisation très rapide. Sa complice, Sarah H., femme de ménage dans un hôpital psychiatrique, n’est pas une inconnue des services de renseignements. Elle fait l’objet d’une fiche "S" depuis qu’elle a tenté de rallier la Syrie, en mars 2015. Elle voulait alors rejoindre l’homme avec lequel elle était fiancée, un Nîmois ayant rallié Daech. Signalée par sa mère, elle avait été interpellée à Istanbul après avoir été localisée grâce à sa tablette. Son passeport lui avait alors été retiré. "Sa radicalisation a été très rapide", affirme à Europe1.fr Me Apolin Pepiezep, qui l’a assistée lors de son audition à la DGSI.

La jeune femme n’a pourtant pas baigné dans un islamisme radical. "Elle vient d’une famille catholique, pas particulièrement pratiquante", poursuit l’avocat. Elle a grandi dans le Sud de la France avec sa mère et sa sœur. Elle a été reconnue par son père adoptif, originaire du Gabon, mais celui-ci n’a pas été très présent. Sarah H., se serait radicalisée il y a deux ans environ, après avoir tenté de renouer avec son père biologique, un Marocain qu’elle n’a jamais connu. "Dès qu’on abordait le sujet de la famille, elle pleurait. Le mal-être était manifeste. Elle n’a connu que son père adoptif et s’est senti rejetée par son père biologique qui n’a jamais voulu entrer en contact avec elle", affirme l’avocat.

"Ce qui importait pour elle, c’était de faire partie de quelque chose". En garde à vue, Sarah H. indique avoir été mise en relation avec Inès M. et Amel S. par l’entremise de Rachid Kessim. Ce Roannais, bien connu des services de renseignements, est soupçonné d’avoir téléguidé depuis la Syrie plusieurs attaques terroristes en France. Son nom apparaît dans l'enquête sur l’assassinat du couple de policiers de Magnanville ou de l’attaque de l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray. Or, lors de l’arrestation de la jeune femme, les enquêteurs notent des connexions entre ces affaires.

Sarah H. avait projeté de se marier à Larossi Abballa, le terroriste de Magnanville, puis, à sa mort, à Adel K, l’un des deux assassins du prêtre, indique le procureur de Paris, lors d’une conférence de presse après le coup de filet. Au moment de son arrestation, elle était la "promise" à Mohamed Lamine A., connu des services de renseignement pour son islamisme radical, et arrêté en même temps qu’elle. "Ce qui importait pour elle c’était de faire partie de quelque chose", note Me Apolin Pepiezep. Et de préciser: "c’est une fille qui était très mal dans sa peau, très influençable."

Attaque de la mairie de Cogolin. Selon les dires de Sarah H. en garde à vue, Rachid Kessim lui avait d'abord demandé d’attaquer la mairie de Cogolin. Après avoir effectué des repérages, elle renonce. Le djihadiste l’aurait alors mise en relation avec Inès M. et Amel S.. Toutes deux veulent perpétrer une attaque terroriste dans la région parisienne, sans que le projet ne soit clairement défini. Le soir de son arrivée, elles décident d’attaquer la gare de Boussy-Saint-Léger, après avoir appris qu’il y avait beaucoup de "flics", explique la jeune femme. Mais ses deux complices doutent de sa loyauté, elles craignent qu’elle soit un agent de la DGSI infiltré. Pour leur prouver sa détermination, c'est donc à elle que revient la tâche d'attaquer le conducteur de la camionnette - qui s’avèrera être l’agent de la DGSI - pour lui voler son véhicule. "En fait ce que je voulais, c’était le martyre", aurait-elle confié aux enquêteurs de la DGSI, d’après les PV exhumés par Le Monde. "Je voulais que l’on me tire dessus. Ce que je devais faire moi, c’était tuer ou blesser quelqu’un et continuer à marcher jusqu’à ce que la police arrive ; et quand j’aurais levé la main vers un policier, il m’aurait tiré dessus."