Les écoles du plateau de Saclay font face à un nombre importants de victimes d'agressions sexuelles et de viols. (Illustration) 2:55
  • Copié
Louise Sallé, édité par Wassila Belhacine , modifié à
Les écoles du plateau de Saclay (Centrale-Supélec, Polytechnique, ENS, HEC…), au sud de Paris, font face à des chiffres édifiants dénombrant les agressions sexuelles et les viols commis sur leurs campus. En réaction, les étudiants et les administrations s’organisent pour mieux prévenir ces violences et accompagner les victimes.
REPORTAGE

Grâce à des enquêtes internes - récemment menées par Polytechnique et Centrale-Supélec -, on connaît désormais l’ampleur des violences sexuelles commises sur le plateau de Saclay. Ainsi, à Polytechnique, une étudiante sur quatre a par exemple été victime d'une agression sexuelle durant sa scolarité. 

"Je suis arrivée très ivre à la soirée, et un garçon de ma promotion m'a trouvée seule", commence Léa*, la vingtaine, et ancienne élève de Polytechnique. "Il m’a isolée et m'a fait boire encore plus. Et puis il m'a embrassé pendant super longtemps, alors que j'étais trop ivre pour réagir ou donner un vrai consentement...", poursuit la jeune femme. "Même si mes yeux disaient non, je n'arrivais pas à verbaliser ce non". Léa* a récemment terminé Polytechnique. Mais le traumatisme, lui, est resté. 

Des volontaires pour surveiller les événements festifs 

Aujourd’hui, les étudiants sont déterminés à ce que ce genre de situation ne se reproduise plus. D'eux-mêmes, donc, ils s’organisent. À Centrale par exemple, certains se portent volontaires depuis cet hiver pour surveiller les événements festifs et intervenir, en cas de besoin. On les appelle les "staffeurs" : ce sont des membres d’une association de l’école, Ça pèse, engagée contre les violences sexistes et sexuelles. Ce jeudi soir, à 23 heures, c’est au tour de Gauthier d’endosser ce rôle pour la soirée de l’école. Il attend sagement à l’écart de la salle, brassard blanc bien en vue sur son pull bordeaux. 

Il se tient prêt à écouter toute personne qui souhaite témoigner d’une agression sexuelle, ou protéger toute étudiante qui se sent en danger. "Là, on se trouve un peu à l'écart de la scène principale, dans un endroit plutôt calme", décrit-il. "Les gens peuvent venir nous voir sans aucun problème, et se confier à nous."

Un peu plus tard, Gauthier prend la relève d’un autre poste de "staffeur" : ce poste s’intitule la "volante". Il se faufile parmi les fêtards, et ses yeux ne quittent jamais la piste de danse. "C'est au niveau de la scène principale qu’il y a le plus de monde", précise-t-il. "C'est donc l'endroit où l’on va être le plus présent, pour surveiller que tout se passe bien et qu'il n'y a pas de comportements anormaux." Gauthier effectue ce travail bénévolement. Et s’impose une règle : pas d’alcool pendant la soirée. 

Rédaction d'une charte par les étudiants de Centrale-Supélec

Mais les étudiants de Centrale-Supélec ne font pas exception. Des réunions inter-écoles s’organisent en ce moment entre les associations des différents établissements du plateau de Saclay, pour que tous adoptent une charte commune, avec des mesures très concrètes à appliquer comme ces "staffeurs" en soirée.

Pour les étudiants rédacteurs de la charte, il est très important d’harmoniser toutes les initiatives qui se mettent en place. "On a de nombreuses fêtes en commun, donc c’est pertinent de déployer les mêmes dispositifs", explique Clémence, étudiante à Centrale, intégrée au groupe de rédaction du document. "C’est aussi pour pousser certains établissements qui n’avancent pas très vite pour instaurer de nouvelles mesures", poursuit-elle. 

Vers une convention entre la justice et les grandes écoles du plateau de Saclay

Les campus se transforment également grâce aux directions d’écoles, prêtes à travailler main dans la main avec la justice. La procureure d’Évry, Caroline Nisand, est par exemple intervenue à Centrale-Supélec cet automne pour expliquer, devant un amphithéâtre d’élèves de première année, ce qu’est un viol, ce qu’est une agression sexuelle, quelles sont les peines encourues et comment porter plainte.

Elle aimerait répéter cette opération chaque année et se rapprocher des campus pour accélérer les procédures d’enquêtes : "J'envisage de formaliser une convention avec les grandes écoles du plateau de Saclay, pour formaliser la transmission des informations et des signalements venus des établissements", annonce-t-elle au micro d’Europe 1. 

"La situation du plateau de Saclay est particulière, on a quand même un regroupement important d'écoles, ce qui mérite d'être pris en compte de façon spécifique par la justice", souligne-t-elle. Depuis cet hiver, les plaintes affluent sur son bureau et c’est tout nouveau. "La loi du silence a visiblement été battue en brèche et c’est une bonne chose", reprend la procureure d’Évry.

"Renforcer les moyens pour libérer la parole"

Les directions des écoles savent qu'elles ont un rôle à jouer dans la libération de la parole des victimes. À Polytechnique, par exemple, cela fait peu de temps que ce n’est plus un militaire qui se charge d’écouter les victimes. François Bouchet, directeur général de l’établissement, admet qu’il faut agir différemment.

"Les victimes préféraient s'ouvrir à leur entourage proche plutôt qu'à quelque chose qui est perçu comme une émanation de la hiérarchie, de la direction", concède-t-il. "Moins d’un cas sur deux déclaré dans l’enquête anonyme avait été porté à notre connaissance. Suite à ça, on se dit qu'il faut vraiment renforcer les moyens pour libérer la parole, en recourant peut-être à des dispositifs d’écoute externes", déclare François Boucher.

Les enquêtes révélant l’ampleur des agressions sexuelles ont donc agi comme un électrochoc. Reste à savoir si les nouvelles mesures auront un impact sur les prochains questionnaires anonymes, désormais collectés tous les ans.

*Le prénom a été modifié pour préserver l’anonymat de la personne.